Albert Roche : le “premier soldat de France” et l’un des héros oubliés de la Première Guerre mondiale

Albert Roche, premier soldat de France et héros de la Première Guerre mondiale
Albert Roche, « premier soldat de France », héros de la Grande Guerre.

Découvrez l’incroyable destin d’Albert Roche, paysan de la Drôme devenu « premier soldat de France » de 1914-1918, entre héros et oublié.

Introduction : L’ombre d’un héros oublié

Dans la Drôme provençale, au cœur d’un modeste village nommé Réauville, naquit le 5 mars 1895 un jeune paysan qui, en un éclair de guerre, allait devenir l’un des plus décorés de la Première Guerre mondiale. Son nom était Albert Séverin Roche. Il fut présenté à la foule par le maréchal Ferdinand Foch en ces termes : « Je vous présente votre libérateur ». Pourtant, aujourd’hui, son nom demeure largement méconnu. Ce récit se propose de suivre, pas à pas, les étapes d’un destin hors-norme, d’un homme qui, léger de gabarit mais colossal de courage, transforma l’adversité en triomphe. Il est, à la fois, le reflet d’une époque – la « Grande Guerre » – et l’histoire personnelle d’un homme ordinaire devenu héroïque.

On pourrait presque croire à une légende, tant les chiffres et les faits associés à Albert Roche semblent incroyables : plus de mille prisonniers capturés, des missions suicidaires menées avec succès, une résistance physique défiant le bon sens. Pourtant, ces exploits sont attestés par des témoignages, des citations officielles et par les décorations qui lui furent remises. Dans la mémoire locale, à Réauville, on ne parle pas seulement d’un « héros », mais d’un garçon du pays, un fils de cultivateur qui s’est élevé par sa seule détermination. Cet article se veut donc à la fois enquête historique et récit vivant, pour comprendre comment un jeune homme déclaré inapte au service a pu devenir, aux yeux de Foch, le « premier soldat de France ». Il invitera aussi à s’interroger sur la manière dont certaines figures, pourtant majeures, disparaissent presque totalement des grands récits nationaux.

Ce récit se propose de suivre, pas à pas, les étapes d’un destin hors-norme, d’un homme qui, léger de gabarit mais colossal de courage, transforma l’adversité en triomphe. Il est, à la fois, le reflet d’une époque – la « Grande Guerre » – et l’histoire personnelle d’un homme ordinaire devenu héroïque.

Nous suivrons ainsi Albert Roche depuis les champs de la Drôme jusqu’aux tranchées de l’Aisne et des Vosges, puis jusqu’au balcon de l’hôtel de ville de Strasbourg, où son nom résonne un instant au milieu de l’enthousiasme populaire. Nous verrons comment la violence industrielle de 1914-1918 a forgé des destins inattendus, où le courage individuel se heurte à la bureaucratie militaire et à l’absurdité des règlements. Nous replacerons chaque épisode dans son contexte : les grandes offensives, les mutineries, l’usure des soldats après des années de conflit. Enfin, nous examinerons la mémoire d’Albert Roche : comment fut-il honoré, puis progressivement oublié, avant d’être redécouvert par des historiens, des associations et des projets pédagogiques au XXIᵉ siècle.

Le paysan de la Drôme qui refusa d’être réformé

Réauville, terroir et jeunesse modeste

Réauville. Un village niché entre les collines du sud-est de la France, où l’on cultive la vigne, les vergers, la terre. Albert Roche y grandit. Il était le fils de Séverin Roche et de Louise Savel, issu d’une grande famille de cultivateurs.

La Drôme provençale du tournant du XXᵉ siècle est alors un territoire encore largement rural, marqué par le rythme des saisons et par une vie communautaire où l’Église, l’école et la ferme structurent l’existence quotidienne. Les enfants participent très tôt aux travaux agricoles, et Albert n’y échappe pas : il apprend à manier la bêche, à soigner les bêtes, à supporter les efforts physiques prolongés. Cette familiarité avec la dureté du travail de la terre forge une endurance précieuse pour celui qui, quelques années plus tard, devra ramper des heures sous le feu ennemi. Dans ce milieu modeste, la fierté familiale et l’honneur comptent autant que la richesse, et l’idée de « faire son devoir » pour la patrie prend racine très tôt. On comprend mieux, dès lors, pourquoi le refus initial de l’armée de l’accepter fut ressenti par Albert comme une humiliation insupportable.

