Castillon 1453 : la victoire oubliée qui mit fin à la Guerre de Cent Ans

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La bataille de Castillon, dernière grande victoire française de la Guerre de Cent Ans, révélant les héros oubliés et l'artillerie naissante.

La bataille de Castillon, 1453 : une victoire oubliée, une guerre achevée, l’artillerie révélée.

La Guerre de Cent Ans : entre désastre et rédemption

La Guerre de Cent Ans, souvent réduite à une suite de défaites humiliantes pour la couronne française, recèle pourtant bien des surprises. Derrière Crécy, Poitiers ou Azincourt, l’histoire s’écrit aussi au prisme des victoires éclatantes, des génies militaires oubliés et d’un peuple qui, malgré les famines, la peste et les invasions, n’a jamais cessé de résister. Le point d’orgue de cette reconquête ? La bataille de Castillon, un événement trop souvent éclipsé par la chute de Constantinople… mais qui marque, en réalité, la fin véritable de ce conflit titanesque.

La guerre de Cent Ans ne se résume pas à une rivalité franco-anglaise : elle est aussi un théâtre d’affrontements féodaux, économiques et religieux. Les frontières mouvantes du royaume, les alliances fluctuantes et les ambitions personnelles des grands féodaux nourrissent une instabilité chronique. Chaque défaite, chaque traité, chaque trahison s’inscrit dans une mosaïque plus vaste, celle d’un royaume à la recherche de son identité. Et c’est précisément dans cette longue épreuve que la France moderne commence à se forger.

Un royaume morcelé, six rois et une lente reconquête

La dynastie secouée : Valois contre Plantagenêt

De 1337 à 1475, la France voit défiler six rois. Philippe VI de Valois inaugure cette guerre dynastique contre Édouard III d’Angleterre, qui revendique le trône par sa mère. Jean II le Bon, son fils, subit la terrible défaite de Poitiers (1356), est capturé, et laisse un royaume sans chef. Puis vient Charles V, le Sage, homme de stratégie et protecteur de Du Guesclin. Il reprend patiemment les territoires perdus. Son successeur Charles VI, après un début prometteur, sombre dans la folie. L’instabilité permet aux Anglais, alliés aux Bourguignons, de revenir en force.

Philippe VI est confronté dès le départ à une noblesse turbulente et à des finances exsangues. L’Angleterre, mieux organisée, profite des divisions françaises pour avancer méthodiquement. La captivité de Jean II, contraint de signer le traité de Brétigny, laisse une France coupée en deux, où la population endure famines, pillages et impôts accablants. Les grandes compagnies, ces armées de mercenaires laissées à elles-mêmes, ravagent les campagnes entre deux combats officiels.

Jeanne d’Arc : le souffle divin dans la tempête

Charles VII, pourtant moqué comme le « roi de Bourges », trouve un espoir inattendu : Jeanne d’Arc. Son épopée réveille une nation endormie. Le siège d’Orléans, la marche vers Reims, le sacre du roi… tout semble possible à nouveau. Et même si la pucelle finit sur le bûcher à Rouen, son legs galvanise les armées françaises.

Jeanne incarne une forme de résistance mystique, celle d’un peuple qui se raccroche à une foi incarnée dans une jeune fille illettrée. Elle bouscule les codes militaires, se heurte aux intrigues de cour, mais force l’admiration par son charisme et sa détermination. Sa condamnation, orchestrée par les Anglais avec la complicité des clercs bourguignons, choque jusque dans les rangs adverses. Longtemps décriée, elle sera réhabilitée en 1456, puis canonisée en 1920, devenant une figure nationale transcendant les siècles.

