La Première Guerre mondiale en Afrique : soldats oubliés, combats invisibles, mémoire effacée

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Des tirailleurs africains mobilisés sur les fronts oubliés de la Première Guerre mondiale

L'Afrique dans la Première Guerre mondiale : campagnes militaires oubliées, mémoire effacée, soldats invisibles. Redécouvrez ce front ignoré du conflit mondial.

Avant 1914 : les prémices de la guerre coloniale

Rivalités coloniales franco‑britanniques face à l’Allemagne

À la fin du XIXᵉ siècle, la carte coloniale africaine est remodelée par la Conférence de Berlin (1884–85), qui légalise le partage de l’Afrique entre puissances européennes. La France et le Royaume‑Uni dominent déjà, mais l’Allemagne s’impose en 1884 avec des colonies telles que le Togo, le Cameroun et l’Afrique orientale allemande (aujourd’hui Tanzanie, Rwanda, Burundi). Ces implantations intensifient la concurrence avec les empires déjà installés. Les tensions deviennent structurelles, et dès 1914, la guerre européenne se transpose dans ce contexte colonial déjà explosif.

L’Empire allemand cherche à s’imposer comme une puissance globale, contestant l’hégémonie franco-britannique sur les routes commerciales africaines. Ce bouleversement des équilibres coloniaux inquiète les gouvernements européens, qui commencent à anticiper une possible conflagration mondiale.

Contexte général : l’Afrique, décor silencieux d’un conflit mondial

Les empires coloniaux en lice

En 1914, le Royaume‑Uni, la France, l’Allemagne, la Belgique, le Portugal et l’Italie dominent le continent : l’Afrique est une « réserve stratégique » planétaire, tant pour ses ressources que pour ses hommes mobilisables. La France, deuxième puissance coloniale derrière Londres, mobilise dans ses colonies plus de 600 000 soldats (Tirailleurs sénégalais, Maghrébins, Malgaches, etc.). Beaucoup de ces hommes ignorent les raisons profondes du conflit européen, mais sont enrôlés dans un élan présenté comme loyaliste ou héroïque.

Les autorités coloniales n’hésitent pas à instrumentaliser les traditions guerrières ou les mythes locaux pour encourager l’enrôlement. Ainsi, en Afrique de l’Ouest, on convoque les figures d’anciens rois ou de guerriers pour inciter les jeunes hommes à s’engager « au nom de l’honneur ». À Madagascar ou en Afrique équatoriale, des chefs locaux sont utilisés comme relais d’autorité pour motiver les réquisitions d’hommes. Cette mobilisation, souvent forcée, n’est donc pas le fruit d’un élan nationaliste ou impérial, mais bien d’une stratégie d’encadrement colonial et de propagande adaptée au contexte africain.

Les campagnes majeures : fronts est et ouest

Le front ouest-africain : conquête des colonies allemandes

Dès le début du conflit, les forces coloniales franco-britanniques ciblent les possessions allemandes. Le Togo est envahi en août 1914 par une coalition franco-britannique. Le Cameroun, plus difficile à soumettre en raison de son relief montagneux et de ses jungles épaisses, résiste jusqu’en février 1916. La campagne mobilise des milliers de soldats africains et européens, dans des conditions souvent extrêmes. Les villes allemandes fortifiées (Douala, Yaoundé…) tombent progressivement après des combats intenses et des mois de progression difficile à travers le territoire.

Les enjeux sont autant militaires que symboliques : il s’agit de priver l’Allemagne de ses bases en Afrique, mais aussi de renforcer la mainmise franco-britannique sur l’ensemble du continent. Le Cameroun devient alors une zone sous mandat franco-britannique, amorçant une nouvelle ère de domination coloniale.

Le front est-africain : une guerre de mouvement

En Afrique orientale allemande, la résistance est plus longue. Le général Paul von Lettow-Vorbeck organise une guérilla mobile contre les forces alliées, utilisant parfaitement la géographie du terrain. Il mène une guerre d’usure de 1914 à 1918, mobilisant aussi bien des troupes allemandes que des Askari africains fidèles à Berlin. Les Alliés, quant à eux, font appel à des contingents venus d’Afrique australe, d’Inde, de Belgique ou du Kenya britannique.

Les conditions de guerre sont particulièrement éprouvantes : forêts tropicales, chaleur accablante, maladies endémiques, ravitaillement difficile. Les pertes sont nombreuses, notamment à cause de la dysenterie, du paludisme, ou encore de la malnutrition. Cette campagne est parfois appelée « la guerre des porteurs », tant le recours à des populations civiles africaines pour transporter armes et vivres a été massif… et souvent meurtrier.

Acteurs essentiels : troupes coloniales africaines

Rôles multiples et sacrifices

Les soldats africains ne se battent pas uniquement sur le continent. Nombre d’entre eux sont envoyés en Europe, notamment les Tirailleurs sénégalais, souvent utilisés comme troupes de choc dans les batailles les plus meurtrières (Verdun, la Somme, le Chemin des Dames…). Ils sont aussi affectés à des tâches logistiques, de ravitaillement, d’intendance ou de construction dans les zones arrière du front.

