Alexandre le Grand et le nœud gordien : l’acte fondateur d’une conquête légendaire
La légende du nœud gordien, ou comment Alexandre le Grand transforma un ancien oracle phrygien en acte fondateur de sa conquête de l'Asie.
Les prodiges de l’Orient
L'Antiquité regorge de mystères et de légendes qui prennent parfois des tournures si incroyables qu'elles dépassent la fiction pour mieux devenir réalité. Le périple d'Alexandre le Grand en Orient est un véritable foisonnement d'anecdotes merveilleuses. Parti de sa Macédoine natale en 334 avant J.-C., Alexandre et son invincible armée conquièrent l'Anatolie tout entière ainsi que les cités grecques d'Asie. Milet, Éphèse et, plus difficilement, Halicarnasse, abandonnent l'administration perse pour se soumettre à la nouvelle administration macédonienne. Halicarnasse, en particulier, opposa une résistance acharnée menée par Memnon de Rhodes, général grec au service du roi perse Darius III, avant de tomber après un siège long et meurtrier. Après avoir vaincu l'armée perse sur les rives du fleuve Granique en mai 334, où commandait justement Memnon au nom des satrapes locaux, Alexandre se croit invincible. Il présente cette victoire comme la « libération » des Grecs d’Asie, reprenant une rhétorique panhellénique habile qui lui permet de rallier les élites locales à sa cause. Désormais, toute l'Asie peut lui échoir.
Le char de Midas
Poursuivant ses conquêtes dans la province de Phrygie, en Anatolie, Alexandre parvient jusqu'à Gordion en 333 avant J.-C. C'est là que lui est présenté le char du légendaire roi Midas, le roi aux mains d'or, dont le timon est noué par un nœud inextricable : le nœud gordien. Gordion, ancienne capitale des Phrygiens, abritait en son acropole plusieurs tumulus, dont le plus impressionnant, attribué par la tradition à Midas, domine encore la plaine aujourd’hui. Le char, conservé dans le temple de Zeus Basileus (assimilé localement à Sabazios), avait été offert par Gordias, un humble paysan qui, selon la légende, fut couronné roi après qu’un aigle se fut posé sur son char — signe céleste interprété par les prêtres comme un oracle. Le timon était lié au joug par une corde de cornouiller d'une complexité telle que personne ne parvenait à en distinguer le début ou la fin. Les prêtres de la cité le présentent à Alexandre et lui racontent la légende selon laquelle celui qui parviendra à dénouer ce nœud deviendra le maître de l'Asie.
Le défi est à la hauteur de la réputation d'Alexandre : personne n'a jamais réussi à dénouer ce nœud. D'un geste ample, Alexandre tranche les cordes d'un coup d'épée.
« Peu importe la façon dont il est dénoué », s'exclame-t-il d'un ton prophétique.
Ce geste fut interprété par ses hommes comme un signe du destin. La nuit même, un orage s’abattit sur la ville — phénomène que les soldats interprétèrent comme l’approbation des dieux, une confirmation divine du droit d’Alexandre à régner sur l’Asie.
Un geste fondateur
Déconcertés — ils n'avaient jamais envisagé cette méthode — les prêtres reconnaissent en Alexandre le futur maître de l'Asie. Ces prêtres, probablement membres de l'élite locale phrygienne, avaient tout intérêt à reconnaître le nouveau pouvoir et à s’y rallier. Cette propagande inattendue servira aisément les desseins du Macédonien lors de sa marche triomphante contre les Perses. Alexandre était connu pour respecter les cultes locaux : à Gordion, comme à Memphis, Siwa ou Babylone, il cherchait toujours à s’ancrer dans la légitimité religieuse des territoires conquis. Ce n’est donc pas un simple caprice, mais une stratégie politique : il savait que la reconnaissance religieuse des prêtres renforcerait sa légitimité aux yeux des peuples dominés.
Les légendes et les mystères entourant le règne d'Alexandre le Grand ne font qu'accroître son aura de conquérant mythique. Dès son enfance, sa mère, Olympias, le considérait comme étant le fils de Zeus. Chaque étape de son périple semble être marquée par des événements extraordinaires et des exploits dignes des contes et des récits épiques. Alexandre, en plus d'être un fin stratège militaire, se révèle être un personnage charismatique et visionnaire, capable de saisir les opportunités et de les utiliser à son avantage. À ses côtés, des chroniqueurs comme Callisthène d’Olynthe, neveu d’Aristote, forgent une image idéalisée du roi : descendant d’Achille, héritier d’Héraclès, fils de Zeus.