Une guerre moderne : naissance de l’artillerie et stratégie de terrain

Les frères Bureau : génie méconnu de la modernité militaire

Au fil des années, un vent nouveau souffle sur les champs de bataille. Jean et Gaspard Bureau, compagnons de Charles VII, mettent au point une artillerie mobile et précise. Finis les sièges interminables : les canons parlent désormais plus fort que les flèches. À Castillon, cette révolution atteint son apogée. Les frères Bureau dressent un camp retranché sur les hauteurs, bardé de trois cents pièces d’artillerie. Une première dans l’histoire de France. Ce n’est plus l’honneur du duel ou la bravoure des chevaliers qui prime, mais la précision mécanique de l’acier.

Les frères Bureau introduisent une innovation capitale : l’usage tactique du terrain pour déployer les canons à découvert, un procédé inusité à l’époque. Leur génie ne réside pas seulement dans la conception des armes, mais dans leur maîtrise logistique, anticipant les déplacements, les temps de rechargement et les points de repli. Grâce à eux, l’armée royale adopte une discipline et une organisation jusque-là réservées aux mercenaires italiens. Le roi Charles VII, conscient de leur valeur, leur accorde une autonomie stratégique rare dans la hiérarchie féodale.

Le contexte stratégique : Bordeaux, l’ultime bastion

Depuis trois siècles, l’Aquitaine est au cœur des rivalités franco-anglaises. Riche, ouverte sur l’Atlantique, elle nourrit l’Angleterre en vin, laine et revenus. Sa reconquête est donc cruciale. En 1453, après avoir repris Gensac, les troupes françaises encerclent Castillon. L’objectif est clair : frapper un coup fatal en reprenant Bordeaux.

Bordeaux, fière cité marchande, est profondément anglicisée depuis trois siècles : son accent, ses coutumes et ses loyautés penchent vers Londres. La reconquête de cette enclave signifie bien plus qu’un simple gain territorial : elle représente un coup porté au prestige de la monarchie anglaise. À l’approche des armées françaises, les notables bordelais sont déchirés entre fidélité ancestrale et crainte des représailles royales. La stratégie française, patiente et méthodique, vise à isoler la ville en asphyxiant ses alliés périphériques.

Castillon, 17 juillet 1453 : un choc décisif, une erreur fatale

La poussière et le sang : le piège se referme

John Talbot, comte de Shrewsbury, vétéran respecté des campagnes d’Henry V, se voit confier une mission désespérée : sauver Castillon. Il marche vers le camp français, certain que les troupes s’enfuient après avoir été ébranlées au prieuré Saint-Laurent. Une colonne de poussière le persuade qu’il est temps d’achever des ennemis en déroute. Mais la réalité est tout autre. Ce nuage provient vraisemblablement du mouvement des bagages et civils français. Un leurre ? Un malentendu ? Toujours est-il que Talbot tombe dans un piège redoutable.

La charge anglaise, lancée sous un soleil de plomb, est entravée par la chaleur, la poussière et les pentes mal connues du terrain. Les arbalétriers gascons, postés dans les fossés, harcèlent les troupes avant même que l’artillerie n’entre en action. Talbot, privé de cavalerie lourde et d’éclaireurs efficaces, s’avance à l’aveugle dans une nasse létale. Le fracas des tirs, la panique des chevaux et l’écho dans la vallée créent une scène d’apocalypse rarement égalée dans les annales médiévales.

Une victoire éclatante et oubliée

Le choc est tel que Bordeaux capitule peu après. Toute la Guyenne tombe. La domination anglaise sur le sol français s’effondre. Pourtant, cette victoire majeure reste dans l’ombre : le 29 mai de cette même année, Constantinople est prise par les Ottomans, événement qui fascine l’Occident chrétien.

L’impact psychologique de la défaite anglaise est immense : les vétérans encore présents depuis Crécy comprennent que leur ère touche à sa fin. Bordeaux, en apprenant la mort de Talbot, vacille, et les portes s’ouvrent sans résistance majeure. L'Angleterre, en proie à ses propres conflits internes, notamment la querelle dynastique des Lancastre et York, est incapable de riposter. La France, quant à elle, reprend souffle, reconstruisant sur les ruines un appareil d’État plus centralisé.

