Baudoin IV, le roi lépreux de Jérusalem : destin tragique et exploits militaires au cœur des croisades

Baudoin IV, roi lépreux de Jérusalem : un destin hors du commun entre batailles, intrigues et foi.
Table des matières
Introduction
C’est le 11 juillet 1174, dans l’église du Saint-Sépulcre de Jérusalem, que Baudoin reçoit la couronne royale : à seulement treize ou quatorze ans, il succède à son père Amaury Ier. Une cérémonie solennelle, mais empreinte de fragilité : Jérusalem, échiquier de puissances et de rivalités, remet son futur entre les mains d’un adolescent blessé – porteur d’un secret lourd, encore inaperçu.
Son avènement s’inscrit dans un contexte instable, peu après la mort de Nur ad-Din et au moment où Saladin commence à étendre son pouvoir au Caire et en Syrie. Fait notable, cette date coïncide aussi avec le 75e anniversaire de la prise de Jérusalem par les croisés, accentuant la symbolique d’une succession placée sous le sceau de la mémoire sacrée.
Outre l’ombre de Saladin, Jérusalem fait face à des pressions diplomatiques de l’Empire byzantin et des grandes maisons européennes, comme les Plantagenêt d’Angleterre et les Hohenstaufen d’Allemagne. L’accueil de Baudoin par les patriarches latin et byzantin cherche à signifier l’union improbable des chrétiens face aux menaces communes. À ce moment, les Templiers et les Hospitaliers pèsent un poids croissant dans la défense du royaume, transformant la nature même de la royauté latine. Le jeune roi, bien que affaibli, devient dès son accession le pivot d’un équilibre géopolitique fragile entre puissances latines et musulmanes.
Un roi porteur de maladie et d’espoir
L’annonce de la lèpre
Très vite, la rumeur court dans les couloirs du palais royal : le roi adolescent présente des symptômes inquiétants. Guillaume de Tyr, son précepteur et archidiacre, s’en rend compte lors d’un jeu un peu brutal : Baudoin, indifférent à la douleur, attire l’attention. Un diagnostic tombe : lèpre. En Orient chrétien, la malédiction de Dieu ou la tragédie d’un roi fragile ? À la cour, certains frémissent, d’autres se retranchent, mais tous se souviennent qu’un roi demeure un roi – même lépreux.
Guillaume de Tyr rapporte que cette insensibilité fut observée dès l’âge de neuf ans, bien avant l’accession au trône. Des discussions ont lieu entre médecins francs et arabes – en particulier un certain Dawud de Damas – qui confirment les signes précoces du mal. Le roi, longuement isolé pour éviter toute contagion, continue pourtant de recevoir ses conseillers dans une chambre attenante, pour ne pas faiblir l’autorité royale. Ce secret d’État, jalousement entretenu, sera révélé publiquement seulement quelques années plus tard, au risque de créer un chaos politique.
Un roi au milieu des intrigues
La minorité de Baudoin entraîne l’installation d’une régence : d’abord Miles de Plancy, assassiné peu après, puis Raymond III de Tripoli. Sa mère, Agnès, s’étiole entre ambition et reproches, tandis que Baudoin, malgré son corps défaillant, nourrit des ambitions. Il apprend la diplomatie, le commandement, découvre la lourde responsabilité de diriger un royaume exposé à la menace ayyoubide.
Raymond de Tripoli, cousin du roi, revient auréolé de prestige après des années de captivité chez les musulmans, mais son ambition inquiète. Pendant ce temps, les tensions entre factions s’aiguisent, notamment entre les familles de Courtenay, Ibelin et les partisans de la ligne Lusignan. Raymond de Tripoli impose un équilibre tri-partite entre nobles du royaume, Templiers et Hospitaliers, cherchant à limiter l’influence croissante d’Agnès et des Lusignan. Sa captivité passée suscite de la sympathie parmi les latins, mais aussi une méfiance envers son pragmatisme syrien. Agnès, mère du roi, joue un double jeu : protectrice du trône, mais aussi promotrice de ses propres alliés au conseil royal. Baudoin, même malade, développe une vision stratégique à long terme, fréquentant la chancellerie pour se familiariser avec l’art de la diplomatie.
