Memnon de Rhodes, celui qui défia Alexandre le Grand

Memnon de Rhodes défend Halicarnasse contre les troupes macédoniennes d’Alexandre le Grand

Découvrez Memnon de Rhodes, l’unique adversaire grec qui faillit stopper Alexandre le Grand dans sa conquête de l’Orient. Une épopée oubliée, romancée.

L’enfant et le vétéran

Au soir d’une victoire de plus, dans le silence apaisé de sa tente de campagne, Alexandre regardait les flammes d’un brasier danser sur les murs. Il y avait ce nom, ce visage qui refusait de quitter ses pensées. Non, ce n’était pas Darius, l’homme qu’il avait mis en fuite à Issos. Ce n’était pas Cléitos, ni Hephaistion. C’était un autre, plus ancien, plus insaisissable. Un adversaire dont l’ombre avait un instant troublé son irrésistible ascension. Un Grec, et pourtant son ennemi. Un frère d’arme devenu le plus redoutable des obstacles : Memnon de Rhodes.

Ils n’étaient pas du même âge, ni du même monde. Alexandre était né prince, destiné dès le berceau à des exploits chantés. Memnon, lui, était né sur l’île de Rhodes, dans une famille grecque où son frère aîné, Mentor, brillait déjà comme un général respecté. C’était un homme formé au feu, à la mer, au vent âpre de la mer Égée. L’île, bien que grecque, vivait dans la sphère d’influence perse. Là, les jeunes hommes s’entraînaient, puis s’exilaient, vendant leur glaive au plus offrant. Mercenaire. Ce mot collait à la peau de Memnon, mais derrière l’acier, il y avait une loyauté rare.

Lorsque le satrape Artabaze, gouverneur de Phrygie, se révolta contre le pouvoir du Grand Roi Artaxerxès III, il choisit de se lier à Memnon et Mentor. Il alla jusqu’à épouser leur sœur et offrit sa fille, Barsine, à Mentor. Mais la révolte échoua. Memnon fuit avec les siens et trouva refuge… à Pella, en Macédoine.

C’est là, dans les couloirs du palais de Philippe II, que le destin croisa celui d’Alexandre. Le jeune garçon n’avait pas encore dix ans. Et pourtant, on dit qu’il s’intéressait à tout, aux récits de guerre, aux hommes marqués par l’exil. On peut rêver à une scène : Alexandre enfant, posant des questions au vétéran rhodien, fascinant ce garçon aux yeux ardents par ses récits de batailles et de trahisons. Peut-être, dans la cour du palais, s’étaient-ils même affrontés au jeu du palet, ou avaient-ils observé ensemble les chevaux du roi galoper sous les vents d’hiver. Rien ne laissait encore présager qu’un jour, ils se retrouveraient face à face, glaive en main.

Le fleuve et la lance

Ce que Pella donna à Memnon, ce furent des années d’observation, une immersion dans les mœurs macédoniennes. Il observa les armées de Philippe, la discipline de ses officiers, les tactiques de la phalange. Il entendait parler du génie du roi, de son rêve d’unité grecque contre l’Orient. Et dans cette Grèce divisée, où chaque cité était prête à poignarder l’autre, il devina que le jeune Alexandre, avide de conquêtes et de grandeur, dépasserait un jour son père. Memnon comprit que l’histoire allait s’accélérer. Lui, homme du monde ancien, savait lire dans les gestes d’un enfant qu’un empire allait naître.

Rencontre entre le jeune Alexandre le Grand et Memnon de Rhodes dans la cour du palais de Pella

Dix ans plus tard, le monde avait changé. Philippe était mort, assassiné. Alexandre régnait, jeune et ardent. Il s’élança à la conquête de l’empire perse, franchit l’Hellespont en 334 et débarqua à Abydos avec une armée affamée d’Asie. Il voulait marcher dans les pas d’Achille et défier Darius III.

