Montgisard 25 novembre 1177 : Comment Baudouin IV, le roi lépreux, a terrassé Saladin et changé le cours des croisades

Baudouin IV à Montgisard brandissant la relique de la Vraie Croix
Montgisard 1177 : Baudouin IV, roi lépreux, affronte Saladin dans une bataille fulgurante.

Baudouin IV, roi lépreux de Jérusalem, défie Saladin et triomphe à Montgisard : une bataille éclatante devenue légende.

Frappé au cœur de la croisade

Novembre 1177. Le soleil décline sur la Terre sainte, et l’ombre de Saladin grandit. À Jérusalem, le jeune roi Baudouin IV, souverain au corps rongé par la lèpre, se prépare à affronter l’une des menaces les plus graves de son règne. Malgré la maladie, son esprit reste aiguisé, sa volonté inébranlable. Il sait que l’équilibre dans la région est fragile et chaque décision peut décider du destin du royaume.

Depuis la Deuxième Croisade, la région est en ébullition constante, les États latins établis sur la côte résistent tant bien que mal aux ambitions musulmanes de reconquête. Saladin, devenu vizir puis sultan d’Égypte, incarne une nouvelle ère de centralisation et d’unité du monde musulman, longtemps morcelé après la mort de Nur ad-Din. À cette date, les Francs de Jérusalem n’ont ni l’assurance d’un renfort venu d’Europe, ni la puissance militaire d’antan : leur survie repose sur des actes fulgurants et des chefs inspirés.

Dans l’air de l’aube, l’odeur de la poussière sèche se mêle au cliquetis métallique des armures. Les chevaliers rassemblés pressent l’humeur sombre ; certains murmurent des prières, d’autres retroussent les lèvres, remplis de doute ou d’espoir. Le roi, silhouette fière mais affaiblie, passe parmi eux. À peine seize ans, mais déjà une légende pour son peuple. Son baptême de sang approche : Montgisard.

Un roi fragile… et audacieux

Baudouin IV : entre faiblesse et force

Dès l’âge de treize ans, la lèpre s’installe. Son corps chancelle, ses membres s’engourdissent. Toutefois, malgré ces affres, un esprit clair et volontaire domine. Baudouin cache ses maux sous un manteau de dignité. Sa tête, enveloppée, est fière, empreinte d’une certitude de devoir. Il s’est entouré de conseillers loyaux, de chevaliers fidèles : Templiers, Hospitaliers, chevaliers francs… Il prend à cœur chaque rapport d’espionnage, chaque cartographie du mouvement de Saladin.

L’historien Guillaume de Tyr, qui l’avait eu comme élève, note dès l’enfance des symptômes discrets : une perte de sensibilité dans les bras et un teint cireux. Pourtant, le jeune roi se distingue par sa capacité à suivre les conseils tout en conservant son autorité : il ne cède ni à la peur ni à la compassion. Il prend soin de déléguer avec finesse les responsabilités militaires, tout en gardant la main sur les grandes décisions stratégiques de son royaume.

La préparation stratégique de Montgisard

Saladin, profitant de l’absence de la plupart des armées franques alors en Syrie, sème la terreur dans les villages sud de Jérusalem. Le roi, informé, rassemble ses forces près d’Ascalon : 500 chevaliers francs, dont 80 Templiers selon René Grousset, et quelques centaines d’hommes d’armes. La stratégie de Baudouin s’appuie sur l’audace : faire un large mouvement circulaire pour surprendre Saladin, avancer par le nord pour tomber sur les lignes ennemies dispersées dans les oueds, surprendre l’armée du sultan alors affaiblie par le pillage.

L’itinéraire suivi par Saladin passe par Gaza, puis par les plaines côtières au sud d’Ascalon : une route connue mais peu protégée à cette période de l’année. L’armée musulmane, estimée entre 20 000 et 26 000 hommes, se sentait en position de force et relâche sa vigilance, croyant les croisés incapables de réagir. Baudouin, aidé du maréchal du Temple Eudes de Saint-Amand, parvient à galvaniser ses troupes en promettant un combat « au nom du Saint-Sépulcre ».

L’épopée de Montgisard

L’affrontement éclair

25 novembre 1177. L’aube se lève sur Montgisard – ou Mont Gizar, selon les sources. Le terrain accidenté, entre villages, cours d’eau secs et collines basses, devient l’arène d’un choc défini non par les chiffres, mais par la surprise. Saladin, certain de sa supériorité numérique, laisse ses troupes piller, s’étaler, s’épuiser.

Brusquement, surgit la cavalerie franque. Les bannières s’agitent, les destriers ruent. Les chevaliers, échelonnés en lignes resserrées, frappent ensemble : beaucoup de fougue, peu de préparation. Le choc est brutal, presque désordonné, mais redoutablement efficace. Le sol s’imbibe de poussière et de sang, les cris se perdent dans le fracas des lames.

