Aux origines mythologiques de Rome : entre l’Arcadie grecque, Hercule et la légende d’Énée

Allégorie de la fondation de Rome – Arcadie, Troie et Hercule (style Alma-Tadema)
Allégorie de la fondation de Rome, entre héritages arcadien, troyen et héroïque.

Rome, entre Arcadie, Troie et Hercule : explorez les mythes grecs fondateurs qui ont façonné l’identité et la mémoire des origines de la Ville éternelle.

Introduction

Avant Romulus, aux premières lueurs de l’aube, quand la brume se levait encore sur les collines du Latium, le destin d’une cité encore inexistante se tissait déjà dans les récits des poètes et la mémoire des peuples. Avant même que Romulus ne trace son sillon sur le Palatin, bien des traditions couraient sur les origines de Rome. Ces mythes n’étaient pas tous latins ; certains venaient de la Grèce, nourris des antiques récits arcadiens, des expéditions maritimes et des alliances troyennes. Rome, future maîtresse du monde, se rêvait déjà comme l’héritière de dieux et de héros. Il faut imaginer ces récits racontés au coin du feu, par des colons grecs établis en Italie du Sud, ou transmis par les poètes hellènes désireux de tisser des liens entre leur civilisation et ces peuples d’Hespérie. Les Arcadiens, les Pélasges, les Troyens, mais aussi Hercule et Énée, vinrent inscrire leur nom dans cette tapisserie foisonnante des origines. 

À travers eux, Rome se forgeait une généalogie à la mesure de ses ambitions : universelle, glorieuse et divine. Les collines du Latium formaient alors un paysage encore sauvage, couvert de forêts épaisses où rôdaient des loups, traversé par le Tibre, ce fleuve puissant qui allait devenir l’artère vitale de la future ville. Les Aborigènes, les Rutules, les Latins vivaient déjà là, cultivant une terre fertile et se battant pour leurs territoires. Pourtant, cette Italie archaïque n’était pas isolée : déjà, des navires grecs, étrusques et phéniciens fréquentaient ses côtes, apportant marchandises et récits. Ces mythes fondateurs servaient autant à légitimer les colons qu’à unir les peuples. Ils fonctionnaient comme une diplomatie imaginaire, une manière de dire : « Nous avons la même origine, nous partageons les mêmes dieux. » Le destin de Rome devenait une question qui dépassait l’Italie. Certains poètes antiques, comme Denys d’Halicarnasse ou Virgile, insistaient sur le rôle des dieux : dès l’origine, Jupiter, Vénus et d’autres puissances célestes s’affrontaient pour décider quel peuple, quelle lignée aurait l’honneur de fonder Rome. Ainsi, l’histoire humaine s’entremêlait d’un plan divin. Rome, avant même de naître, n’était pas une ville parmi d’autres : elle était déjà perçue comme un projet universel, un lieu où les mémoires de plusieurs mondes – grec, troyen, latin – allaient converger. La multiplicité de ces récits révèle un fait profond : il n’y eut pas une Rome, mais des Rome possibles, des visages mythiques qui se superposèrent avant que n’émerge celui de Romulus.

Les racines arcadiennes : Pallas, Évandre et Pallantium

Pallas, fils de Lycaon et aïeul mythique

Au commencement de ce voyage mythologique, il y a Pallas, fils du roi Lycaon d’Arcadie. Selon certaines traditions, ce prince devint l’éponyme de la cité de Pallantion, perdue dans les montagnes arcadiennes. De lui naquit une descendance illustre : sa fille épousa Dardanos, l’ancêtre des Troyens. Ainsi se tissait déjà un premier lien entre l’Arcadie et la Troade, entre la Grèce et ce qui deviendrait plus tard le Latium. Par ce mariage, Énée lui-même, héros troyen, se retrouvait rattaché à l’Arcadie par le sang. Ce détail, apparemment anodin, allait devenir un outil narratif puissant : il permettait aux Grecs d’affirmer que l’arrivée d’Énée en Italie n’était pas un hasard, mais un retour vers une terre où ses ancêtres avaient déjà imprimé leur empreinte. Lycaon, le père de Pallas, est lui-même une figure ambivalente. La mythologie raconte qu’il osa tromper Zeus en lui offrant de la chair humaine. Le dieu, furieux, le frappa de sa foudre et le transforma en loup : d’où vient le mot « lycanthrope ». Cette lignée, marquée par la transgression et la sauvagerie, donne à Pallas une origine sombre, presque inquiétante. Pourtant, son nom devient synonyme de prestige en Arcadie. Les auteurs antiques, comme Pausanias, soulignent que Pallantion était une cité de haute antiquité, réputée pour ses cultes anciens. En la reliant à Rome, les Grecs offraient aux Romains une antiquité comparable à celle de la Grèce. Cela donnait à Rome une profondeur temporelle qui la plaçait au même niveau que les grandes cités helléniques. 