Une mémoire réhabilitée : célébrations, recherches et redécouverte

Une chapelle, un spectacle et 700 figurants

Aujourd’hui, chaque été, la commune de Castillon-la-Bataille redonne vie à ce moment d’histoire. Sur le site même de l’affrontement, un spectacle son et lumière mobilise plus de 700 figurants. La reconstitution plonge les spectateurs dans le tumulte de la bataille, la tension des camps, les hésitations, les cris, les coups de canon. Une chapelle commémorative a été érigée en l’honneur de Talbot, preuve que le respect de l’adversaire ne s’est jamais éteint.

Le spectacle de Castillon est bien plus qu’un divertissement : c’est une œuvre de transmission, où les habitants eux-mêmes incarnent leur mémoire collective. Chaque été, des milliers de visiteurs découvrent la bataille sous un angle pédagogique et émotionnel. Des ateliers, des visites costumées et des expositions permettent une immersion complète dans le XVe siècle. Ce renouveau mémoriel témoigne d’un regain d’intérêt pour une période souvent reléguée à quelques lignes dans les manuels scolaires.

Nouvelles perspectives historiques

Les recherches récentes ont permis de localiser plus précisément les positions françaises et d’analyser les manœuvres d’artillerie. Des archéologues ont retrouvé des fragments de boulets et des restes de structures en terre battue, confirmant l’implantation stratégique du camp français. La bataille de Castillon est aujourd’hui étudiée comme un tournant de l’histoire militaire. Elle marque la transition entre guerre féodale et guerre moderne, entre héros individuels et puissance logistique.

L’analyse topographique et balistique du champ de bataille a permis de mieux comprendre la disposition des forces et l’impact réel de l’artillerie. De nouveaux documents, retrouvés dans des archives locales et anglaises, éclairent la préparation logistique du camp français. Les historiens s’accordent désormais à considérer Castillon comme la première bataille « moderne » de l’histoire occidentale. L’étude de cette bataille alimente aussi des travaux universitaires sur l’évolution du droit de la guerre et de la stratégie.

Castillon, un héritage méconnu mais fondateur

La revanche de la France

La fin de la Guerre de Cent Ans permet à la monarchie française de se recentrer, de réformer son armée, de restaurer ses finances. Louis XI poursuivra cette œuvre en consolidant l’autorité royale et en signant le traité de Picquigny avec Édouard IV d’Angleterre en 1475, mettant officiellement fin au conflit. La France sort exsangue mais renforcée. L’Angleterre, elle, entre dans une autre guerre : celle des Deux-Roses.

La Guerre de Cent Ans, en apparence destructrice, agit comme un catalyseur de modernité pour le royaume de France. Le pouvoir royal sort renforcé, la noblesse est domestiquée, et une armée permanente voit le jour. Les finances sont assainies grâce à une meilleure fiscalité, et les routes du commerce reprennent vie. C’est la lente naissance de l’État moderne, centralisé, autoritaire, mais capable de tenir son territoire et de parler d’une seule voix.

Un symbole d’intelligence tactique

Castillon n’est pas qu’un champ de bataille oublié. C’est le lieu où l’intelligence stratégique a vaincu la force brute. Où une armée, disciplinée, équipée, commandée par des hommes visionnaires, a réussi là où tant d’autres avaient échoué. C’est la revanche silencieuse de la France, celle qu’on n’enseigne pas toujours, mais qui mérite toute notre attention.

Castillon prouve que la guerre ne se gagne plus par l’héroïsme individuel mais par l’intelligence collective, la discipline et l’innovation. Ce changement de paradigme annonce les grandes batailles de la Renaissance, marquées par l’ingéniosité plutôt que par la bravoure. Le souvenir de Talbot, héros romantique tombé face au progrès, incarne cette transition tragique. En cela, Castillon n’est pas qu’une victoire militaire : c’est le chant du cygne de la chevalerie et l’aurore d’un nouvel ordre.

Sources

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