Une enfance simple, rythmée par les travaux à la ferme, mais aussi par un instinct de dépassement peu commun. Dès avant la guerre, Albert montrait un tempérament de feu, une volonté de servir, qui tranchait avec son gabarit léger. Son physique frêle, loin de le condamner à la passivité, semble au contraire nourrir chez lui un certain goût du défi : prouver qu’il peut faire autant, sinon plus, que des hommes plus robustes. Les récits locaux évoquent un jeune homme tenace, volontaire, parfois impulsif, peu enclin à accepter les limites qu’on prétend lui imposer. La Troisième République, à travers l’école et le service militaire, a alors largement diffusé l’idée d’un devoir patriotique partagé par tous les citoyens ; Albert s’inscrit dans cette culture où l’uniforme représente un idéal d’honneur et d’égalité. Quand la guerre éclate, pour lui comme pour beaucoup de jeunes ruraux, il ne s’agit pas seulement d’obéir à un ordre de mobilisation : il s’agit d’être à l’heure de ce que l’on attend d’un homme.

Le conseil de révision, l’exclusion et la fuite

Quand éclata la guerre en août 1914, le jeune homme, âgé de 19 ans, entendait répondre à l’appel. Mais le conseil de révision le déclara réformé : il était « trop chétif pour servir ». Refus qu’il ne supporta pas. Contre l’avis de son père et contre l’institution, Albert se sauve durant la nuit. Pour comprendre la violence de ce refus, il faut rappeler que le conseil de révision est, pour une génération entière, un moment décisif : on y est déclaré bon pour le service, ajourné ou réformé, avec toutes les implications sociales que cela comporte. Être réformé pour « chétivité », c’est recevoir publiquement le verdict d’une insuffisance physique, presque une forme d’infériorité virile aux yeux du village. Le père d’Albert, lui, voit dans cette décision une bénédiction : il a besoin de bras pour la ferme, et la perspective de voir son fils épargné par la boucherie annoncée le rassure. Mais Albert ne l’entend pas ainsi : son sens du devoir et de l’honneur l’emporte sur la prudence paysanne. La fuite nocturne, sac sur l’épaule, dans un mélange de colère et de détermination, marque une rupture spectaculaire avec l’autorité paternelle et avec l’ordre établi.

Il rejoint un camp d’instruction à Allan (Drôme) puis est affecté au 27ᵉ Bataillon de Chasseurs Alpins, les fameux « diables bleus ». Mais l’intégration est difficile : jugé « mal noté, mal aimé », il s’évade, est rattrapé et fait prisonnier sous la charge de désertion. Une défaite temporaire qui, paradoxalement, va ouvrir la voie à un sort encore plus extraordinaire.

La mauvaise notation d’Albert au camp d’instruction tient sans doute à son tempérament entier : il supporte mal la discipline formelle, les brimades, les injustices que subissent les simples recrues. Sa tentative de fuite peut être lue comme un refus instinctif d’un cadre qui lui paraît absurde, au moment même où il brûle pourtant de se battre. En étant arrêté pour désertion, il découvre brutalement la face impitoyable de la justice militaire, qui, en temps de guerre, n’hésite pas à frapper durement pour l’exemple. Son passage en prison laisse une trace durable : Albert mesure alors combien la hiérarchie peut broyer un homme, aussi courageux soit-il, s’il ne rentre pas dans les cases. Cette tension entre un héroïsme concret sur le terrain et la rigidité administrative de l’armée reviendra plusieurs fois dans sa trajectoire, notamment lors de son jugement pour « abandon de poste » au Chemin des Dames.

Le camp d’instruction et le 27e Bataillon de Chasseurs Alpins

Le 27e BCA, engagé sur l’Aisne puis en Alsace-Vosges, est un corps d’élite. Roche s’y immisce et s’y révèle. Envoyé volontairement en première ligne, il affronte les obus, les tranchées, l’hiver et la boue. Il faut ici imaginer le jeune homme maigre, presque invisible, dans l’enfer d’un conflit total. C’est là que sa chance, sa ruse et son audace vont se combiner pour produire des actes dont bien peu d’hommes peuvent se targuer.

