La légende oubliée de Sargon d’Akkad : le bébé roi sauvé des eaux en Mésopotamie

Découvrez la légende fondatrice de Sargon d’Akkad, bébé abandonné dans un panier sur l’Euphrate, destinée à devenir roi et modèle des récits antiques.
Le saviez-vous ?
Bien avant la naissance du récit biblique de Moïse, un roi mésopotamien du nom de Sargon affirmait déjà être né dans le secret, abandonné dans un panier de roseaux sur un fleuve. Ce récit, gravé dans la pierre, mêle propagande politique et épopée fondatrice.
Cette version de sa jeunesse a été retrouvée dans une tablette en écriture cunéiforme datant de plus de 1 000 ans après son règne, preuve que sa légende a marqué les esprits sur plusieurs générations. Elle servait à légitimer son pouvoir en le présentant comme un homme choisi par les dieux, destiné à régner. Dans une société où les lignées royales justifiaient l’autorité, se proclamer enfant du destin était une stratégie aussi brillante que nécessaire.
Une naissance cachée et un fleuve comme berceau
Le « récit de la naissance de Sargon », retrouvé sur une tablette d’argile en écriture cunéiforme, commence comme un conte dramatique : « Ma mère était une grande prêtresse, mon père je ne l’ai pas connu. » Parce que sa mère ne pouvait pas l’élever — sans doute en raison de sa position sacrée ou du tabou entourant sa naissance illégitime — elle l’aurait caché dans un panier fait de joncs, enduit de bitume pour le rendre étanche, puis laissé dériver sur l’Euphrate. Ce geste rappelle étrangement celui raconté des siècles plus tard dans l’Exode biblique.
Être fils d’une prêtresse n’était pas anodin : ces femmes appartenaient à une élite religieuse, parfois vouées au célibat, ce qui rendait une maternité clandestine scandaleuse. Le choix du bitume, utilisé pour rendre le panier étanche, était une technique bien connue en Mésopotamie, souvent employée dans la construction des embarcations fluviales. Ce détail renforce la crédibilité matérielle du récit, tout en accentuant sa charge symbolique : le fleuve devient ici un instrument de salut, non de perte.
Un jardinier providentiel : Aqqi, l’homme qui sauva un roi
Le sauvetage
Le récit continue ainsi : « Le fleuve m’a emporté, il m’a conduit à Aqqi, le puisatier. Aqqi me recueillit avec bienveillance. » Cet homme, un modeste jardinier ou puisatier selon les traductions, adopte le nourrisson. Il l’élève comme son propre fils, lui apprenant à travailler la terre.
Le métier d’Aqqi est lui aussi riche de sens : en tant que puisatier, il symbolise la connexion entre l’eau, la terre et la vie — un rôle presque sacré dans une région aride. Ce geste d’adoption ne représente pas seulement un acte de compassion, mais une reconnaissance implicite de la valeur exceptionnelle de l’enfant. En confiant l’éducation de Sargon à un homme du peuple, la légende pose aussi les bases d’un souverain « sorti de la terre », proche de ses sujets.
Une destinée tracée
Mais ce n’était pas un enfant ordinaire. Très jeune, Sargon se distingue par sa bravoure et son intelligence. Il entre au service d’Ur-Zababa, roi de Kish, puis s’impose dans les sphères du pouvoir avant de tout renverser.
Le texte laisse entendre que les dieux avaient inspiré sa destinée, marquant son ascension comme une volonté divine et non comme une simple ambition humaine. En servant d’abord comme échanson, il occupait un poste de proximité extrême avec le roi, un rôle souvent réservé à ceux en qui on avait une confiance totale. Mais cette confiance fut trahie : selon certaines versions, Ur-Zababa, effrayé par les rêves prophétiques annonçant la grandeur de Sargon, tenta même de le faire assassiner.
Une légende politique avant tout
Ce récit, loin d’être un simple conte attendrissant, avait une portée bien plus vaste. En se présentant comme un enfant abandonné mais protégé par le destin, Sargon renforce sa légitimité : il ne doit son pouvoir ni à l’hérédité ni au hasard, mais à une faveur divine. Cette narration allait inspirer d’autres récits fondateurs, y compris — selon certains chercheurs — celui de Moïse dans la Bible.
La récurrence de ce schéma de l’enfant sauvé des eaux dans d'autres cultures (Moïse, Romulus et Rémus) témoigne de sa force symbolique universelle. Chez Sargon, cependant, cette narration prend racine dans un contexte historique précis : l’instabilité politique de la Mésopotamie du IIIe millénaire avant notre ère, marquée par des luttes incessantes entre cités-États. Se revendiquer d’un pouvoir "hors norme" permettait à Sargon d’unifier ces territoires hétérogènes autour d’une figure presque mythique.
Sources
- Jean Bottéro, La Mésopotamie, Gallimard, 1997
- Jean-Paul Deléage, Sargon l’ambitieux, Le Monde, 2007
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