Le champ de bataille de Montgisard : un coup de maître
La stratégie d’un adolescent
Le 25 novembre 1177, Saladin lance ses troupes en Palestine. Contre toute attente, Baudoin rassemble environ 500 chevaliers et surprend l’armée ennemie à Montgisard. Malade, porté sur une civière, il assume sa place au cœur de la bataille. L’assaut est fulgurant : l’armée franque brise les lignes ayyoubides, inflige une défaite sévère à Saladin, forçant la retraite.
Le terrain choisi par les croisés – marécageux – joue un rôle décisif, piégeant les cavaliers musulmans habitués aux terrains plus secs. Les rapports mentionnent que Baudoin, entouré de ses chevaliers, prononce une bénédiction solennelle pour galvaniser les troupes. Ses canons de direction montrent une précision tactique surprenante pour un souverain encore jeune. Au cœur du combat, les Templiers forment un fer de lance décisif, leur thème de commandement étant respectueux des directives du roi.
Les conséquences symboliques et politiques
Montgisard freine temporairement l’élan de Saladin. Pour Jérusalem, c’est un message politique fort : Baudoin, malgré sa maladie et ses effectifs, reste le garant du royaume. Il gagne le soutien d’une chevalerie hésitante, rallie certains barons, et peut redéployer ses stratégies diplomatiques vers la Syrie et l’Égypte.
Cette victoire est relayée jusqu’à Constantinople, où l’empereur byzantin manifeste publiquement son admiration. Le pape Alexandre III, informé de l’événement, fait célébrer une messe d’action de grâce à Rome. Cette victoire relance la confiance des cités marchandes de la côte – Antioche, Tyr, Acre – qui financent ensuite des fortifications. Elle affaiblit aussi le rassemblement musulman post-Nur ad-Din, ralentissant la consolidation de l’État ayyoubide.
Hauts faits et revers : Marj Ayoun, Belvoir, Kerak
Marj Ayoun et le gué de Jacob
En avril et juin 1179, la chance quitte le roi : à Panéas, une embuscade blessera durement son connétable, Onfroy II de Toron. Le 10 juin, à Marj Ayoun, Saladin inflige une défaite sévère. L’armée franque se replie, mais Baudoin échappe de peu à la capture. Plus tard, le château du Gué de Jacob, forteresse qu’il a ordonné de construire, tombe sous les assauts musulmans.
Humphrey II de Toron meurt des suites de ses blessures après avoir protégé la retraite royale – un acte de bravoure salué par les Hospitaliers. Le choix de renforcer le Gué de Jacob en 1178 répondait à la volonté de sécuriser la frontière orientale du royaume. Son effondrement révèle l’impréparation de la garnison, incapable de résister au feu grégeois. La situation crée une crise de confiance parmi les citadins de Jérusalem, craignant une invasion plus vaste.
Siège de Kerak (1183)
En 1183, Saladin met le siège devant Kerak, au moment d’un mariage princier. Malgré son état avancé, Baudoin mène l’armée de secours. Soutenu par la régence de Raymond de Tripoli, il repousse l’assaut. Le roi, alité, est transporté en civière. Son courage mythique, face à la maladie, impressionne et soude la chevalerie chrétienne.
Le siège a lieu durant les noces d’Isabelle, demi-sœur du roi, avec Onfroy IV de Toron – ce qui renforce l’enjeu symbolique du sauvetage. Des femmes et enfants se réfugient derrière les remparts, imposant un enjeu moral au conflit. Baudoin fait sceller une alliance temporaire avec une tribu bédouine venue de Transjordanie, montrant son habileté politique. Des lettres arabes révèlent le respect de Saladin envers la courageuse défense du roi.
Un corps qui s’effrite, mais une volonté intacte
Détérioration physique et mascarade de dignité
À partir de 1183, la lèpre touche gravement Baudoin : paralysie des mains, cécité, incapacité à marcher. Le masque de mousseline qu’il porte pour dissimuler ses stigmates devient iconique. Contrairement aux fictions populaires, il n’a jamais arboré un masque de fer, mais cette simple étoffe blanche, humble et poignante.
Guillaume de Tyr précise qu’il lui fallait plusieurs serviteurs pour être porté sur sa civière lors des conseils de guerre. Il assistait malgré tout aux assemblées du palais de Jérusalem, ce qui imposait le respect de ses pairs. Les chirurgiens de Jérusalem conservent des notes sur l’évolution des lésions, illustrant le retard médical du temps. Baudoin, malgré des douleurs quotidiennes, se fait montrer lors des offices liturgiques, affirmant sa sacralité royale.
