La mystérieuse mort d’Édouard II : vérité historique et légende du tisonnier au Moyen Âge

Mort mystérieuse d'Édouard II d’Angleterre, légende médiévale du tisonnier au château de Berkeley
Un roi déchu, un meurtre mystérieux, une légende macabre : découvrez la vérité et les mythes autour de la mort d’Édouard II d’Angleterre.

Mystère et légende autour de la mort d’Édouard II d’Angleterre : complots, tisonnier brûlant et mémoire trouble d’un roi médiéval controversé.

Introduction

La nuit s’étire lentement sur les terres humides du Gloucestershire. Dans les pierres sombres du château de Berkeley, un silence épais pèse sur chaque corridor. Là, au fond d’un cachot mal éclairé, un roi vit ses dernières heures. Mais nul ne sait vraiment ce qui s’est passé entre ces murs le 21 septembre 1327. La seule certitude : Édouard II d’Angleterre, déchu, humilié, enfermé, meurt brutalement.

Est-il mort étouffé par ses geôliers ? A-t-il subi un supplice barbare, un tisonnier incandescent enfoncé dans le corps ? Ou s’est-il échappé, vivant caché ses dernières années en exil ?

Le règne d’Édouard II reste l’un des plus controversés de l’histoire anglaise, à la fois par sa personnalité, ses alliances et les circonstances troublantes de sa chute. Contrairement à son père, Édouard Ier, conquérant et législateur, Édouard II se montre hésitant, plus préoccupé par ses relations personnelles que par les affaires d’État. Son attachement quasi obsessionnel à ses favoris, en particulier Piers Gaveston, provoque une hostilité grandissante parmi les barons. Le royaume traverse alors une période de grande instabilité, marquée par des famines, des défaites militaires contre l’Écosse et des tensions internes explosives. Dès lors, la mort d’un roi aussi controversé ne pouvait qu’être enveloppée de récits troubles et de récits métaphoriques. Plus qu’un simple événement, la fin d’Édouard II illustre les luttes de pouvoir d’un Moyen Âge en mutation, entre monarchie affaiblie et aristocratie triomphante.

Le piège royal

La chute d’un souverain

Fils du célèbre Édouard Ier, le « Marteau des Écossais », Édouard II accède au trône en 1307. Mais il n’a ni la poigne de son père, ni son talent militaire. Très vite, son règne est marqué par des révoltes nobiliaires, des défaites militaires et une dépendance excessive envers ses favoris, notamment Piers Gaveston puis Hugh Despenser.

La relation avec Piers Gaveston, favori flamboyant, est perçue comme une humiliation par une noblesse qui se sent évincée du pouvoir. En 1312, Gaveston est capturé et exécuté sans jugement par les barons, marquant le début d’une guerre larvée entre le roi et son aristocratie. Après lui, Édouard s’entiche de Hugh Despenser, un autre favori dont l’ambition politique déclenche une nouvelle série de conflits. Les Despenser sont accusés d’accaparement des terres, de violences contre les seigneurs gallois et de manipulations judiciaires, ce qui intensifie la haine qu’on leur voue. L’opposition à la cour royale devient si violente qu’une guerre civile éclate, culminant avec l’entrée triomphale d’Isabelle de France à Londres en 1326. En janvier 1327, Édouard est officiellement déposé par le Parlement, un fait inédit dans l’histoire anglaise, qui soulève la question taboue du droit à destituer un roi.

Captif à Berkeley

En avril 1327, Édouard II est transféré au château de Berkeley, dans le Gloucestershire. Il y est confié à Thomas de Berkeley et à son beau-frère, John Maltravers. L’ordre est clair, mais implicite : veiller à ce que l’ancien roi ne puisse plus jamais menacer le nouveau pouvoir.

Le château de Berkeley, ancien fief normand, se dresse dans une région marécageuse et isolée, idéale pour enfermer un prisonnier royal à l’écart du tumulte. Le roi, sous surveillance constante, n’a plus aucun contact avec l’extérieur, pas même avec son fils, désormais roi sous régence. On lui retire ses effets personnels, ses serviteurs fidèles sont remplacés par des gardiens loyaux à Mortimer. Les lettres qu’il aurait pu envoyer sont interceptées ou censurées, pour éviter tout signe d’activité politique. Certains témoignages rapportent que ses conditions de détention se dégradent progressivement, avec des privations alimentaires et une absence d’hygiène. Les rares témoins évoquent un homme brisé, amaigri, mutique, mais toujours habité par la dignité d’un ancien roi.