Le 27ᵉ bataillon de chasseurs alpins n’est pas une unité quelconque : surnommés les « diables bleus » par les Allemands, ses hommes ont la réputation d’être parmi les plus combatifs de l’armée française, notamment en terrain difficile. Leur uniforme bleu nuit, leur béret et leur formation en montagne les distinguent des autres fantassins, tout comme leur esprit de corps très affirmé. Se retrouver au milieu d’eux constitue pour Albert à la fois une épreuve et une opportunité : il doit prouver sa valeur à des combattants aguerris, mais il bénéficie aussi de l’exemple de soldats expérimentés. Les fronts où est engagé le 27ᵉ BCA – Vosges, Alsace, Aisne, notamment au Chemin des Dames – figurent parmi les plus meurtriers et les plus symboliques de la Première Guerre mondiale. Dans ces paysages de crêtes, de forêts et de tranchées creusées à flanc de coteau, la petite taille de Roche devient presque un atout : il se faufile, se camoufle, progresse au plus près des lignes ennemies.

Dans les tranchées de la Grande Guerre

Front de l’Aisne, Vosges et Alsace : l’enfer des « diables bleus »

L’engagement des Chasseurs Alpins est intense : retranchement, assauts, contre-attaques. Roche est là, au cœur du feu. Il est blessé neuf fois. Les conditions sont infernales, la boue chasse la neige, les cris remplacent parfois les ordres. Dans ce contexte, la figure de Roche s’affirme comme celle d’un homme qui ne recule jamais.

Au fil des mois, le 27ᵉ BCA se déplace d’un secteur à l’autre, participant à des opérations souvent peu connues du grand public mais essentielles au maintien des lignes françaises. Les combats dans les Vosges et en Alsace exigent une adaptation permanente : il faut s’installer dans des ouvrages sommaires creusés dans la roche, affronter le froid mordant, survivre aux bombardements qui arrachent des pans entiers de montagne. Dans cette guerre d’usure, la routine de la tranchée est tout aussi mortelle que les assauts : corvées, veilles, patrouilles nocturnes, évacuation des blessés. Roche s’y distingue par son refus obstiné d’être envoyé à l’arrière ; il se porte volontaire pour des missions exposées, y voyant non seulement une manière de servir, mais aussi une forme de cohérence avec son engagement initial. Chaque blessure, loin de le décourager, devient presque un nouveau serment silencieux : tant qu’il pourra tenir un fusil ou ramper sous les barbelés, il restera au front.

Missions d’éclat et capturés : la poignée de grenades par la cheminée

Un épisode légendaire : alors que les Allemands se chauffent dans une baraque, Roche (et ses compagnons) utilise une poignée de grenades, les jette par une cheminée, provoquant une explosion surprise. À l’ombre de ce vacarme, les ennemis se rendent : l’audace fait le reste. Ce genre d’action, où la ruse remplace les moyens conventionnels, est révélatrice du style de Roche : petit par la taille, énorme par l’esprit. Il capture ainsi des dizaines, des centaines de prisonniers. On lui attribue environ 1 180 prisonniers allemands durant la guerre. Un chiffre sidérant quand on pense que ce sont les petits hommes souvent oubliés qui font les grandes choses.

Cet épisode n’est pas isolé : d’autres récits évoquent un coup de main durant lequel Roche, après la destruction de sa tranchée par un bombardement, se retrouve seul survivant. Il aligne alors les fusils de ses camarades morts sur le parapet, tirant tour à tour pour faire croire à la présence d’une section entière, ce qui dissuade l’ennemi d’attaquer. Lors d’une autre mission, il est capturé avec un lieutenant blessé et conduit dans une casemate pour interrogatoire ; profitant d’un moment d’inattention, il s’empare du pistolet de l’officier allemand, l’abat et parvient à ramener non seulement son lieutenant, mais aussi plusieurs dizaines de prisonniers. Ces faits d’armes montrent un soldat qui ne compte pas sur la force brute, mais sur la surprise, la psychologie et le sang-froid. L’addition progressive de ces exploits alimente une réputation presque mythique au sein de son bataillon, où l’on sait que « le petit Roche » est capable des coups les plus audacieux.

