L’assassinat de Concini en 1617 : Louis XIII, le Pont Neuf et la fureur du peuple de Paris

Un peuple en furie : l’assassinat de Concini en 1617, entre complot royal et justice populaire, symbole d’une France déchirée par ses passions politiques.
Table des matières
Introduction : Concini et la vindicte populaire
Louis XIII peut enfin devenir roi le jour de la mort du maréchal d’Ancre Concino Concini. Le 24 avril 1617, il réussit à le faire tuer par ses gardes, menés par le baron de Vitry, sur le pont dormant, à l’entrée du Louvre. Le corps de Concini est enterré près de Saint Germain l’Auxerrois. Mais les Parisiens sont mécontents, n’ayant pas pu participer à cet assassinat. Le lendemain, ils ouvrent la tombe, sortent le cadavre, le rouent de coups. Ils le traînent ensuite jusqu’au Pont Neuf, l’attachent à une potence, lui coupent le nez, les doigts, les oreilles et les « parties honteuses ». Enfin, ils s’attaquent à son cœur en le faisant cuire sur des charbons ! Les Parisiens étaient devenus à moitié fous !
Cette scène macabre n’est pas un fait isolé : elle s’inscrit dans une longue tradition de violences populaires dirigées contre les puissants déchus. La capitale, déjà secouée par les troubles de la Ligue un demi-siècle plus tôt, retrouvait dans ces excès une manière brutale d’affirmer son pouvoir symbolique. Derrière l’horreur des gestes, il faut voir la volonté du peuple de s’approprier une justice que les élites leur refusaient. Cette introduction ouvre ainsi sur un épisode fascinant où la politique, la psychologie collective et la barbarie se confondent.
Un favori haïssable au cœur de la cour
La montée irrésistible de Concini
Concino Concini était un Italien originaire de Florence, entré dans la suite de Marie de Médicis lors de son mariage avec Henri IV. Simple courtisan, il réussit, grâce à l’influence de sa femme, Léonora Galigaï — confidente intime de la reine — à gravir rapidement les échelons. Dans une France marquée par l’assassinat d’Henri IV (1610) et la régence incertaine de Marie de Médicis, Concini se fit le maître des charges, des faveurs et des intrigues. Il accumula les titres, les richesses et les honneurs, jusqu’à être nommé maréchal de France en 1913, malgré l’absence de carrière militaire digne de ce nom.
Cette ascension fulgurante était perçue comme une insulte par la vieille noblesse française, attachée à la valeur militaire et au lignage. On reprochait à Concini de s’acheter des offices et de manipuler la reine pour consolider sa position. Les mémorialistes contemporains, tel Bassompierre, décrivent son arrogance et son incapacité à masquer sa cupidité. Aux yeux du peuple comme de la noblesse, il personnifiait l’abus de pouvoir étranger au détriment du royaume.
Le ressentiment de la noblesse et du peuple
À Paris, la haine du peuple ne faisait que croître. Les nobles, frustrés par l’ascension de ce parvenu, alimentaient eux-mêmes cette colère. Dans les pamphlets, Concini était présenté comme un avide étranger, voleur des deniers publics, manipulateur de la reine et obstacle au jeune roi. Pour le peuple de Paris, déjà frappé par la misère et les tensions fiscales, Concini représentait le mal incarné, le signe visible d’un pouvoir injuste qui leur échappait.
La propagande anti-Concini circulait largement, au point que son nom devint synonyme de trahison et de tyrannie. Les chansons satiriques le ridiculisaient en le comparant à un démon italien venu asservir la France. La présence même de sa femme, soupçonnée de pratiques magiques, renforçait la réputation sulfureuse du couple. Cette hostilité partagée contribua à faire de son élimination un objectif commun à la noblesse et aux Parisiens.
