Révolution iranienne de 1979 : chute du Shah, retour de Khomeini et rôle de la France dans un bouleversement mondial

Jeune femme iranienne coupée en deux symbolisant la transition entre l’Iran moderne des années 1970 et l’ère islamique post-1979
Une image symbolique de la transition vestimentaire imposée aux femmes iraniennes après 1979

Révolution iranienne 1979 : chute du Shah, retour de Khomeini, rôle de la France, femmes voilées, trahison des communistes, choc pétrolier.

L’Iran du Shah – Un royaume moderne à visage autoritaire

Dans les années 1960 et 1970, l’Iran, sous la férule du Shah Mohammad Reza Pahlavi, ressemblait à un modèle de modernité au cœur du Moyen-Orient. Ses villes s’élevaient, ses avenues s’occidentalisaient, et ses universités accueillaient une jeunesse avide de savoirs. Portée par les revenus du pétrole, la « Révolution blanche » engagée par le monarque entendait transformer le pays : réforme agraire, alphabétisation, droit de vote pour les femmes, nationalisation de certaines industries… Tout semblait indiquer une nation tournée vers l’avenir. Ce projet d’industrialisation rapide transforma aussi les campagnes, provoquant un exode rural massif vers les grandes villes. Les élites proches du pouvoir, souvent éduquées en Occident, incarnaient cette modernisation spectaculaire. Mais derrière les façades vitrées de Téhéran, la pauvreté urbaine s’étendait dans les faubourgs.

Mais cette modernité avait ses ombres. Le pouvoir était centralisé, autoritaire, et répressif. La SAVAK, redoutable police politique, étouffait la dissidence. Les opposants au Shah, de toutes tendances, étaient arrêtés sans procès ou envoyés dans les geôles secrètes de la SAVAK. Le sentiment d’humiliation nationale croissait à mesure que l’Occident apparaissait comme le maître caché du pays. De nombreux religieux voyaient dans cette soumission une trahison morale du souverain envers l’islam.

C’est dans ce climat tendu, entre ouverture et asphyxie, que naquit la contestation. La société iranienne, tiraillée entre un Occident séducteur et un islam ancestral, cherchait une voie propre. À la fin des années 1970, cette tension devint insoutenable. Dans les écoles, les jeunes filles apprenaient à lire dans des manuels copiés sur ceux des lycées français, tandis que leurs mères restaient soumises à des codes sociaux archaïques. Ce contraste nourrissait un malaise identitaire profond. Ce sont ces contradictions qui alimentèrent une colère sourde dans toutes les couches sociales.

L’Iran à la croisée des mondes

La révolution iranienne de 1979 fut d'abord un tremblement de terre géopolitique. En chassant le Shah, elle mit fin à un des piliers du bloc occidental au Moyen-Orient. Plus qu’un simple changement de régime, c’était une rupture de civilisation : un État moderne et laïc cédait la place à une République islamique théocratique. Cette révolution marque une rare exception dans l’histoire contemporaine : une insurrection menée au nom de Dieu, et non du prolétariat ou de la démocratie. Le renversement de l’ordre établi fut total : institutions, armée, droit, culture. En quelques mois, l’Iran changea de langage, de calendrier et de paradigme.

Ce basculement ne fut pas le fruit du seul fondamentalisme. Il fut aussi, et peut-être surtout, une réaction à la dépossession ressentie : une volonté de réappropriation de l’histoire, de la culture, de la religion. Cette révolution-là s’éloignait des modèles soviétique ou maoïste ; elle proposait autre chose. Le religieux devenait un outil d’émancipation collective, une source d’ordre nouveau. Mais cette irruption du sacré dans le politique prit de court les analystes occidentaux. Peu nombreux furent ceux qui comprirent que l’islam chiite portait en lui une puissance révolutionnaire inédite.

À l'arrière-plan, dans l’ombre mais ô combien influents, des penseurs français suivaient, soutenaient parfois, ou questionnaient ce processus. La France intellectuelle allait jouer un rôle inattendu. Les journaux français publiaient régulièrement des tribunes d’exilés iraniens ou d’intellectuels intrigués. Ce regard extérieur, parfois romantique, influença l’opinion publique et même certains diplomates. C’est depuis Paris que se jouèrent plusieurs séquences décisives de la prise de pouvoir religieuse.