Cette anecdote du nœud gordien incarne parfaitement la personnalité d'Alexandre. Sa décision radicale de trancher le nœud au lieu de perdre du temps à essayer de le dénouer démontre son audace et son refus d'être entravé par des obstacles apparemment insurmontables. Son geste symbolique en fait un leader visionnaire, prêt à prendre des décisions drastiques pour atteindre ses objectifs. On retrouve ce trait dans d'autres épisodes de sa vie : par exemple, lorsqu'il fait bâtir une jetée pour assiéger Tyr, refusant d’abandonner face à la mer. Il incarne l’aretê, l’excellence grecque, mêlant courage, efficacité et ingéniosité.
Un roi devenu mythe
Les prêtres de Gordion, bien qu'initialement décontenancés par la méthode expéditive d'Alexandre, ont rapidement compris que cet événement pouvait être utilisé à leur avantage. En reconnaissant en lui le futur maître de l'Asie, ils renforçaient sa position et contribuaient à propager sa renommée de conquérant invincible. Les récits de cette scène se répandirent rapidement, alimentant la légende d'Alexandre le Grand. L’armée macédonienne, elle aussi, fut galvanisée. Très sensible aux auspices et présages, elle vit dans cet acte un signe céleste, un sceau du destin. Dans cette rhétorique du prodige, les soldats voyaient leur roi désormais comme un élu des dieux.
Ce nœud gordien devint ainsi un symbole puissant de la détermination et de la bravoure d'Alexandre, ainsi que de sa capacité à surmonter les obstacles en utilisant des moyens non conventionnels. Sa réputation grandissante attirait à lui de nombreux partisans et renforçait le moral de ses troupes, qui croyaient fermement en sa capacité à réaliser des exploits inimaginables. La nouvelle se répandit vite en Asie : le jeune roi macédonien, à la tête d’un peuple de montagnards, avait défié et dompté les signes du ciel. Dans la tradition grecque, seule une figure digne d’Héraclès pouvait agir ainsi. Alexandre l’avait compris, et c’est pourquoi il se plaisait à se comparer au héros mythologique.
L'épisode du nœud gordien fait partie intégrante de la légende d'Alexandre le Grand et contribue à l'image d'un conquérant visionnaire et charismatique. Les historiens s'interrogent encore sur la véracité de cette anecdote, mais qu'il s'agisse d'un fait réel ou d'une légende inventée, il n'en demeure pas moins un élément essentiel de la saga d'Alexandre et de son règne sur l'Asie. Déjà, certains auteurs antiques, comme Plutarque ou Arrien, rapportent plusieurs versions et expriment des doutes. Les récits les plus spectaculaires sont peut-être les plus tardifs, mais ils montrent à quel point l’épisode fut repris, transmis, embelli, jusqu’à devenir un archétype.
Le fil d’Ariane de la conquête
Dans les années qui suivirent, Alexandre le Grand continua ses conquêtes, bâtissant un empire gigantesque qui s'étendait de la Grèce à l'Égypte, de la Perse à l'Inde. En 333, il remporte la bataille d’Issos. En 332, après un siège de sept mois, il prend Tyr. En 331, il fonde Alexandrie en Égypte, puis écrase l’armée de Darius III à Gaugamèles. Son nom résonne encore aujourd'hui comme l'un des plus grands conquérants de l'histoire. L’épisode du nœud gordien devient alors un topos politique : la solution radicale au problème complexe, l’acte de souveraineté par excellence.
Le nœud gordien, quant à lui, reste un symbole de détermination, d'audace et de volonté de surmonter les obstacles, qu'ils soient réels ou imaginaires. On le retrouve dans les textes médiévaux, y compris en Orient, où Alexandre devient Iskander dans le Shâhnâmeh de Ferdowsi. Il inspire aussi Napoléon, qui se réclame d’Alexandre dans ses campagnes. Encore aujourd’hui, l’expression « trancher le nœud gordien » désigne une décision résolue face à une impasse. Le mythe a survécu à l’empire. Et peut-être est-ce là, au fond, la plus grande victoire d’Alexandre.
Les exploits d'Alexandre le Grand sont nombreux et fascinants, et sa vie est remplie de moments qui semblent tout droit sortis d'un roman d'aventures. Son histoire continue de captiver les imaginations et de nourrir les légendes, faisant de lui une figure incontournable de l'Antiquité et de la littérature historique.
Sources
- Arthur Weigall, Alexandre le Grand , trad. Théo Varlet, Payot, 2019
- Wikipédia – Nœud gordien
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RépondreSupprimerbonjour,
RépondreSupprimertous mes voeux pour l'année 2013 et félicitation pour votre blog ! Je souhaitais vous signaler la sortie d'un roman sur Alexandre de Morgan S.Westland intitulé : L'anneau royal d'Alexandre" et qui est affiché au catalogue du site TheBookEdition -
cordialement.
JCC.
pas mal l'histoire
RépondreSupprimeroui ta raison
SupprimerAlexandre devait avoir pas mal d'esprit si c'est le premier à y avoir pensé!
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Supprimersite très utile pour les exposés ou les fasciné d'histoire. Bravo!
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