L’assassinat du maréchal d’Ancre (1617)
Le complot de Louis XIII et de ses partisans
Le jeune roi, âgé de quinze ans, encouragé par Charles de Luynes, son ami et futur favori, fomenta un coup de force. Le 24 avril 1617, alors que Concini traversait le pont dormant à l’entrée du Louvre, il fut cerné par les hommes du roi. Au cri de « Le roi l’ordonne ! », le baron de Vitry lui tira dessus avec ses gardes. Concini s’effondra, criblé de balles. L’annonce fit immédiatement le tour du palais : « Le maréchal d’Ancre est mort ! » Louis XIII, soulagé, déclara fièrement : « À présent, je suis roi ! »
Ce cri du jeune roi révèle tout le poids psychologique qu’il portait depuis son enfance, éclipsé par sa mère et son favori. L’assassinat fut donc autant un acte politique qu’un rite initiatique pour Louis XIII, marquant son passage à l’autorité souveraine. Certains courtisans virent dans ce geste un soulagement général, la fin d’une ère de domination étrangère. Mais il inaugurait aussi une nouvelle phase de rivalités à la cour, car l’élimination d’un favori en appelait toujours un autre.
La mise à mort sur le pont du Louvre
Le corps de Concini fut transporté et enterré discrètement près de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois. Mais le secret ne dura pas. Dans les tavernes, dans les ruelles et jusque dans les marchés, on chuchotait avec rage : « On nous a volé notre vengeance ! » L’assassinat, qui devait apaiser, excita au contraire la folie vengeresse d’une population avide de spectacle et de justice populaire.
Les Parisiens avaient le sentiment que l’on avait confisqué un événement historique qui leur appartenait. Pour eux, voir Concini mourir sous leurs yeux aurait été une forme de réparation symbolique. La frustration fut telle que l’enterrement précipité devint une provocation. Ce ressentiment allait bientôt exploser en un déchaînement incontrôlable.
La vengeance de la foule parisienne
Le déchaînement populaire
Dès le lendemain, une foule immense se réunit, armée de bâtons, de pierres et de haches. Ils se rendirent au cimetière, ouvrirent la tombe de Concini, traînèrent son cadavre hors de terre. Dans un vacarme effrayant, ils se jetèrent sur la dépouille comme sur une bête maudite. Les coups pleuvaient, les crachats souillaient ce corps sans vie déjà rigide.
La haine qui se libérait ce jour-là était l’aboutissement de longues années de ressentiment accumulé. Chacun voulait frapper ce cadavre comme pour se venger de toutes les injustices subies par la ville. Les pierres volaient, les bâtons s’abattaient sans répit, et la terre elle-même semblait trembler sous le tumulte. La scène ressemblait moins à une profanation qu’à une véritable bataille menée contre un ennemi invisible mais haï de tous. Des témoins rapportèrent — peut-être exagérément — que même des enfants participaient à ces violences, signe du caractère collectif et cathartique de l’événement. Le tumulte attira une foule de curieux, venus assister comme à un spectacle public. Certains comparaient la scène à un sacrifice antique offert aux dieux de la vengeance. La frontière entre justice et barbarie s’effaçait sous les cris et la fureur de la foule.
Des chroniqueurs notèrent que des femmes, armées de couteaux de cuisine, frappaient elles aussi le cadavre avec acharnement. Les cloches des églises voisines, couvertes par le vacarme, ne parvenaient pas à ramener le silence. Certains hommes, grimpés sur les tombes voisines, exhortaient la foule à continuer comme s’il s’agissait d’un châtiment sacré. Les visages étaient illuminés par la rage, mais aussi par une étrange joie partagée, comme si chacun goûtait un triomphe populaire. Des comparaisons avec les foules romaines venues assister aux supplices des criminels se répandirent dans les récits. La violence n’était plus un simple déchaînement : elle devenait une fête sauvage où le sang et la poussière se mêlaient. Dans ce chaos, le cadavre perdait toute identité humaine pour devenir le support matériel d’une vengeance collective.
Le traitement macabre du cadavre
Le supplice alla bien au-delà d’une simple profanation. Le corps fut traîné jusqu’au Pont Neuf, ce lieu symbolique où s’exprimaient les passions parisiennes. Attaché à une potence, le cadavre de Concini fut mutilé avec une cruauté inouïe. On lui coupa le nez, les doigts, les oreilles, et jusqu’aux « parties honteuses ».
La foule riait et hurlait à chaque nouveau coup porté, comme si elle participait à une comédie macabre. Certains ramassèrent les morceaux coupés pour les montrer autour d’eux comme des trophées. D’autres improvisèrent des chansons grossières en scandant le nom de Concini, transformant le supplice en spectacle carnavalesque. Ces mutilations avaient une valeur hautement symbolique : détruire l’image publique de l’homme en effaçant ses attributs de puissance. Le Pont Neuf, lieu de rassemblement et de débats populaires, transformait cette mise en scène en spectacle politique. Le peuple réaffirmait ainsi sa capacité à punir, même après la mort. Le cœur rôti sur des charbons était le point culminant de cette justice sauvage, où l’horreur se mêlait à une sorte de rituel collectif.