Mais sur son chemin, un nom ressurgit du passé : Memnon. Le vétéran rhodien, revenu en grâce à la cour perse, avait épousé Barsine après la mort de son frère Mentor. Il avait l’expérience, la prudence et une parfaite connaissance des mœurs macédoniennes. Lorsqu’on lui donna le commandement des forces de la côte, il proposa un plan audacieux : la tactique de la terre brûlée. Brûler les moissons, vider les villes, affamer l’envahisseur.

Les satrapes, orgueilleux et jaloux, refusèrent. Ils exigèrent la bataille rangée. Memnon s’inclina, mais dans son regard, il savait que la défaite couvait. Dans son camp, il veilla à ce que les troupes soient prêtes, à ce que les lignes soient tenues, à ce que chaque homme sache ce qu'il devait faire quand le moment viendrait. Il n'avait plus la fougue de sa jeunesse, mais il avait la sagesse de ceux qui ont trop vu mourir pour se précipiter vers la mort. Il savait aussi qu’en cas de victoire, Alexandre ne s’arrêterait pas. Il voulait lui dresser un mur qu’il ne pourrait franchir, au moins le ralentir, le forcer à douter.

Ce fut au bord du fleuve Granique que les deux hommes se retrouvèrent. Alexandre voulait forcer le passage. Memnon, posté sur la rive, organisa ses troupes. Il savait que l’impatience serait l’arme de son ennemi. Et il avait raison. Alexandre lança sa cavalerie, puis ses phalanges. Le fleuve rugissait, les chevaux trébuchaient dans le courant, les lances volaient. Memnon se battit comme un lion, mais ne pouvait rien face à l’audace insensée du jeune roi. La défaite était là, cuisante. Mais lui, il survécut.

Halicarnasse ou l’honneur assiégé

Il se replia, d’abord vers l’intérieur, puis vers la grande cité d’Halicarnasse. Là, derrière les murailles blanches, il organisa la résistance. Il fit renforcer les remparts, distribua les vivres, souda l’alliance des Grecs et des Perses. Il savait que le Grand Roi restait lointain, indifférent. Il savait qu’il ne viendrait pas. Les rues de la cité étaient tendues. Les habitants, méfiants, observaient ces troupes étrangères renforcer leurs murs. Des rumeurs circulaient : Alexandre approchait, rapide, invincible. Chaque jour, les guetteurs signalaient des mouvements à l'horizon. La mer apportait les bruits les plus fous : qu'il était un demi-dieu, qu'aucune flèche ne pouvait le blesser.

Alors il devint le mur.

Alexandre arriva, comme la tempête. Les phalanges frappèrent, les balistes rugirent, les tours d’assaut s’élancèrent. Halicarnasse trembla. Mais elle ne céda pas. Memnon, des hauteurs de la citadelle, guidait ses archers, lançait ses renforts, galvanisait les cœurs. Les nuits étaient longues, les jours brûlants. Il pensait à Barsine, exilée plus loin en Anatolie avec leur fille. Il priait, non pour lui, mais pour que cette guerre absurde n’emporte pas leur avenir. La poussière des combats collait à la peau. Les cris résonnaient jusqu’au fond des ruelles. Le feu dévorait les entrepôts. Les murs vibraient sous les coups. Mais Memnon tenait bon. Et ses hommes l’aimaient. Il combattait avec eux, mangeait leur pain, partageait leurs fatigues. Il était de ceux que l’on suit sans ordre, simplement parce qu’on croit en leur regard.

Quand enfin la ville tomba en partie, il ne se rendit pas. Il fit barricader la citadelle. Alexandre, furieux mais rationnel, décida d’en finir ailleurs. Il laissa une garnison, remit Ada sur le trône et poursuivit sa route. La mer, elle, appartenait encore aux Perses. Memnon vit là son salut. Une nuit, voiles baissées, il embarqua, silencieux comme une ombre.

