Louis XVI (2/9) : Les premières années du règne ou le ministère Turgot (1754 - 1774)

 

      

1774, le roi est mort ; Vive le roi ! Selon la formule consacrée.

Oui. Le jour de la mort de mon grand-père, il m’a semblé que l’univers s’écroulait sur moi. Me voici sur le trône de France. Quelle responsabilité et quel travail à mener ! L'économie du royaume est en récession depuis 1770. J’ai commencé par diminuer les dépenses de la cour : les « frais de bouche », les frais de garde-robe, le département des Menus-Plaisirs, les équipages de chasse, la Petite Écurie et enfin le nombre de mousquetaires. Je dispense mes sujets du « don de joyeux avènement », cet impôt perçu lors de l'accession au trône d'un nouveau roi. De son côté, la reine passe beaucoup de temps dans les bals, les fêtes et les jeux d'argent.

 

Vous auriez pu réduire les dépenses liées au sacre.

Turgot (ci-contre) m’a fait la même remarque.

 

Votre ministre des Finances de l’époque.

Oui. Il a suggéré de faire une sorte de sacre allégé à Paris. De plus, les philosophes ont critiqué cette cérémonie n'y voyant qu'une exacerbation du pouvoir de Dieu et une comédie destinée à maintenir les peuples dans l'obéissance. Cependant, pieux et très attaché à l'œuvre de mes prédécesseurs, j’ai maintenu la cérémonie avec autant de faste que prévu.

Vous voici aux commandes de l’État. Lorsque vous constituez votre premier gouvernement, vous donnez l’impression de vouloir faire table rase du passé.

En effet, j’ai procédé à un remaniement des ministres. J’ai révoqué le duc d’Aiguillon, secrétaire d'État de la Guerre et des Affaires étrangères. Loin de l'exiler comme le veut la coutume, je lui ai alloué la somme de 500 000 francs. Je l’ai remplacé aux Affaires Étrangères par le comte de Vergennes. Turgot a remplacé Joseph Marie Terray aux Finances. Antoine de Sartine a pris la Marine. Le portefeuille de la Justice est passé de Maupeou à Miromesnil. Le duc de la Vrillière est resté à la Maison du Roi, tandis que le secrétariat à la Guerre est confié au comte de Muy. Il mourra un an plus tard et sera alors remplacé par le comte de Saint-Germain.

 

Comment avez-vous constitué ce gouvernement ?

J’entendais bien gouverner seul et n'envisageais pas de déléguer cette tâche à un chef de gouvernement. Néanmoins, il me fallait un homme de confiance et d'expérience pour me conseiller dans les décisions importantes. Marie-Antoinette m’a suggéré de nommer le duc de Choiseul, partisan du rapprochement avec l’Autriche et membre du parti dévot.

 

Il s’agit de l’ancien premier ministre du roi Louis XV.

Oui. Bien que je refuse de le nommer principal ministre d'État, j’ai tout de même consenti à le réintégrer à la cour. J’ai choisi d'opter pour le comte de Maurepas, sur les conseils de mes tantes.

 

Autre élément primordial qui ne sera pas sans conséquence, c’est le rappel du Parlement de Paris. Rappelons à nos lecteurs que cette instance n’est en rien comparable avec notre parlement actuel. Il s’agit d’une chambre composée de magistrats, chargée d’étudier l’aspect juridique des édits et de les enregistrer, afin qu’ils aient force de lois. A ce titre, le Parlement possède un droit de remontrances, c’est-à-dire, qu’il peut vous transmettre des observations. Votre prédécesseur les avait exilés pour éviter des blocages de plus en plus fréquents. Vous prenez la lourde décision de les réintégrer dans leurs fonctions.

Attentif à mon image auprès du peuple et confiant dans les conseils de Maurepas face à la complexité du sujet, je reviens donc sur des privilèges que Maupeou qualifiait au moment de son renvoi de « procès qui durait depuis trois cents ans ». Ce fut ma première erreur. Malheureusement, le rappel des parlements va rendre illusoire les tentatives de réformes profondes que je tenterai d'entreprendre les années suivantes, ce qui contribuera à nourrir le climat révolutionnaire qui se prépare déjà.

 

Lors de votre règne, vos ministres des Finances successifs vont occuper implicitement les fonctions de Premier ministre.

Et pour cause. La situation économique du royaume était ma principale préoccupation. Je m’entretiens quotidiennement avec Turgot pour préparer les mesures de redressement économique du pays. Turgot refuse de proposer la banqueroute et suggère un plan plus simple : faire des économies. C’est d’ailleurs un partisan du libéralisme économique. Il fait adopter un texte décrétant la liberté du commerce intérieur des grains et la libre importation des céréales étrangères.

 

Dans la société d’Ancien régime, la question de la sécurité alimentaire demeure centrale. En 1775 se déroule ce que l’on appelle la guerre des famines. Suite à une rumeur de famine imminente du pays, les prix flambent et les boulangeries de Paris, Versailles et quelques villes de province sont pillées. Des émeutes surviennent mais sont vite réprimées.

D’où l’urgence de réformer le royaume. Turgot entreprend une profusion de réformes visant à débloquer le libre fonctionnement politique, économique et social de la société, et à mettre au pas les parlements. Il souhaite plusieurs pratiques : suppression des corporations, suppression de certaines coutumes, abolition de la corvée royale. Cette dernière serait remplacée par un impôt unique à tous les propriétaires fonciers, ce qui étendrait le paiement de l'impôt aux membres du clergé et de la noblesse. Turgot s'attelle aussi à un projet révolutionnaire de mise en place d’une pyramide d’assemblées élues à travers le royaume : municipalités de communes, d’arrondissements puis de provinces et une municipalité de royaume. Lesdites assemblées auraient pour but de répartir l'impôt direct, de gérer les questions de police, d'assistance et de travaux publics.

 

Ces projets, proches des aspirations de la bourgeoisie, ont dû faire grincer des dents.

Et pas qu’un peu. Ces réformes rencontrent un certain nombre de détracteurs, à commencer par les parlementaires. Turgot peut compter sur mon appui. Je ne manque pas à plusieurs reprises de pratiquer le « lit de justice » pour appliquer mes décisions.

 

Le lit de justice est une cérémonie durant laquelle, le roi se rend au Parlement pour faire enregistrer les édits.

Les opposants se font de plus en plus nombreux et dépassent au fil du temps le cercle des parlementaires. Une coalition se forme contre Turgot. Je reçois des lettres de remontrances et essuie des critiques à la cour. Je tempère.

 

Vous ne tempérez guère longtemps, si je puis me permettre, vous congédiez votre ministre deux ans après sa nomination.

Je ne supportais plus son outrecuidance. Turgot voulait être moi, et je ne voulais pas qu'il soit moi. Je profite de sa participation au vote visant à démettre de ses fonctions le comte de Guines, ambassadeur à Londres. La reine me demande de punir les deux ministres ayant demandé la démission de son ami.


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Sources

- PETITFILS Jean-Christian : Louis XVI, Perrin, 2021, 1183p

- Louis XVI, Historia thématique, n°99, janvier-février 2008, 88p.

 

 

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