Certains jurèrent que l’odeur de chair brûlée se répandit dans l’air et excita encore davantage la foule. Des individus affirmèrent avoir vu dans la fumée s’élever l’âme damnée du maréchal, image que d’autres reprirent pour en faire une légende. On dit que quelques fanatiques cherchèrent à goûter un fragment du cœur pour s’approprier symboliquement la force de leur ennemi. Les rires et les cris, mêlés à la fumée et à la nuit tombante, donnaient à la scène une dimension presque démoniaque. Le Pont Neuf devint le théâtre d’un sabbat collectif où les frontières entre justice, folie et sacrilège se brouillaient totalement. Ce qui aurait pu n’être qu’un meurtre politique devint une cérémonie sauvage, où Paris enterrait à sa manière l’ombre d’un tyran. Les chroniqueurs du temps, oscillant entre effroi et fascination, rapportèrent cette scène comme l’un des spectacles les plus monstrueux qu’ait offert la capitale. Ce souvenir, gravé dans la mémoire populaire, hantera longtemps l’imaginaire de la ville.
Une capitale en furie : entre politique et folie collective
Les enjeux politiques derrière la haine
Ce déchaînement de violence ne peut se comprendre sans analyser le contexte politique. Derrière la haine populaire, il y avait l’orchestration d’une partie de la noblesse et du nouveau cercle de pouvoir autour de Louis XIII. Les pamphlets, les rumeurs, les caricatures avaient préparé le terrain, attisant l’hostilité contre Concini. En se livrant à cette profanation publique, les Parisiens validaient en quelque sorte le nouveau règne du roi.
La manipulation de l’opinion publique par les élites n’était pas nouvelle, mais elle atteignait ici un sommet. Louis XIII et ses conseillers trouvèrent dans cette explosion populaire une confirmation de leur légitimité. Pourtant, cette haine orchestrée contre Concini en disait autant sur la fragilité du pouvoir que sur sa force. Chaque favori devenait désormais un bouc émissaire potentiel. Cette instrumentalisation du ressentiment collectif montrait à quel point le peuple pouvait devenir une arme politique redoutable. Les pamphlets et les rumeurs servaient de relais, amplifiant chaque défaut supposé du maréchal jusqu’à en faire un monstre honni. L’épisode révélait aussi l’habileté des conseillers du roi à canaliser cette colère en leur faveur. Mais en nourrissant une telle violence, ils prenaient le risque de voir la foule se retourner un jour contre eux-mêmes. La figure du favori, si essentielle au fonctionnement de la monarchie, se voyait fragilisée et constamment menacée. Ainsi, l’assassinat de Concini ne fut pas seulement un tournant dynastique : il marqua aussi la prise de conscience des limites et des dangers de la politique de faveur.
La mémoire traumatique du peuple parisien
Mais cette violence dit aussi autre chose : l’extraordinaire capacité du peuple parisien à s’approprier l’histoire en la transformant en spectacle sanglant. Le cadavre de Concini devint un théâtre, une mise en scène de la justice populaire, où la cruauté s’accompagnait d’une jubilation collective. Les chroniqueurs contemporains rapportent avec effroi ces excès. Certains y voyaient le signe d’un peuple devenu fou, incapable de mesure, tandis que d’autres y lisaient une forme de catharsis, une libération des colères accumulées pendant des années. Les récits de l’époque comparaient parfois cet épisode aux antiques scènes romaines où la foule se nourrissait du spectacle des gladiateurs. La mémoire de l’événement marqua durablement Paris, devenant un exemple des dangers de la vindicte populaire. Pour les élites, il s’agissait d’un avertissement : la colère collective pouvait se retourner contre n’importe quel puissant. Ainsi, Concini devint moins un homme qu’un symbole de la fragilité des favoris et de l’imprévisibilité des foules.
Sources
- George Delamare, Le maréchal d’Ancre, (Fayard) Réédition Numérique Fenixx, 1961 (rééd.).
- L’assassinat de Concini — L’Histoire par l’image (RMN–Grand Palais)
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