L’Arcadie, dans l’imaginaire grec, était une terre pastorale et reculée, symbole de pureté et d’ancienneté. Dire que Rome descendait d’Arcadie, c’était la rattacher à une source primordiale de civilisation. De plus, le parallèle entre Pallas et Énée est saisissant : tous deux sont marqués par l’exil, l’errance et la nécessité de fonder ailleurs un destin. Leurs histoires résonnent comme deux échos, deux étapes d’un même chemin menant à Rome. Dionysios d’Halicarnasse, historien grec, n’hésite pas à rappeler ces filiations pour justifier la légitimité grecque des origines de Rome. Ainsi, dès l’aube, les Grecs se posaient comme les tuteurs spirituels de la future cité.

Évandre et Carmenta arrivant dans le Latium – fondation de Pallantium sur le Palatin
Évandre, guidé par sa mère, la prophétesse Carmenta, plante la mémoire arcadienne sur le Palatin.

Évandre et la naissance de Pallantium sur le Palatin

Mais le véritable héros grec à fouler le sol du futur site de Rome fut Évandre, descendant direct de Pallas. Selon la légende, il quitta l’Arcadie en compagnie de sa mère, la prophétesse Carmenta, et navigua jusqu’en Italie. Là, il fonda une colonie qu’il baptisa Pallantium, en mémoire de sa cité natale. Ce village, installé sur le mont Palatin, allait devenir le berceau de Rome. Évandre n’était pas seulement un roi migrant : il était aussi un civilisateur. Il introduisit l’écriture grecque, enseigna l’agriculture et transmit de nombreux cultes. Ovide raconte qu’il apporta le culte de Pan, qu’il identifia au dieu italien Faunus. On dit aussi qu’il institua les Lupercales, ces rites purificateurs qui marqueront profondément la religion romaine. Son exil avait une dimension prophétique : Carmenta, sa mère, avait annoncé que de sa migration naîtrait une puissance immense. Ce thème de l’exil fondateur, si fréquent dans les mythes, réapparaît plus tard avec Énée. La fondation de Pallantium est aussi symbolique : donner le nom de Pallantion à une colline du Latium, c’était transplanter l’Arcadie en Italie. Ce geste de mémoire inscrivait dans le paysage une filiation éternelle. Évandre aurait également rencontré Hercule lors de son passage en Italie. Les deux héros, l’un grec exilé, l’autre demi-dieu errant, auraient partagé un culte commun. Ce détail montre comment la mythologie aimait tisser les destins. Le Palatin, où Évandre s’installe, deviendra le cœur de Rome. Ce choix topographique n’est pas anodin : proche du Tibre, mais sur une hauteur, c’était un lieu défendable et prospère. L’histoire transforme ainsi un choix stratégique en geste mythique. Enfin, Évandre n’a pas seulement importé des cultes : il a transmis un imaginaire pastoral, une mémoire musicale (on disait qu’il introduisit la lyre). Rome, plus tard, se souviendra de lui dans ses fêtes religieuses.

Des colons arcadiens à l’élaboration d’un pouvoir mythique

Quand les Arcadiens se pensent ancêtres des Italiques

À partir du VIᵉ siècle avant notre ère, de nombreux colons grecs s’installent dans le sud de l’Italie, en Grande-Grèce. Pour justifier leur présence et créer un lien avec les autochtones, ils racontent des histoires : selon eux, presque tous les peuples italiques descendaient d’anciennes migrations grecques. Les Oenôtriens ? Issus d’Oenôtros, un fils d’Arcadie. Les Aborigènes du Latium ? Arcadiens exilés. Les Étrusques eux-mêmes, affirmaient certains, étaient issus des Pélasges de Thessalie. Ces récits faisaient des Grecs les véritables pères fondateurs de l’Italie. Hellanikos de Lesbos ou Antiochos de Syracuse ont transmis ces versions, témoignant de leur diffusion. Chaque peuple d’Italie se voyait attribuer un ancêtre grec : c’était une manière de réécrire le passé à l’avantage des colons. Les Pélasges, peuple mythique considéré comme proto-grec, étaient ainsi projetés en Italie comme fondateurs de villes étrusques. L’Italie devenait une extension de la Grèce, une « Grande Hellade ». Cette appropriation permettait aux Grecs de revendiquer une légitimité culturelle face aux autochtones. Elle plaçait la Grèce comme origine universelle, comme mère de tous les peuples civilisés. Rome, dans ce cadre, apparaissait comme l’aboutissement d’un dialogue entre Arcadie et Italie. Elle devenait le carrefour de filiations multiples, toutes reliées à la Grèce.

