Scandale au concile de Constance : quand cardinaux et prostituées faisaient vaciller l’Église médiévale

Découvrez comment, lors du concile de Constance (1414‑1418), l’Église a toléré la présence de centaines de prostituées, révélant un paradoxe moral saisissant.
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Un concile pour sauver l’Église... et relâcher les corps
Le saviez-vous ?
En plein cœur du Moyen Âge, un concile destiné à sauver l’Église catholique du schisme a vu défiler non seulement des cardinaux, des évêques et des théologiens, mais aussi... des centaines de prostituées. Bienvenue au Concile de Constance (1414-1418), où la réforme de la foi côtoyait les plaisirs charnels les plus assumés.
Lorsque l'empereur Sigismond convoque le concile de Constance en 1414, c’est pour résoudre une crise majeure : l'Église catholique est déchirée par un schisme depuis plus de trente ans, avec plusieurs papes se disputant la légitimité. Des centaines de hauts dignitaires religieux affluent donc dans la petite ville impériale de Constance, en bordure du lac éponyme, pour débattre de l’avenir de la foi chrétienne.
Il s’agit là d’un événement sans précédent dans l’Europe chrétienne : plus de deux cents évêques, des dizaines de princes, des centaines de théologiens, de juristes, d’ambassadeurs et leurs cortèges convergent vers cette modeste cité d’Allemagne méridionale. L’enjeu est immense : mettre fin au Grand Schisme d’Occident, qui a vu coexister jusqu’à trois papes rivaux — à Rome, Avignon et Pise. Le concile doit aussi trancher sur les questions de réforme de l’Église, de discipline du clergé et de condamnation de l’hérésie, notamment celle prêchée par Jan Hus. Les débats promettent d’être houleux, les intérêts politiques divergents, et les alliances secrètes nombreuses. Constance devient brusquement le théâtre d’un affrontement diplomatique et théologique d’une ampleur inédite. Les auberges débordent, les routes voisines se transforment en corridors d’approvisionnement, et même les monastères sont réquisitionnés pour loger les invités. Les marchands affluent également : taverniers, orfèvres, changeurs, couturiers et prostituées trouvent là une opportunité inespérée.
Mais cette assemblée ne ressemble en rien à une retraite spirituelle. Durant quatre ans, plus de 72 000 visiteurs s’installent dans une ville qui, à l’origine, ne compte que 6 000 habitants. Il faut loger, nourrir, distraire cette foule. Et surtout... répondre à ses besoins les plus terre-à-terre. L’économie locale connaît un essor fulgurant : les prix doublent, les maisons sont divisées pour loger plus de monde, et des quartiers entiers sont réaménagés en hâte pour accueillir les délégations. Les tavernes ne désemplissent pas, les foires improvisées s’installent sur les places, et des bateaux supplémentaires sont affrétés pour traverser le lac. Il ne s’agit plus seulement de débattre de dogmes : la ville entière devient une vaste scène où la foi, le commerce et le vice se côtoient sans pudeur.
Les archives et chroniques locales sont formelles : plus de 700 prostituées sont recensées à Constance pendant la durée du concile. Le chroniqueur Ulrich Richental, témoin oculaire, décrit avec un mélange de fascination et de consternation l’afflux de femmes venues de tout l’Empire, certaines avec leurs enfants ou des mères-maquerelles, prêtes à « servir » les représentants de Dieu. Ces femmes, parfois organisées en véritables corporations, paient un droit d’entrée à la ville, logent dans des maisons identifiées et font partie intégrante de l’économie locale. Certaines sont luxueuses et courtisées par les hauts prélats ; d’autres survivent dans des conditions précaires, au service de valets ou de soldats. Les autorités municipales préfèrent encadrer le phénomène plutôt que de le combattre : elles y voient un moyen de prévenir les débordements, tout en tirant profit des taxes prélevées. Cette réalité, largement connue à l’époque, sera exploitée plus tard par les réformateurs protestants, pour dénoncer l’immoralité du clergé catholique.
Le clergé en quête de plaisirs terrestres
Une prostitution tolérée et encadrée
Plutôt que de réprimer cette activité, les autorités municipales — avec l’aval tacite des autorités ecclésiastiques — choisissent de réguler la prostitution. Des quartiers sont réservés à ces « femmes de joie », avec contrôle médical rudimentaire et horaires fixés. Pourquoi tant de tolérance ? Officiellement, il s’agit d’éviter des désordres plus graves, comme les viols ou la sodomie, considérés comme des péchés plus graves encore.
Des clientèles très variées, jusqu'aux cardinaux ?
La clientèle des prostituées du concile ne se limite pas aux laïcs. Les rumeurs et quelques témoignages accusent des clercs de haut rang, voire des cardinaux, d’y avoir eu recours. Si les noms précis manquent, les récits satiriques ou moralisateurs postérieurs (notamment ceux des humanistes et des réformateurs protestants) relaient abondamment ces dérives, symbole de l’hypocrisie cléricale.
Les bordels improvisés se multiplient dans les rues et auberges. Certains établissements sont tenus par d’anciennes nonnes défroquées. Les « pèlerinages nocturnes » deviennent si fréquents qu’un dicton local circule : « Celui qui vient à Constance pour prier repart avec la chair en mémoire ».