La mer, dernier royaume de Memnon

Sur les flots, il retrouva le goût de l’initiative. La mer Égée, ce fut sa revanche. Une à une, les îles grecques tombèrent entre ses mains. Il coupa les lignes d’approvisionnement d’Alexandre. Il menaça la Grèce elle-même. Athènes frémissait. Sparte s’agitait. Il débarquait avec la rapidité d’un éclair, prenait des ports, brûlait les stocks macédoniens, enrôlait des mercenaires, relançait les haines dormantes des cités. Il rêvait de soulever tout le monde grec contre le conquérant. Il voyait plus loin que la guerre en Asie. Il voulait la guerre chez Alexandre.

Il convoqua un conseil à Samos. Là, dans un vieux temple reconverti en quartier général, il parla aux chefs de la flotte et aux émissaires des cités. Sa voix portait : « L’empire d’Alexandre n’est qu’un château de cartes. Il suffit de souffler sur la Grèce pour qu’il s’effondre. » Il voulait couper Alexandre de sa base. Le piéger en Asie, sans renfort, sans retour. Le faire mourir loin de chez lui, comme un roi perdu. Ce discours fut suivi d’un silence grave, mais déterminé. Tous comprenaient la force du projet. Et tous savaient qu’il fallait agir vite.

Mais le destin est cruel avec les hommes qui savent attendre.

La chute d’un météore

Sur l’île de Mytilène, Memnon tomba malade. Une fièvre brutale, impitoyable. En quelques jours, il s’éteignit. La nouvelle se répandit vite. À mille kilomètres de là, Alexandre venait de remporter une nouvelle bataille. On lui annonça la mort de Memnon comme une victoire.

Il ne répondit pas immédiatement. Peut-être songea-t-il à Pella. Peut-être vit-il un enfant aux boucles sombres courir autour d’un homme buriné, racontant ses souvenirs de guerre. Peut-être eut-il une pensée pour cette femme, Barsine, qui portait en elle une mémoire que lui seul comprenait vraiment.

Quelques mois plus tard, il prit Barsine pour épouse. La veuve de Memnon. Certains dirent qu’il agissait par stratégie, d’autres murmurèrent qu’il n’avait jamais oublié ce nom.

Barsine gardait en elle la mémoire d’un homme qui, sans être roi, avait rêvé de renverser un empire. Dans les jardins de Suse, certains soirs, elle évoquait avec une nuance d’amertume les campagnes navales, les vents d’Halicarnasse, la rudesse des Cyclades. Alexandre l’écoutait en silence. Non par nostalgie ou tristesse, mais pour mieux comprendre encore ce qu’il avait vaincu. Car en Memnon, il reconnaissait non pas un égal, mais un miroir déformé : celui qui aurait pu l’être, s’il avait choisi un autre camp.

À Babylone, des années plus tard, lorsqu’il évoqua devant ses officiers les grands adversaires de sa jeunesse, il cita Darius, certes, mais aussi Memnon. « Il était Grec et fidèle à ses choix. Il m’a résisté plus que tous les autres. Il a tenu les murailles d’Halicarnasse comme un roi tient son trône. »

La mémoire de Memnon s’éteignit lentement, emportée par la gloire d’Alexandre, les récits d’Arrien, les mosaïques de Pompéi. Les dieux, semble-t-il, préfèrent les vainqueurs.

Mais dans l’ombre des pages d’histoire, il subsiste encore le souffle d’un homme qui défia l’invincible. Celui qui comprit Alexandre avant qu’il ne devienne le Grand. Celui qui voulut briser son destin, et faillit y parvenir.

Memnon.

Et si, un soir, à l’abri du vent d’Asie, un soldat d’Alexandre, vieillissant, raconte une dernière bataille à ses petits-enfants, il parlera peut-être de cet homme oublié. Le Grec qui refusa de se prosterner. Le météore dans la nuit du conquérant.

Celui qui aurait pu vaincre Alexandre, si les dieux lui avaient laissé un peu plus de temps.

Source historique

Arthur Weigall, Alexandre le Grand, Bibliothèque Payot, 2019.

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Commentaires

  1. Ici, des compléments sur Alexandre le Grand et l'Orient : http://www.villemagne.net/alexandre

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