Mythe, colonie et commerce entre Grèce et Italie

Ces généalogies mythologiques n’étaient pas seulement de la poésie : elles répondaient à un besoin politique et économique. Les Grecs, commerçants et colons, cherchaient à établir des passerelles culturelles avec les populations locales. En revendiquant des ancêtres communs, ils facilitaient leurs échanges et légitimaient leur présence. Au VIIIᵉ siècle av. J.-C., les Grecs fondèrent des cités comme Cumes, Sybaris, Tarente. Ces pôles devinrent des centres d’échanges où circulaient blé, vin, huile, mais aussi idées et mythes. Les sanctuaires jouaient un rôle clé : Apollon à Cumes, ou Héra en Calabre, devinrent des lieux où Grecs et Italiques pouvaient se rencontrer. La mythologie servait ainsi de langage commun. Dire que les Aborigènes venaient d’Arcadie, c’était créer une fraternité fictive qui rendait le commerce plus fluide. Rome, encore inexistante, se plaçait déjà au cœur de ce réseau : future cité carrefour, héritière de traditions multiples. Les Étrusques, eux aussi, furent intégrés à ce récit : les Grecs leur inventèrent une origine grecque (pélasgienne), comme pour mieux en faire des partenaires commerciaux et culturels. Ces récits montrent que la mythologie était une forme de propagande douce. Elle installait une paix culturelle préalable aux alliances réelles. Rome n’aurait pas pu devenir ce qu’elle fut sans cette toile de récits, qui lui donnait déjà une mémoire commune avec le monde grec.

Alternatives mythiques à la fondation grecque

Rhome, la Troyenne, épouse de Latinos

Certains récits donnent une place centrale aux femmes. Ainsi, la légende de Rhome, une Troyenne exilée après la guerre, raconte qu’elle épousa le roi Latinos. Ensemble, ils eurent trois fils : Rhomos, Romulos et Télégonos, qui fondèrent une cité en l’honneur de leur mère. Ce récit, transmis par Callias de Syracuse, souligne l’importance des fondations féminines dans les mythes. Ici, ce n’est pas un héros, mais une femme, qui donne son nom à Rome. Cela illustre aussi le rôle des Troyennes dans la survie du peuple troyen après sa chute.

Romos, enfant d’Énée ou d’Ascagne

Une autre version fait de Romos le fils d’Énée lui-même, ou de son fils Ascagne. Rome se verrait ainsi directement liée à la descendance troyenne, mais sans passer par la dynastie d’Alba Longa. Cette tradition souligne le désir de relier directement Rome au héros troyen, sans intermédiaire.

Romus, fils de Leucaria et d’Italus

Certains mythes, plus locaux, affirmaient que Romus descendait d’Italus, éponyme de l’Italie, et de sa fille Leucaria. Rome devenait ainsi l’héritière directe de la péninsule italienne. Ce récit ancre Rome dans son propre sol, affirmant une autochtonie en même temps qu’une grandeur.

Le fils de Zeus, fondateur mystérieux

Enfin, d’autres traditions attribuaient la fondation à un Romus fils de Zeus, soulignant encore l’importance du divin dans ces récits. Cette version montre la volonté d’élever Rome au rang de cité divine, protégée par le roi des dieux lui-même.

Hercule contre Cacus au Forum Boarium – Ara Maxima, mythe fondateur de Rome
Le combat d’Hercule et Cacus aux abords du Tibre, futur Forum Boarium.