Michel Foucault en 1978 observant la révolution islamique en Iran
Michel Foucault en 1978 à Téhéran – L’un des rares intellectuels occidentaux à percevoir le potentiel révolutionnaire de l’islam chiite

Les racines intellectuelles – La France au cœur de la réflexion

Les penseurs français et l’Iranien en exil

Parmi les intellectuels français fascinés par la révolution iranienne, Michel Foucault se distingue. Correspondant pour Le Monde, il se rend en Iran à deux reprises en 1978. Il y voit une révolte spirituelle, unique, contre un régime technocratique oppressif. Foucault y vit un moment de "rupture ontologique", selon ses propres mots. Pour lui, la ferveur populaire était un acte de foi politique inédit, capable de renverser la modernité occidentale. Ce regard, bien que minoritaire, influença durablement certains milieux intellectuels radicaux.

Les académiciens et traducteurs : ponts entre Paris et Téhéran

D’autres philosophes comme Jacques Derrida, tout en se montrant plus réservés, s’interrogèrent sur le lien entre religion et politique, sur la déconstruction des modèles occidentaux. Khomeini, exilé en France à Neauphle-le-Château, devenait une figure quasi mystique pour certains. Les textes de Khomeini traduits en français circulaient dans les milieux universitaires. Cette visibilité contribua à faire de l’islam politique un objet philosophique et sociologique à part entière. L’université française, souvent engagée à gauche, hésitait entre fascination et crainte.

Portrait de l’ayatollah Khomeini, figure centrale de la révolution iranienne de 1979
Ayatollah Khomeini en exil à Neauphle-le-Château – Centre de commandement spirituel et politique de la révolution iranienne

La chute du Shah – Un exil doré, un retour orchestré

La chute progressive du régime

À l’automne 1978, l’Iran entre dans une spirale de contestation que rien ne semble pouvoir arrêter. Le 8 septembre, surnommé le « Vendredi noir », la répression dans la place Jaleh à Téhéran fait des centaines de morts. Le sang coule, les martyrs se multiplient, et le régime vacille. Les bazars, autrefois loyaux au pouvoir, fermèrent leurs portes pour soutenir les manifestants. Même les militaires, souvent issus de milieux modestes, commencèrent à douter du bien-fondé des ordres qu’ils recevaient. La monarchie millénaire ne s’effondra pas sous les balles, mais sous l’abandon.

La France dans les coulisses du retour

Khomeini, installé à Neauphle-le-Château depuis octobre 1978, reçoit la presse, dicte ses cassettes, coordonne la révolution à distance. La France, sous Giscard d’Estaing, lui offre un havre diplomatique discret. Le 1er février 1979, un avion d’Air France spécialement affrété, avec plus de 100 journalistes à bord, ramène l’ayatollah à Téhéran. Le choix de la France ne fut pas neutre : il s’agissait d’un acte diplomatique calculé. Les images du Boeing d’Air France atterrissant à Téhéran devinrent emblématiques d’un tournant mondial. Dans les jours suivants, les institutions impériales furent démantelées dans une ferveur quasi mystique.

Le choc de la désillusion

Très vite, l’illusion se brise. Khomeini impose le voile, écrase les communistes, interdit les partis. Michel Foucault, pris de court, cesse d’en parler. Certains éditorialistes se demandèrent s’il ne fallait pas distinguer révolution religieuse et théocratie autoritaire. Mais le débat fut vite éclipsé par les exécutions publiques, les procès sommaires et la répression croissante. L’idéal révolutionnaire se transformait en pouvoir absolu.

Jeu des puissances – Londres, Washington et la question du pétrole

L’engrenage anglo-américain : soutien ou ingérence ?

Depuis le coup d’État de 1953 contre Mossadegh, les États-Unis et le Royaume-Uni contrôlent étroitement les intérêts pétroliers iraniens. Le Shah reste leur allié fidèle. Mais à mesure que la contestation monte, leur soutien se fait plus discret. Le Shah restait pour l’Occident une assurance contre l’influence soviétique dans la région. Mais ses décisions économiques autoritaires irritaient aussi les grandes compagnies pétrolières. Quand la rue iranienne gronda, certains intérêts américains commencèrent à plaider pour une sortie en douceur.