Quand le mythe devient brûlure

Le récit du tisonnier

C’est dans la nuit du 21 septembre que le drame survient. L’obscurité s’est installée sur le château de Berkeley, enveloppant ses murs d’un silence oppressant, seulement rompu par les craquements du bois humide et les plaintes lointaines du vent. Dans les couloirs déserts, deux hommes s’avancent prudemment, guidés par la torche vacillante d’un serviteur complice. Ils savent ce qu’ils sont venus faire : un acte irréversible, commandé dans l’ombre, dissimulé sous le manteau du secret d’État.

Le roi, affaibli, repose dans une cellule austère, aux murs suintants de froidure. Le peu de paille qui lui sert de couche dégage une odeur de moisissure, et son sommeil est souvent troublé par des cauchemars et des gémissements involontaires. Certains disent qu’il parle seul, d’autres qu’il pleure, parfois, dans le noir. Lorsque les assassins entrent, il est peut-être éveillé. Peut-être même les attend-il, résigné, l’esprit déjà ailleurs, loin des trahisons de ce monde.

Le matin suivant, un messager quitte précipitamment le château, lançant son cheval à bride abattue sur les chemins boueux en direction de Londres. Il porte une nouvelle lourde de conséquences : le roi est mort, mais sans détails, sans autopsie, sans témoin. La cause officielle reste vague, presque murmurée. Certains parlent d’un malaise nocturne, d’une fièvre subite, mais personne n’y croit vraiment.

C’est Geoffrey le Baker, un moine chroniqueur du XIVe siècle, qui rapporte pour la première fois, deux décennies plus tard, une version aussi effrayante que troublante. Selon lui, les deux hommes auraient maîtrisé le roi, le maintenant fermement au sol, et introduit dans son corps un tisonnier rougi au feu, dans le but délibéré de le tuer sans laisser la moindre trace extérieure. La scène, si elle a réellement eu lieu, est d’une violence inouïe, mais aussi d’une précision cruelle : le feu dans les entrailles, la brûlure silencieuse, l’agonie privée d’appel.

Mais il faut insister : ce récit n’apparaît pas dans les sources contemporaines de 1327. Il n’émerge que dans des chroniques postérieures, comme certaines versions du Brut et l’œuvre de Geoffrey le Baker. Autrement dit, il s’agit d’une tradition tardive qui reflète davantage la volonté des chroniqueurs de moraliser l’histoire que la réalité des faits. Les historiens modernes, tels que Seymour Phillips, jugent ce récit hautement suspect : s’il y eut assassinat, la suffocation discrète reste une hypothèse beaucoup plus plausible.

Ce supplice glaçant ne pouvait qu’évoquer un châtiment à connotation sexuelle. Dans une société où les relations intimes entre hommes étaient condamnées comme « contre-nature », il était aisé de lier ce mode d’exécution à la réputation sulfureuse d’Édouard II et à ses attachements envers Piers Gaveston et Hugh Despenser. Le supplice n’était donc pas seulement une mise à mort : il devenait une allégorie de ses prétendus péchés. De nombreux chroniqueurs, fascinés ou scandalisés, relayèrent ce détail, contribuant à ce que l’épisode défraie la chronique bien au-delà des frontières anglaises. Une telle méthode, bien que douteuse médicalement et difficile à appliquer avec la technologie de l’époque, résonne étrangement avec les fantasmes médiévaux liés à la sodomie, perçue comme une transgression majeure du corps social. Ce châtiment, s’il a existé, n’aurait pas seulement visé à tuer : il aurait servi de message. Un message invisible, mais terrible, que seuls les puissants sauraient interpréter.

Cette exécution symbolique aurait puni le roi pour son affection jugée excessive envers ses favoris, et montré aux futurs souverains les risques d’un pouvoir mal maîtrisé. L’imagerie du tisonnier — long, rougeoyant, silencieux — a nourri pendant des siècles les imaginaires collectifs, au point que ce récit, aussi incertain soit-il, est devenu la version la plus largement admise de sa mort. Elle a traversé les époques, les récits, les scènes de théâtre, jusqu’à être figée dans la mémoire populaire comme un fait établi.

Le dramaturge Christopher Marlowe, dans sa pièce Edward II, n’a pas hésité à en faire une scène centrale de son œuvre, jouant sur l’ambiguïté entre vérité historique et allégorie politique. Plus près de nous, c’est l’écrivain Maurice Druon, dans sa célèbre saga Les Rois maudits, qui reprend ce récit atroce et en fait l’un des moments les plus saisissants de son cycle. Avec son sens du détail dramatique et son goût pour les destins brisés, Druon contribue à figer dans la mémoire collective l’image d’un roi humilié par un supplice sexuellement connoté, prolongeant ainsi la tradition des chroniqueurs médiévaux et de Marlowe. Grâce à cette œuvre de fiction historique, le « tisonnier de Berkeley » est devenu presque indissociable du destin d’Édouard II, même si les historiens contemporains rappellent sans cesse qu’il s’agit d’une légende.