Hercule, le héros civilisateur et l’axe sacré du futur Rome

Le combat contre Cacus au Forum Boarium

Hercule n’est pas un fondateur de Rome, mais il est impossible d’ignorer son passage. Lors de son dixième travail, il ramenait le bétail de Géryon lorsqu’il traversa l’Italie. Dans la vallée du Tibre, il fut attaqué par Cacus, un brigand monstrueux qui vivait dans une grotte sur l’Aventin. Le combat fut terrible. Cacus avait dérobé des bœufs en les traînant par la queue pour effacer leurs traces. Mais Hercule, guidé par les mugissements des animaux, découvrit la ruse. Le héros tua le brigand et libéra la région de sa terreur. Selon Virgile dans l’Énéide (VIII, 190-275), Cacus crachait des flammes et laissait derrière lui une puanteur infernale, symbole des forces du chaos qui menaçaient les hommes. Denys d’Halicarnasse raconte que les habitants du Latium furent témoins de cette victoire et virent en Hercule un libérateur divin. Ce mythe reflète le passage de la barbarie à la civilisation : la bête qui vole et massacre est vaincue par le héros porteur de loi et d’ordre. Le lieu même du combat, au pied de l’Aventin et du Palatin, marquait déjà un espace de confrontation entre la nature sauvage et la future organisation urbaine. Dans cette lutte, Hercule incarne l’archétype du fondateur sans couronne : celui qui, par la force et la justice, pacifie le territoire avant que les cités ne s’y établissent.

L’Ara Maxima, premier autel de Rome

En mémoire de cette victoire, Hercule érigea un autel, l’Ara Maxima, dans le futur Forum Boarium, au bord du Tibre. Cet autel devint l’un des plus anciens lieux de culte de Rome, longtemps honoré par les Romains. Il marquait un lieu de passage, entre le fleuve et la colline, entre l’élevage et le commerce. Tite-Live (I, 7) rapporte que cet autel fut entretenu par les familles patriciennes des Potitii et des Pinarii, ce qui souligne l’ancienneté et la noblesse du rite. Les sacrifices qui s’y déroulaient étaient strictement codifiés : la viande devait être consommée crue, en souvenir du combat brutal contre Cacus. Cette singularité cultuelle distinguait le culte d’Hercule des autres rites romains, plus policés. L’Ara Maxima n’était pas seulement un lieu religieux : c’était aussi une mémoire inscrite dans la pierre, rappelant que Rome devait sa paix à l’action d’un héros grec. Il est significatif que ce culte ait perduré jusqu’à l’époque impériale, preuve que la victoire d’Hercule sur Cacus était perçue comme une victoire inaugurale pour l’histoire romaine. À travers lui, les Romains associaient leur destin à une victoire divine sur les forces de désordre, ancrant leur cité dans un cadre sacré immémorial.

L’axe sacré d’Hercule et la mémoire du héros

Hercule ne fonda pas la ville, mais il laissa une marque décisive : un axe sacré et économique, reliant le fleuve, le commerce du bétail, et les premiers rites religieux. Ce lieu, occupé par l’Ara Maxima, fut ensuite intégré dans le tissu urbain de Rome. Ainsi, Hercule apparaît comme un précurseur, celui qui, avant Romulus et Énée, prépare symboliquement le sol de la future capitale. Le Forum Boarium, lieu des marchés aux bestiaux, resta intimement lié à son nom : on y célébrait encore les Herculia, fêtes où l’on rappelait son combat victorieux. Cet espace fonctionnait comme une porte d’entrée de la cité : on y accédait par le Tibre, on y commerçait, on y sacralisait la mémoire d’un héros. Les Romains voyaient dans Hercule le garant de la prospérité et de la circulation des richesses, car il avait ouvert la voie du commerce en protégeant les troupeaux. Denys d’Halicarnasse souligne que cet axe religieux fut l’un des premiers points d’articulation entre mythe et topographie romaine. En reliant le culte à un lieu concret, Hercule devenait une figure géographique autant qu’héroïque. Son souvenir perdura dans la Rome républicaine et impériale, où les généraux victorieux aimaient s’identifier à lui comme au prototype du conquérant civilisateur. L’Ara Maxima, avec ses rites, fonctionnait donc comme une pierre de fondation invisible : pas celle des murailles, mais celle de l’ordre symbolique qui allait structurer Rome pour l’éternité.

Énée portant Anchise et guidant Ascagne – fuite de Troie en flammes, destin de Rome
Énée, figure de piété et de continuité, emporte dieux et mémoire vers l’Italie.