Nationalisation du pétrole et calculs géopolitiques

La nationalisation de 1951 reste un traumatisme. En 1979, le pétrole est à nouveau repris en main par l’État islamique. Derrière les slogans révolutionnaires, la ressource stratégique demeure au cœur de tous les calculs. Les discours de Khomeini sur la souveraineté économique faisaient écho aux luttes anticoloniales. Le pétrole n’était plus seulement une ressource : il devenait un levier symbolique d’indépendance. La peur d’un précédent contagieux hanta longtemps les couloirs du pouvoir à Washington et Londres.

Manifestation de rue à Téhéran pendant la révolution iranienne de 1979, avec foule en colère et ambiance insurrectionnelle
Manifestation à Téhéran lors de la révolution iranienne de 1979.

Le regard sur la société iranienne – Les femmes et les promesses brisées

Avancées féminines sous le Shah et brutal virage islamiste

Sous le Shah, les femmes votaient, travaillaient, enseignaient. L’après-1979 marque une régression brutale : hijab obligatoire, métiers interdits, droits familiaux réduits. L’élan féministe est brisé en quelques mois. Des tribunaux islamiques remplacèrent les juridictions civiles, imposant une lecture littérale du Coran. Le corps féminin redevint l’objet d’un contrôle politique et moral constant. Le rêve d’égalité se heurta à la volonté d’un retour à la pureté supposée des origines.

Citations et récits de résistantes

Azar Nafisi ou Shirin Ebadi témoignent de cette trahison. Elles racontent la perte, l’exil, la lutte pour ne pas disparaître. Une moitié du peuple est ainsi réduite au silence, tandis qu’une minorité cléricale impose sa loi. Le contraste entre les années 1970 et les années 1980 est vertigineux dans les récits de ces femmes. Les souvenirs de liberté, de lectures, de débats, deviennent des fragments de mémoire clandestine. Beaucoup rejoignent la diaspora, devenant la voix muette de celles restées au pays.

Les communistes sacrifiés – L’alliance brisée des révolutionnaires

L’union sacrée contre le Shah

Les communistes du Parti Tudeh et les Fedayin luttent aux côtés des religieux contre le Shah. Le rêve d’un front populaire islamo-marxiste semble possible. La gauche iranienne rêvait d’un front révolutionnaire à la cubaine ou vietnamienne. Elle croyait possible une alliance entre marxisme et islam populaire. Cette illusion fut vite balayée par le pragmatisme brutal des religieux.

La trahison une fois le pouvoir saisi

Dès 1982, les communistes sont traqués, emprisonnés, exécutés. Le Parti Tudeh est démantelé. Khomeini a utilisé l’union tactique, puis s’en débarrasse. Les procès furent expéditifs, les aveux arrachés sous la torture. La purge fut méthodique, orchestrée par les Gardiens de la Révolution. En quelques mois, l’espace politique fut nettoyé de toute opposition non religieuse.

Témoignages historiques

Ervand Abrahamian décrit cette trahison méthodique dans L’Iran entre deux révolutions. Le pluralisme est enterré avec les cadavres des militants. Abrahamian souligne combien ces années de 1981–1983 furent un tournant funeste. L’Iran révolutionnaire enterra son pluralisme dans le silence. La gauche, trahie et décimée, laissa place à une théocratie sans partage.

Un bouleversement durable sur l’échiquier géopolitique

Depuis 1979, l’Iran défie l’Occident : guerre contre l’Irak, soutien au Hezbollah, rupture diplomatique avec les États-Unis. La République islamique impose sa voix, à coup de missiles, de discours enflammés, et de calculs stratégiques. Aujourd’hui encore, la révolution iranienne reste l’événement fondateur du Moyen-Orient contemporain. Le choc pétrolier de 1979 accentua encore la portée de la révolution. Les monarchies du Golfe virent en l’Iran islamique une menace existentielle. Le clivage sunnite-chiite, longtemps secondaire, devint une fracture stratégique majeure.

Sources

  • Ramin Parham & Michel Taubmann, Histoire secrète de la révolution iranienne, Denoël, 2009 – Acheter sur Fnac.com
  • Ervand Abrahamian, Iran Between Two Revolutions, Princeton University Press, 1982 – Sur Amazon.fr
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