Le paradoxe moral de l’Église médiévale
Comment expliquer un tel relâchement dans un contexte aussi sacré ? En réalité, l’Église médiévale n’a jamais été monolithiquement puritaine. Elle a longtemps adopté une posture ambivalente face à la sexualité : elle la condamnait en théorie, mais l’acceptait dans la pratique — surtout pour les hommes. Le péché de chair était inévitable, pensait-on ; mieux valait donc le canaliser que le réprimer totalement.
Le pénitentiel de Worms, un recueil de pénitences compilé autour du IXᵉ siècle, en témoigne clairement. Il ne se contente pas de condamner les actes sexuels jugés fautifs, il codifie les tarifs de pénitence pour chaque déviance : adultère, masturbation, relations entre clercs et laïques, voire même usage de prostituées. Un moine y confessant un rapport avec une prostituée recevait une peine bien moindre qu’en cas de sodomie ou d’inceste. En filigrane, le message est clair : certains péchés sont plus tolérables que d’autres — surtout s’ils permettent d’éviter pire.
Plus tard, au XIIIᵉ siècle, Thomas d’Aquin reprendra cette idée dans sa Somme théologique. Il compare la prostitution à l’égout d’une ville : répugnant, certes, mais indispensable pour éviter l’explosion des vices plus dangereux. « Supprimez les bordels, disait-il en substance, et vous bouleversez l’ordre du monde. » L’Église tolérait donc la prostitution comme un « mal nécessaire », un pis-aller contre l’hérésie, la violence ou la luxure incontrôlée.
Dans les villes médiévales, cette tolérance se traduisait par une réglementation municipale : quartiers réservés, jours et horaires d’activité, interdiction aux femmes mariées ou aux jeunes garçons d’y accéder. Les bordels étaient souvent placés en périphérie, mais restaient proches des abbayes, des palais épiscopaux ou des universités. À Avignon, par exemple, sous la papauté d’exil, la prostitution était strictement encadrée mais omniprésente, et les prélats n’étaient pas les derniers à y céder.
Le concile de Constance, quant à lui, expose cette réalité à une échelle spectaculaire et choquante. On ne parle plus d’un bordel discret pour quelques clercs en manque, mais de centaines de femmes recrutées, installées, encadrées, dans une ville transformée en foire charnelle sous les yeux du Christ. Alors que l’on y juge l’hérétique Jan Hus, que l’on débat de la pureté doctrinale de l’Église, le clergé lui-même plonge sans retenue dans le plaisir des sens. Ce contraste, violent et éclatant, symbolise à lui seul le double visage de l’institution ecclésiastique médiévale : prêcher l’abstinence, mais pratiquer la débauche.
Ce scandale ne passe pas inaperçu. Un siècle plus tard, les réformateurs protestants comme Martin Luther s’appuieront largement sur ces contradictions pour fustiger la corruption romaine. Les conciles, censés redresser la foi, deviennent à leurs yeux des orgies institutionnelles, où l’on boit, mange, fornique — et trahit l’Évangile. Le concile de Constance, loin d’incarner le renouveau spirituel promis, devient le symbole de la décadence ecclésiastique, et un argument central pour justifier la Réforme.
Héritage d’un concile entre foi et luxure
Ce mélange de ferveur religieuse et de relâchement moral donne au concile de Constance une place unique dans l’histoire médiévale. Il incarne à la fois les tensions internes à l’Église, son besoin de réforme... et son incapacité à appliquer les valeurs qu’elle prêche.
Alors que les débats théologiques faisaient rage dans les salles du concile, les rues de Constance résonnaient d’un autre tumulte : celui des plaisirs tarifés, des soupirs nocturnes et des contradictions humaines. Des décisions majeures y furent pourtant prises : en juillet 1415, le réformateur tchèque Jan Hus, accusé d’hérésie, fut brûlé vif après avoir été solennellement condamné par les membres du concile — une exécution qui scandalisa l’Europe et provoqua la guerre des Hussites. En novembre 1417, le concile réussit enfin à mettre un terme au Grand Schisme d’Occident en élisant un nouveau pape, Martin V, acceptant la démission des autres prétendants. C’est une victoire politique, mais une victoire au goût amer. Car si le concile règle la question de l’unité de la papauté, il échoue à instaurer les réformes morales attendues par une grande partie de la chrétienté. L’idée que le concile devait être supérieur au pape — la fameuse théorie conciliariste — est peu à peu abandonnée. En pratique, les abus de pouvoir, la simonie, le népotisme et l’hypocrisie morale continueront de gangrener l’institution ecclésiastique. Le souvenir des courtisanes, des orgies et des fêtes nocturnes ternit le prestige de cette assemblée censée régénérer l’Église. Un siècle plus tard, Martin Luther n’aura qu’à rappeler ce double visage du concile pour justifier la rupture de la Réforme.
Le concile de Constance reste ainsi dans l’histoire comme un moment de bascule, où la solennité du dogme et le tumulte des corps se sont affrontés dans la même ville. Une page d’histoire trop peu connue, mais diablement révélatrice.
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