Les témoignages de l’époque évoquent la bravoure de ces hommes, mais aussi le mépris ou le racisme qu’ils subissent, y compris au sein des troupes françaises. Leur courage est instrumentalisé dans la propagande, mais leur sacrifice reste marginalisé dans les commémorations officielles de l’après-guerre. Certains sont décorés, mais beaucoup ne reçoivent ni pension, ni reconnaissance publique durable.

Conditions de guerre : climat, maladies et géographie

Un théâtre d’opérations hostile

Les armées européennes ne sont pas préparées à la guerre en climat tropical. Les uniformes, les rations, les équipements, tout est pensé pour l’Europe tempérée. Le paludisme, la fièvre jaune, la dysenterie ou encore la mouche tsé-tsé déciment les rangs plus que les balles ennemies. L’hostilité du terrain oblige à des adaptations rapides : campagnes menées en saison sèche, recours accru aux soldats locaux mieux acclimatés, improvisation logistique permanente.

Les cartes sont approximatives, les distances immenses, et les routes souvent inexistantes. Le transport du matériel militaire repose donc sur le recours massif à des porteurs africains, parfois réquisitionnés de force. Ces derniers, mal nourris et peu protégés, subissent des taux de mortalité effrayants, rarement comptabilisés dans les bilans officiels.

L’Afrique redessinée : le partage des colonies après la guerre

Les accords de paix et les mandats de la SDN

À la fin de la guerre, l’Allemagne perd toutes ses possessions coloniales. Le traité de Versailles (1919) redistribue les anciennes colonies allemandes sous forme de mandats confiés par la Société des Nations. La France récupère le Cameroun et le Togo, tandis que le Royaume‑Uni s’approprie le Tanganyika (Tanzanie actuelle), le Rwanda et le Burundi revenant à la Belgique.

Ce redécoupage, censé introduire une nouvelle forme de « mission civilisatrice », renforce en réalité l’emprise des puissances européennes. Les populations locales n’ont aucun mot à dire dans cette redistribution géopolitique, et les résistances, comme celle du roi Douala Manga Bell au Cameroun, sont violemment réprimées. Les lignes frontalières tracées dans les chancelleries européennes ignorent les réalités ethniques, linguistiques et culturelles locales, ce qui aura des conséquences durables sur l’histoire post-coloniale du continent.

Arts, chansons et récits oubliés de la guerre africaine

Une mémoire transmise par la culture orale

Alors que les archives militaires et les récits européens ont longtemps occulté le rôle de l’Afrique dans la Grande Guerre, c’est souvent la culture orale qui a porté cette mémoire sur le continent. Des chansons, des contes, des poèmes en langues locales ont raconté l’enrôlement, la souffrance, la séparation, la mort. Ces récits, transmis de génération en génération, donnent une autre version de la guerre : non pas celle des généraux et des cartes d’état-major, mais celle des familles, des villages et des survivants. Dans certaines régions, des stèles ou des lieux de mémoire improvisés rappellent le départ de centaines d’hommes, parfois sans retour. Des artistes contemporains africains, cinéastes, écrivains ou musiciens, commencent à s’approprier cette histoire marginalisée pour la réinscrire dans une conscience collective continentale. C’est le cas du roman Les tirailleurs de David Diop, ou de certains films sénégalais et burkinabés qui redonnent chair à ces figures oubliées.

Conséquences sociales et mémorielles

Un héritage encore douloureux

La participation africaine à la Première Guerre mondiale a bouleversé des sociétés entières. Les familles ont été disloquées, les économies rurales fragilisées, les structures sociales parfois désorganisées. Dans plusieurs régions, les pertes humaines, les traumatismes psychologiques et les violences subies ont laissé des traces durables, encore peu étudiées dans l’historiographie dominante.

Sur le plan mémoriel, la place de l’Afrique dans les commémorations de la Grande Guerre demeure marginale. Si quelques initiatives ont vu le jour (monuments à Reims, à Bamako, documentaires, expositions), elles peinent à s’imposer face à la centralité du front occidental dans l’imaginaire collectif européen. Le souvenir des combattants africains est souvent relégué à des cérémonies ponctuelles ou à des discours symboliques sans prolongement politique ou éducatif réel.

Témoignages et sources : donner une voix aux oubliés

Réhabiliter les voix africaines

Les témoignages écrits des anciens combattants africains sont rares, la majorité d’entre eux n’ayant pas eu accès à l’écriture. Mais certains entretiens oraux, collectés tardivement par des historiens, journalistes ou anthropologues, permettent de reconstruire une partie de leur vécu. Ces récits bruts, souvent bouleversants, livrent un regard précieux sur la guerre vécue depuis l’Afrique.

Il est urgent de numériser, traduire, publier et diffuser ces témoignages pour qu’ils rejoignent enfin les archives de la mémoire mondiale. Car sans ces voix, c’est toute une part de l’histoire du XXe siècle qui reste tronquée. Ces voix méritent leur place dans les manuels scolaires, les musées, les programmes audiovisuels, mais aussi dans les consciences des nouvelles générations africaines et européennes.

Plongez au cœur des récits authentiques de la Première Guerre mondiale : actes héroïques, destins brisés et moments d'humanité sur le front.

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