Pourquoi Érostrate a incendié le temple d’Artémis : l’histoire vraie d’un crime pour la célébrité

Érostrate a brûlé une des merveilles du monde antique pour devenir célèbre. Découvrez l'histoire de cet acte fou et sa portée dans la mémoire collective.
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Le saviez-vous ? Un homme a détruit l’une des sept merveilles du monde antique uniquement pour graver son nom dans l’Histoire. Ce geste insensé, accompli par un certain Érostrate en 356 av. J.-C., a tellement choqué les Anciens qu'ils ont tenté d'effacer jusqu’à son souvenir. Et pourtant… nous connaissons toujours son nom.
Un incendie qui bouleverse l'Antiquité
Dans la nuit du 21 juillet 356 av. J.-C., un immense brasier embrase le ciel de la ville d’Éphèse, en Asie Mineure (actuelle Turquie). Le temple d’Artémis, l’un des plus grands et somptueux édifices jamais construits, s’effondre dans les flammes. Dédié à la déesse de la chasse, ce temple était non seulement un lieu de culte majeur, mais aussi un joyau architectural de l’époque : 127 colonnes de marbre, des sculptures raffinées, des trésors d’une valeur inestimable.
Construit au VIe siècle av. J.-C. par l’architecte Chersiphron, le temple avait nécessité près de 120 ans de travaux pour atteindre sa splendeur finale. Il était si impressionnant que de nombreux voyageurs grecs le considéraient comme plus grand et plus beau encore que le Parthénon d’Athènes. À Éphèse, il symbolisait l’unité entre pouvoir religieux, richesse urbaine et prestige culturel : perdre ce monument, c’était perdre l’âme de la cité.
Les Éphésiens sont en état de choc. Qui aurait pu commettre un tel crime sacrilège ? Très vite, on arrête un homme : Érostrate, un simple citoyen sans titre ni gloire. Lors de son interrogatoire, il avoue sans détour : il a mis le feu pour devenir célèbre. Loin de nier son acte, il en revendique la logique — mieux vaut entrer dans l’Histoire comme criminel que ne jamais y entrer du tout.
La damnatio memoriae… ratée
Furieux, les magistrats d’Éphèse prennent une décision radicale : condamner Érostrate à mort, et interdire que son nom soit jamais mentionné, dans un décret de damnatio memoriae. L’objectif est clair : priver cet homme de la notoriété qu’il cherchait. Les historiens, les scribes, les citoyens, tous doivent taire son existence. Son nom doit se perdre dans l’oubli.
La damnatio memoriae, bien que plus fréquemment associée aux empereurs romains déchus, existait déjà chez les Grecs sous des formes comparables. Dans le cas d’Érostrate, cette interdiction fut même affichée sur des stèles publiques afin de renforcer sa portée légale et symbolique. Pourtant, comme un pied de nez au pouvoir, le nom d’Érostrate finit par survivre dans les écrits de Théopompe, puis fut repris par Strabon, Valère Maxime et bien d'autres, comme une leçon d’échec du contrôle de la mémoire.
Malgré la volonté des autorités, le nom de l’incendiaire se propage. Certains écrivains antiques s’en servent pour mettre en garde contre l’ambition démesurée. Ce paradoxe fascine les penseurs depuis plus de deux millénaires : peut-on vraiment empêcher un homme de devenir immortel par la mémoire, même pour les pires raisons ?
La postérité d’un crime absurde
Le nom d’Érostrate est devenu un symbole. On parle aujourd’hui du « complexe d’Érostrate » pour désigner ceux qui cherchent la célébrité à tout prix, quitte à commettre l’irréparable. L’histoire résonne étrangement avec notre époque, où certains sont prêts à tout pour faire parler d’eux sur les réseaux sociaux ou dans les médias.
Déjà dans l’Antiquité, l’acte d’Érostrate faisait débat parmi les philosophes : Plutarque y voyait un symptôme de la décadence morale d’une société obsédée par la gloire. Plus tard, des penseurs comme Jean‑Paul Sartre ou Albert Camus l’évoquèrent pour illustrer la révolte absurde de l’individu contre l’oubli. Ce désir de laisser une trace, même par la destruction, questionne encore aujourd’hui la nature de la mémoire collective et la fascination contemporaine pour les figures controversées.
On pourrait croire que le feu d’Érostrate s’est éteint avec les cendres du temple, mais il brûle encore dans les mécanismes de la célébrité moderne. Qu’il s’agisse de vandalisme, de provocations politiques ou de mises en scène médiatiques, le besoin de reconnaissance sociale peut pousser à toutes les formes d'excès. Ce récit antique nous oblige à interroger notre rapport au souvenir, à la gloire et aux traces que nous laissons dans le monde.
Les auteurs antiques ne manquèrent pas d’ajouter une touche de fatalité à cet événement : selon eux, le temple d’Artémis aurait été incendié dans la nuit même où naquit Alexandre le Grand, à Pella. Les prêtres d’Éphèse interprétèrent cette coïncidence comme un présage funeste. Pour eux, Artémis, déesse guerrière, n’avait pu sauver son temple car elle assistait à la naissance d’un fléau destiné à ravager l’Asie : Alexandre, conquérant de l’Orient.
Sources
- Strabon, Géographie, Livre XIV, éd. Les Belles Lettres
- Valère Maxime, Faits et dits mémorables, Livre VIII, éd. Garnier, 1875
- Plutarque, De la gloire des Athéniens, éd. Budé, CUF, 1990
Les illustrations ont été générées par intelligence artificielle pour servir le propos historique et afin d’aider à l’immersion. Elles ont été réalisées par l’auteur et sont la propriété du Site de l’Histoire. Toute reproduction nécessite une autorisation préalable par e-mail.
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