Blessé neuf fois, prisonnier, jugé pour abandon de poste… et gracié

En avril 1917, au « Chemin des Dames », le capitaine de Roche est grièvement blessé. Alors que la mort frôle, Roche rampe, gratte six heures pour le rejoindre, enchaîne quatre heures encore pour le ramener jusqu’aux brancardiers. Quand il s’endort, épuisé, dans une tranchée, il est réveillé… et aussitôt arrêté pour « abandon de poste ». Il faillit être fusillé. Une arrestation qui aurait pu effacer toute gloire. Mais une estafette du capitaine intervient au dernier moment. Roche est gracié. Cet épisode marque à la fois la fatalité, l’absurdité de la guerre, et l’éclat de l’exception.

Nous sommes alors en pleine bataille du Chemin des Dames, marquée par des offensives mal préparées, de lourdes pertes et, quelques semaines plus tard, par des mutineries dans certaines unités. Dans ce climat de tension extrême, le haut commandement renforce la discipline : les cas d’« abandon de poste » ou de désobéissance peuvent être sanctionnés par la peine de mort, parfois au terme de procédures expéditives. Le cas d’Albert Roche est exemplaire de cette logique implacable : loin d’être un lâche, il vient d’accomplir un acte héroïque en sauvant la vie de son capitaine, mais la mécanique réglementaire ne tient pas compte de ce contexte. Enfermé au cachot, convaincu qu’il va être fusillé, il écrit une lettre bouleversante à son père où transparaît à la fois sa résignation et son attachement filial. L’arrivée in extremis de l’estafette, portant le témoignage du capitaine miraculeusement tiré du coma, apparaît presque comme une intervention providentielle. Cet épisode renforce encore la dimension tragique et romanesque de la vie de Roche : l’homme qui a frôlé la mort au feu frôle aussi la mort par décision administrative.

Au-dessus de tout, il continue à se battre, à subir les éclats d’obus, les douleurs, mais aussi à agir avec audace. On le décorera, on le saluera, mais Fernand Foch le qualifiera de « premier soldat de France ».

La suite de la guerre le voit alterner périodes de convalescence et retours en ligne, comme si son corps, à chaque fois, refusait la mise à l’écart prolongée. Chacune de ses citations mentionne des actes précis : prise de position ennemie, capture de prisonniers, maintien d’un secteur sous un feu particulièrement intense. Petit à petit, son dossier militaire se remplit de mentions élogieuses, contrastant avec les débuts difficiles au camp d’instruction. Lorsque Foch, en novembre 1918, le désigne publiquement comme « premier soldat de France », il ne s’agit pas d’une simple formule rhétorique : le maréchal souligne ainsi que, derrière les grands chefs, il y a des hommes du rang qui ont porté la guerre sur leurs épaules. En ce sens, Albert Roche incarne l’idéal du soldat de 1914-1918 : anonyme par statut, mais exceptionnel par ses actes.

Le 27 novembre 1918 : Foch-« Je vous présente votre libérateur »

Le balcon de Strasbourg et la foule en liesse

Le 27 novembre 1918, à Strasbourg libéré, Foch fait monter Roche sur le balcon de l’hôtel de ville. Devant une foule en liesse, il prononce cette phrase qui deviendra historique : « Je vous présente votre libérateur, le premier soldat de France ». Un instant solennel, un éclat de reconnaissance publique. Pour Roche, ce fut moins un triomphe qu’une confirmation : celui qui devait rester dans l’ombre venait d’être élevé.

Strasbourg, quelques jours après l’armistice du 11 novembre, symbolise le retour de l’Alsace-Lorraine à la France après près d’un demi-siècle d’annexion allemande. La ville est pavoisée, les rues noires de monde, les drapeaux tricolores flottent aux fenêtres. Sur le balcon de l’hôtel de ville, la présence du maréchal Foch incarne la victoire militaire, mais celle d’Albert Roche rappelle que cette victoire doit aussi beaucoup à des hommes restés sans galons. Foch aurait ajouté, parlant de Roche : « Il a fait tout cela, et il n’a pas le moindre galon de laine ! », soulignant le contraste entre son héroïsme et son statut modeste de simple chasseur. Cette scène, largement relayée alors par la presse, offre à Roche un bref moment de lumière nationale, avant que la vie civile ne le replonge progressivement dans l’anonymat.