Fonctions royales jusqu’au bout
Malgré ses conditions difficiles, Baudoin continue d’exercer pleinement sa fonction : arbitrages, réformes fiscales, soutien aux ordres monastiques et militaires. Le royaume tient grâce à sa volonté inébranlable.
Il crée un Conseil de la Couronne restreint pour éviter les lenteurs de la haute cour féodale. Il entretient des relations suivies avec l’empereur Frédéric Barberousse et tente de convaincre les Plantagenêt d’envoyer des troupes, sans succès. La réforme fiscale de 1184 vise à alléger la pression sur les familles de guerriers, consolidant ainsi le moral national. En dépit de son état, il continue à distribuer des chartes favorisant les ordres religieux, assurant leur fidélité au trône.
Le jeu des successions et l’ombre de la mort
La question de la régence
Conscient de son destin, le roi associe en 1183 son neveu, Baudoin V, au trône, avec Raymond de Tripoli comme régent. Mais Agnès de Courtenay, Sibylle et Guy de Lusignan mènent leur propre jeu politique, provoquant tensions et rejet. Baudoin veille à maintenir l’équilibre fragile entre factions concurrentes.
Face à l’impopularité croissante de Guy, Baudoin le fait écarter en convoquant un conseil restreint, où il impose la nomination de son neveu encore enfant. En mai 1183, Baudoin embraye une campagne politique en faveur de son neveu, anticipant les intrigues familiales. Il choisit un conseil restreint composé de Raymond, d’un représentant templier et d’un sénéchal fidèle. L’éviction de Guy provoque un incident diplomatique avec Poitiers et Brabant, mais Baudoin assume la tension pour préserver le royaume.
Derniers jours et legs
Entre le 16 mars et le 16 mai 1185, Baudoin IV s’éteint à Jérusalem, aux alentours de 24 ans. Sa foi, sa résilience et son sens de l’État font de lui une figure presque sanctifiée.
Son corps est inhumé dans la crypte du Saint-Sépulcre, à côté de son père Amaury, dans un cercueil de marbre. Les chroniqueurs notent que même ses ennemis saluèrent sa mémoire – Saladin lui-même aurait exprimé son admiration pour ce roi à l’âme indomptable. Sa volonté testamentaire mentionne des clauses pour soutenir les pèlerins et faciliter leur passage vers Jérusalem. Son décès est suivi d’un interrègne précaire qui conduira à la guerre contre Saladin à Hattin en 1187.
Mémoire et postérité
Guillaume de Tyr et ses chroniqueurs
Guillaume de Tyr reste la source principale de l’époque, son Histoire d’Outremer trace le portrait d’un roi stratège et pieux. Ernoul reprend l’histoire en version plus sentimentale. Les ordres du Temple et de Saint‑Jean propagent son image héroïque.
Guillaume décrit Baudoin comme un homme d’une intelligence rare, éduqué, réfléchi, malgré sa douleur. Même les chroniqueurs musulmans louent sa bravoure, notamment Ibn al-Athir, qui le mentionne avec respect. La littérature occitane et provençale rapporta le roi lépreux en exemple de courage face à la pénitence divine. Cette figure transparaît comme modèle de chevalerie spirituelle dans plusieurs manuscrits latins.
Baudoin IV dans l’imaginaire
Historiens contemporains ne cessent de réécrire son histoire : Pierre Aubé raconte la grandeur et la tragédie du « roi lépreux ». Dominique Paladilhe en propose une version accessible et renouvelée.
Il est représenté dans le film Kingdom of Heaven (2005) sous les traits d’un roi masqué, figure tragique et mystique, inspirée par les récits de William of Tyre. Pierre Aubé le compare à Alexandre le Grand dans sa capacité à dominer un corps affaibli. Les historiens modernes scrutent ses choix militaires comme tremplin vers la croisade majeure de 1190. Sa figure s’affirme entre mythe et réalité – un roi dont l’écho résonne encore dans les débats historiques.
Sources
- Pierre Aubé, Baudouin IV de Jérusalem, le roi lépreux, Perrin / Tempus, 2010
- Dominique Paladilhe, Baudouin IV de Jérusalem, Via Romana, 2014
- Wikipédia (fr), Baudouin IV (roi de Jérusalem)
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