Une légende construite

Les historiens modernes s’accordent pour dire que cette version est probablement une invention propagandiste, forgée dans le climat sulfureux du XIVe siècle. La société médiévale adorait les récits exemplaires : une mort atroce devenait une mise en garde morale contre la débauche, l’abus de pouvoir ou la faiblesse royale. Le supplice du tisonnier renvoie à l’idée de « punition divine », en châtiment des fautes supposées d’Édouard, notamment son favoritisme excessif envers d’autres hommes. Il est peu probable que les geôliers aient pris un tel risque : une mort trop voyante aurait pu provoquer un scandale politique. La discrétion de l’enterrement et l’absence d’autopsie (impensable à l’époque) ont laissé le champ libre à toutes les spéculations. La distance temporelle entre les faits et les premiers récits écrits affaiblit encore davantage la fiabilité de cette version.

Entre complot et dissidence

Qui a commandité la mort ?

La question essentielle reste : qui a ordonné la mort d’Édouard II ? Tout semble pointer vers Roger Mortimer, l’amant d’Isabelle et régent de fait du royaume. Il avait tout à gagner à faire disparaître l’ancien roi.

Isabelle et Mortimer avaient tout intérêt à effacer le spectre d’un roi encore vivant, susceptible de devenir un point de ralliement pour les nostalgiques. Leur pouvoir repose sur un équilibre fragile : le jeune roi Édouard III est mineur, et les barons mécontents de leur domination croissante. Dans ce contexte, l’existence d’un ancien roi vivant représentait un danger politique majeur, susceptible de déclencher une guerre civile. Pourtant, ils n’osent pas proclamer ouvertement leur responsabilité, ce qui explique la discrétion entourant l’annonce du décès. Le Parlement est informé de la mort sans cérémonie, et aucune enquête sérieuse n’est ouverte pour établir la cause du décès. Cette prudence alimente les doutes et ouvre la voie à toutes les hypothèses les plus romanesques.

Et s’il avait survécu ?

En 1336, une étrange lettre connue sous le nom de Lettre de Fieschi est adressée à Édouard III. Elle affirme que son père ne serait pas mort à Berkeley, mais aurait réussi à s’échapper, vivant désormais retiré dans un monastère en Europe.

Cette lettre, attribuée à Manuele Fieschi, notaire apostolique, a été découverte en 1878 aux Archives départementales de l’Hérault (Montpellier). Elle est authentique sur le plan matériel, mais son contenu demeure très controversé : beaucoup d’historiens y voient une manipulation politique ou une fiction. Le roi aurait été conduit en Irlande, puis en Europe, sous une fausse identité, pour y finir ses jours dans la pénitence. Le texte contient des détails troublants que seul un proche de la cour aurait pu connaître, ce qui donne du crédit à son authenticité. Des chroniqueurs allemands du XVe siècle parlent aussi d’un mystérieux anglais de sang royal vu dans les régions alpines. Édouard III n’a jamais officiellement confirmé cette version, mais il n’a pas non plus ordonné de sanctions contre les auteurs de la lettre. Le doute subsiste encore aujourd’hui : cette lettre alimente régulièrement les débats historiographiques sur les faux décès royaux au Moyen Âge.

Le poids de la mémoire

Punition royale et spectacle politique

Le Moyen Âge aimait mettre en scène la justice comme un théâtre public : les peines de mort étaient pensées pour impressionner, effrayer, éduquer. Dans ce contexte, la mort d’un roi devait servir un récit, une morale, un message au peuple et aux élites. Ainsi, Édouard II devient une figure d’exemple : le roi faible, manipulé par ses passions, châtié pour avoir perdu sa dignité royale. On retrouve ce schéma dans d’autres figures : Richard II, déposé puis assassiné, ou Henri VI, probablement éliminé sur ordre de son successeur. L’Église elle-même cautionne parfois ces exécutions comme nécessaires à l’équilibre du royaume, tant qu’elles restent « justes ». C’est donc tout un système de légitimation du pouvoir qui se construit à travers ces morts théâtralisées.

Théâtre et propagande

La pièce de Marlowe, écrite en 1592, met en scène la passion tragique d’Édouard pour ses favoris et l’hostilité féroce qu’il suscite. Elle joue sur les tensions entre désir, autorité et honneur, thèmes qui parlent aussi à l’époque élisabéthaine. Le théâtre contribue ainsi à façonner une mémoire collective dans laquelle Édouard est à la fois victime et coupable. De nombreux romans historiques ont repris cette vision d’un roi sensible, presque moderne dans ses affections, broyé par un monde brutal. Son personnage devient l’un des premiers rois queer de la mémoire littéraire anglaise, une lecture moderne qui suscite débats. Mais derrière ces interprétations, le silence des archives reste assourdissant, et l’histoire véritable d’Édouard II demeure insaisissable.

Sources

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