Distinctions et décorations : légion d’honneur, croix de guerre

À la fin de la guerre, le bilan est hors norme : décorations, blessures, prisonniers. Roche devient chevalier de la Légion d’honneur le 3 septembre 1918. Mais il n’est jamais porté par l’orgueil. Il demeure humble, celui qui était refusé à 19 ans. Il a vécu la guerre comme une mission, non comme un trophée.

Outre la Légion d’honneur, il reçoit la croix de guerre avec de nombreuses citations, témoignant chacune d’un fait précis et daté. Ses supérieurs mettent en avant son sang-froid sous le feu, sa capacité à ramener des renseignements ou des prisonniers, ainsi que son influence positive sur le moral de ses camarades. Le chiffre de 1 180 prisonniers capturés en trois ans illustre l’ampleur de ses actions : ce n’est pas un exploit ponctuel, mais un ensemble d’opérations répétées. Ces décorations situent Albert Roche parmi les soldats les plus décorés de la Première Guerre mondiale, même s’il ne deviendra jamais une figure nationale comparable à certains as de l’aviation ou grands chefs militaires. Ce décalage entre son palmarès et sa relative obscurité médiatique d’après-guerre est au cœur de l’intérêt que lui portent aujourd’hui historiens et passionnés.

Retour à la vie civile : du front à la vie modeste

Après la guerre, on aurait pu croire qu’il vivrait dans l’honneur et la reconnaissance. Pourtant, Albert Roche choisit la modestie : il revient à ses racines rurales, travaille comme cantonnier, puis comme pompier. L’homme qui avait fait 1 180 prisonniers, qui avait connu neuf blessures, qui avait été présenté par Foch lui-même, s’éteindra en 1939, victime d’un accident de la circulation à Sorgues, avant de mourir à l’hôpital d’Avignon. Ce contraste aigu entre l’éclat des champs de bataille et la simplicité de la vie civile rend encore plus poignant le parcours d’un héros « oublié ».

Il se marie, fonde un foyer, tente de reconstruire une existence « normale » après les traumatismes du front. La France des années 1920 et 1930 est une société marquée par le deuil et la reconstruction : des monuments aux morts surgissent dans chaque village, mais la vie quotidienne doit reprendre son cours. Pour un homme comme Roche, habitué à l’intensité permanente des combats, le retour à un métier modeste peut être vécu à la fois comme un apaisement et comme une forme de mise entre parenthèses. Lors de ses obsèques, le gouvernement lui rend pourtant les honneurs militaires, et le ministre Édouard Daladier aurait fait remettre à sa veuve un don anonyme, signe que l’État n’a pas complètement oublié ce chasseur héroïque. Mais, très vite, le tumulte de la Seconde Guerre mondiale et les transformations de la mémoire nationale vont recouvrir d’un voile son nom et ses exploits.

Mémoire et postérité : l’écho d’un « premier soldat de France »

Le buste de Réauville, timbre commémoratif et hommage

À Réauville, un buste a été érigé devant la maison natale en 1971. En 2018, la Poste émet un timbre à sa mémoire. Des projets pédagogiques, des commémorations, des expositions honorent aujourd’hui ce soldat mythique. Le village s’engage à transmettre son souvenir aux générations montantes. La présence de ce buste au cœur même du village rappelle, à chaque passage, que l’histoire nationale se joue aussi dans les lieux les plus modestes. Des plaques, des expositions temporaires et des animations scolaires viennent régulièrement redonner chair à la figure d’Albert Roche, notamment lors des grandes dates commémoratives de la Première Guerre mondiale. En 2018, à l’occasion du centenaire de l’armistice, plusieurs cérémonies et projets locaux sont organisés pour mettre en valeur son parcours ; le timbre commémoratif participe de ce mouvement de redécouverte au niveau national. Ces initiatives rappellent que la mémoire n’est pas figée : elle se renouvelle à travers les générations, les recherches historiques et l’engagement des collectivités locales. Réauville, en revendiquant le titre de « village du premier soldat de France », inscrit son identité dans une histoire plus large, celle de la Grande Guerre et de ses héros.