L’effet de surprise joue un rôle déterminant : Saladin est pris au dépourvu, ses lignes de communication sont brisées, et une grande partie de son armée est dispersée. Le terrain collinaire offre aux croisés un avantage tactique, leur permettant de prendre de la vitesse dans la descente vers les positions ennemies. Selon plusieurs sources arabes, la panique gagne les troupes musulmanes dès les premières minutes du choc, en partie à cause du manque de coordination et de discipline.

Le duel d’ombre et de lumière

Au centre, Baudouin IV. Son armure est adaptée, légère malgré son rang. Il tient les rênes d’un cheval nerveux, tenu de force. Son regard cherche, lance plus rapidement que sa voix : « Pour Jérusalem ! » Il est là, au cœur du tumulte, blessé mais intègre, haranguant les templiers, galvanisant les chevaliers. Il défie la garde mamelouke personnelle de Saladin : il les bouscule, tranche, repousse.

Le chroniqueur Ernoul rapporte que Baudouin IV aurait tenu une relique de la Vraie Croix devant ses troupes, leur inspirant un zèle mystique. La garde personnelle de Saladin, les mamelouks, tente de constituer un dernier rempart autour de leur maître, mais est débordée par la furie de l’assaut. Certains témoins affirment que Saladin échappe de peu à la capture, ne devant sa survie qu’à la rapidité de son cheval et à l’intervention d’un petit groupe de fidèles.

L’onde de choc et ses répercussions

La victoire improbable

Le soleil, haut dans le ciel, dévoile l’étendue du désastre dans le camp ayyoubide. De nombreux émirs sont tués, la garde mamelouke décimée. Saladin, blessé dans son orgueil, bat en retraite, couvert par ses derniers cavaliers. Le terrain est jonché de cadavres, de lances brisées, de haillons trempés de sang. Les croisés ramassent ce qu’ils peuvent : vivres, armes, chevaux.

Les pertes musulmanes sont considérables : plusieurs milliers de morts selon les chroniqueurs francs, dont nombre de hauts officiers et d’émirs. Les chrétiens ramassent sur le champ de bataille des armes, des provisions, des chevaux : une manne inespérée pour une armée pauvre. Pour de nombreux contemporains, ce triomphe est perçu comme un signe de la faveur divine, renforçant le prestige spirituel de Baudouin IV.

Aux confins de l’espoir et de la prudence

Pourtant, la victoire a ses limites. Saladin n’est pas anéanti ; affaibli, certes, mais toujours vivant, actif. Les défaites franques qui suivront (Marj Ayûn, Panéas) rappelleront que la bataille n’a jamais été synonyme de paix durable.

Saladin, humilié, retourne au Caire et s’engage dans une politique de réforme militaire afin de ne jamais revivre une telle défaite. Baudouin IV, malgré la gloire, sait que cette victoire n’a repoussé l’orage que pour un temps : Jérusalem reste encerclée de puissances hostiles. En Occident, la bataille contribue à raviver brièvement l’intérêt pour la croisade, bien que l’aide militaire reste encore limitée.

Héritage et regard contemporain

Une légende royale

Montgisard aura traversé les siècles, façonnant la légende de Baudouin IV. William de Tyr, Imad ad-Din, et d’autres chroniqueurs fixent une image intemporelle : le roi méritant, blessé mais ardent. Plus tard, historiens et romanciers renforceront le mythe.

Dans l’imaginaire collectif, Montgisard devient l’exemple parfait du miracle militaire : peu d’hommes, peu d’espoir, mais une foi inébranlable. Baudouin IV inspire encore aujourd’hui écrivains et cinéastes, comme dans le film Kingdom of Heaven, qui le dépeint comme une figure christique tragique. L’histoire conserve en lui l’image d’un souverain hors norme, à la fois malade et conquérant, isolé mais admiré jusque par ses ennemis.

Résonances à notre époque

Pourquoi Montgisard résonne-t-elle aujourd’hui ? Peut-être parce qu’elle incarne le leadership dans l’adversité – un roi handicapé, défiant les pronostics. Elle rappelle que la détermination, même fragile, peut inverser les rapports de force. Elle questionne aussi la mémoire de la croisade : ce fut un combat ponctuel, un éclair historique qui, malgré l’immédiate fatigue, brille encore dans notre imaginaire.

Les historiens modernes insistent sur l’importance de recontextualiser la bataille : il ne s’agit pas d’un choc des civilisations, mais d’un moment stratégique dans un équilibre plus vaste. L’opposition entre Baudouin IV et Saladin permet aussi d’explorer deux conceptions du pouvoir : l’un incarnant la foi combative, l’autre la réforme administrative. Enfin, Montgisard nous enseigne que le leadership ne repose pas uniquement sur la force physique, mais sur la vision, le courage et la capacité à inspirer.

Sources et approfondissements

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