Énée, la figure troyenne devenue fondement officiel

Le voyage tragique et héroïque

Mais le mythe le plus célèbre demeure celui d’Énée. Fils d’Anchise et de Vénus, survivant de la chute de Troie, il incarne la piété et la résilience. Guidé par les dieux, il traverse la Méditerranée, affronte tempêtes et épreuves, avant d’aborder les rivages du Latium. Son errance passe par Carthage, où il rencontre la reine Didon, par la Sicile, où il célèbre ses morts, et par le monde des Enfers, où son père lui révèle la destinée de Rome. Virgile, dans l’Énéide, en fait un héros tiraillé entre son devoir et ses passions, notamment lorsqu’il doit abandonner Didon, incarnation poignante du sacrifice personnel exigé par le destin. Les tempêtes que soulève Junon symbolisent la résistance divine au projet romain, montrant que la fondation de la Ville éternelle ne pouvait se faire qu’au prix d’une lutte contre les forces hostiles. Les étapes du voyage sont autant de stations initiatiques : en Sicile, Énée célèbre les jeux funèbres en mémoire d’Anchise, inscrivant son périple dans un temps sacré. Sa descente aux Enfers, inspirée d’Homère mais enrichie d’une profondeur morale nouvelle, lui révèle la procession des futurs héros romains, de Romulus à Auguste. Par cette vision, le poète lie le passé troyen au futur impérial, donnant à l’exil d’Énée une dimension universelle. La figure d’Énée n’est donc pas seulement celle d’un survivant : il devient le garant de la continuité historique, le trait d’union entre Troie anéantie et Rome encore à naître.

Lavinia et Énée – Lavinium et Alba Longa, jalons troyens des origines de Rome
Énée et Lavinia fondent Lavinium et Alba Longa, deux étapes sacrées vers la naissance de Rome.

Lavinium et Alba Longa : de l’exil à la dynastie

Accueilli par le roi Latinus, il épouse sa fille Lavinia et fonde Lavinium. Son fils Ascagne, ou Iule, fonde plus tard Alba Longa, dont la lignée donnera naissance à Romulus et Rémus. Cette généalogie assure à Rome une ascendance troyenne, prestigieuse et héroïque. Lavinium n’était pas qu’une ville : elle abritait les Pénates troyens, dieux domestiques transportés par Énée, ce qui conférait à la cité un rôle religieux primordial dans la mémoire romaine. Les Romains considéraient que c’était là que se trouvait l’autel originel du feu sacré de Troie, perpétuant un lien indissoluble avec la cité détruite. Alba Longa, fondée par Ascagne, prolongeait ce cycle : elle devint la métropole des rois albains, ancêtres de Romulus. Denys d’Halicarnasse rappelle que la durée de règne de ces rois fut soigneusement calculée par les annalistes romains pour assurer une transition chronologique cohérente entre Énée et la naissance de Rome. Cette généalogie n’était pas seulement un récit : elle constituait une véritable charpente historique, utilisée par les prêtres et les sénateurs romains pour ancrer leur cité dans une continuité sacrée. Chaque cité fondée par Énée ou ses descendants devenait une pierre posée sur le chemin qui conduirait inéluctablement à Rome.

Rivalité des mythes : Grèce vs Troie dans la mémoire romaine

Cette tradition, mise en valeur par Virgile dans l’Énéide, répond aussi à une volonté politique : sous Auguste, Rome préfère revendiquer une origine troyenne, victorieuse et indépendante de la Grèce, plutôt qu’une filiation trop marquée par l’Arcadie. L’opposition est claire : les Grecs voyaient Rome comme leur héritière, mais Auguste la voulait descendante de Troie, donc égale et non subordonnée. Ce choix n’était pas anodin : il permettait d’inverser le mythe de la guerre de Troie, en faisant des vaincus d’hier les fondateurs des vainqueurs d’aujourd’hui. La filiation troyenne permettait aussi d’expliquer la rivalité permanente entre Rome et Carthage, puisque Didon, trahie par Énée, devenait la matrice d’une haine immortelle transmise à ses descendants puniques. À l’inverse, se dire héritiers de l’Arcadie aurait impliqué une dépendance culturelle trop directe à l’égard de la Grèce, chose qu’Auguste voulait éviter au moment où il construisait une identité impériale autonome. La propagande augustéenne fit ainsi d’Énée le parangon des vertus romaines : la piété, le respect du destin, le sacrifice des intérêts personnels pour le bien commun. Les poètes, sculpteurs et architectes multiplièrent les images d’Énée portant Anchise sur ses épaules, symbole du poids de la tradition assumé pour préparer l’avenir. Ainsi, la mémoire collective romaine fut réorientée : au lieu d’une Rome fille de la Grèce, on choisit une Rome héritière de Troie, destinée à dominer le monde en vertu d’un mandat divin.

Sources

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