Pourquoi son nom est-il resté moins connu ?

Malgré ses exploits, Roche n’a pas reçu la même postérité que certains grands officiers. Plusieurs pistes peuvent être avancées : il était simple soldat, non général ; son récit n’a pas été amplifié par les grandes maisons d’édition ; l’histoire officielle privilégie parfois les figures stratégiques plutôt que les « petites mains » de la victoire. Pourtant, c’est bien l’homme du front, le simple chasseur alpin, qui a saisi l’instant et contribué, à sa mesure, à la grandeur de la France. L’oubli est un phénomène complexe, mais l’heure du retour est peut-être venue.

La mémoire publique fonctionne souvent par symboles faciles à identifier : un général, un maréchal, un as de l’aviation ou une figure politique se prête mieux à la construction d’un récit national que le soldat anonyme, fût-il exceptionnel. Dans l’entre-deux-guerres, des centaines de milliers d’anciens combattants reviennent dans leurs villages, et les histoires individuelles se noient dans le flot d’une expérience partagée. De plus, le fait qu’Albert Roche n’ait pas cherché à se mettre en avant, qu’il ait mené une vie discrète de cantonnier puis de pompier, n’a pas favorisé la mise en récit de son parcours. La Seconde Guerre mondiale, puis les conflits de décolonisation, ont aussi déplacé le regard de l’opinion vers d’autres événements, reléguant la Grande Guerre, un temps, au second plan. Ce n’est qu’avec le renouveau de l’historiographie et des commémorations de 1914-1918, notamment à l’occasion des anniversaires, qu’un intérêt renouvelé pour les « héros oubliés » a permis de remettre en lumière des figures comme la sienne.

Le héros aujourd’hui : témoignages, BD, expositions

Une bande dessinée publiée en 2024, « Héros de guerre, Tome 1 : Albert Roche », raconte sa vie. Des écoles à Réauville rendent hommage, la flamme sous l’Arc de Triomphe est ramenée lors de cérémonies commémoratives. Sans doute, l’histoire de Roche, racontée comme un récit d’aventure – et non seulement comme un rapport militaire – trouve aujourd’hui un écho nouveau auprès du grand public. La bande dessinée et les ouvrages récents consacrés à Albert Roche participent à une forme de vulgarisation exigeante : ils mêlent documentation solide et narration immersive, ce qui correspond précisément à ce que recherchent les lecteurs contemporains. Les expositions organisées à Grenoble, à Réauville ou dans d’autres villes replacent son parcours dans celui du 27ᵉ BCA et, plus largement, dans la Grande Guerre, en présentant photos, lettres, cartes et objets personnels. Les enseignants, notamment dans la Drôme, utilisent de plus en plus son histoire pour illustrer, auprès des élèves, le quotidien des poilus, la question du courage et la complexité de la discipline militaire en temps de guerre. À travers ces supports variés – livres, BD, expositions, ressources en ligne – Albert Roche cesse d’être seulement un nom gravé sur une stèle pour redevenir un personnage vivant, avec ses contradictions, ses peurs et sa détermination.

Sources et bibliographie

  • Dominique Lormier, Albert Roche, premier soldat de France : 1914-1918, 2020, Le Retour aux Sources – Lien
  • Commune de Réauville, Albert Roche – Premier Soldat de France, s.d., Mairie de Réauville – Lien

Plongez au cœur des récits authentiques de la Première Guerre mondiale : actes héroïques, destins brisés et moments d'humanité sur le front.

Retrouvez-nous sur : Logo Facebook Logo Instagram Logo X (Twitter) Logo Pinterest

Les illustrations ont été générées par intelligence artificielle pour servir le propos historique et afin d’aider à l’immersion. Elles ont été réalisées par l’auteur et sont la propriété du Site de l’Histoire. Toute reproduction nécessite une autorisation préalable par e-mail.

Commentaires