La Guerre du Seau Volé (1325) : le conflit le plus absurde de l’histoire médiévale italienne entre Modène et Bologne

Soldats médiévaux italiens en armure fuyant triomphalement avec un seau en bois volé devant les remparts de Bologne, scène burlesque de 1325
La guerre du seau volé – Illustration du vol du seau par les soldats de Modène en 1325

Découvrez la Guerre du Seau Volé, un conflit médiéval absurde entre Modène et Bologne, déclenché en 1325 par le vol d’un simple seau en bois.

Introduction : une querelle de titans… pour un seau

Imaginez deux cités italiennes médiévales, gonflées d’orgueil, campées sur leurs rivalités ancestrales, prêtes à en découdre pour la moindre provocation. Imaginez à présent que l’objet de cette querelle soit… un seau. Oui, un seau en bois, banal récipient de puits. Et pourtant, c’est bien cet humble objet qui, en 1325, allait déclencher un conflit militaire d’envergure, provoquant la mort de milliers d’hommes et marquant l’histoire italienne d’une note à la fois tragique et burlesque.

La « Guerre du seau volé » est l’un de ces épisodes où le théâtre de la guerre flirte avec le grotesque. En apparence dérisoire, ce conflit est pourtant le reflet d’un climat politique tendu, d’une Italie morcelée entre puissances rivales, et d’un honneur qu’on défendait, à l’époque, jusqu’au sang. Cet épisode étonnant reste pourtant largement méconnu en dehors de l’Italie, éclipsé par d'autres conflits plus célèbres. Et pourtant, il illustre avec une rare clarté les dynamiques médiévales où l’honneur comptait parfois plus que la vie.

Les racines de la discorde

Histoire des Guelfes et Gibelins

L’Italie du Moyen Âge est un patchwork instable de cités-États, constamment en proie à des luttes d’influence. Deux grandes factions s’affrontent : les Guelfes, partisans de l’autorité papale, et les Gibelins, soutiens du Saint‑Empire romain germanique. Ces camps transcendent les frontières locales et divisent familles, quartiers, et villes entières.

Les affrontements entre Guelfes et Gibelins ont façonné le paysage politique italien pendant plus de deux siècles, provoquant une instabilité chronique. Chaque ville, chaque famille, devait choisir un camp, sous peine de perdre influence, richesses, ou protection.

Tensions territoriales : Modène et Bologne

Bologne s’affirme comme une fière guelfe, fidèle au pape. Modène, elle, s’aligne sur les positions gibelines, défendant les intérêts de l’empereur. Cette fracture idéologique ne cesse de nourrir les tensions.

Cette rivalité territoriale se manifestait aussi dans les alliances commerciales, les accords de passage et les droits sur les routes stratégiques reliant la Lombardie à la Toscane. Les escarmouches frontalières se comptaient par dizaines chaque année, dégénérant parfois en massacres de villages entiers.

L’incident : le seau volé

Les circonstances du vol

Le 15 octobre 1325, un détachement de soldats modénais, galvanisé par plusieurs mois de provocations bolonaises, lance une incursion audacieuse au cœur de leur territoire ennemi. En pleine nuit, les assaillants franchissent les lignes et s’approchent de la porte San Felice, non loin des quartiers populaires. Ce raid, prompt et ciblé, vise moins la conquête que l’humiliation : dérober et ridiculiser l’ennemi.

Après avoir saccagé quelques vivres, armes et étendards, les assaillants tombent sur un puits public, orné d’un seau en bois attaché à sa corde. Dans un geste mi‑stratégique, mi‑sarcastique, ils s’emparent de l’objet et le rapportent en trophée à Modène. La valeur matérielle du seau importe peu : c’est son symbolisme qui fait toute la différence. Les chroniqueurs de l’époque, tel Giovanni Villani, évoquent le raid avec une pointe d’ironie, soulignant l’absurdité du butin. Certains suggèrent que ce choix était délibéré : voler un objet insignifiant pour humilier publiquement Bologne.

L’acte, plus humiliant que glorieux, équivaut à un pied de nez à la puissance affirmée de la ville guelfe. Dans une période où l’honneur et l’image publique valaient leurs pesants d’or, une provocation de ce genre ne pouvait demeurer impunie.

Le seau comme symbole d’humiliation

En quelques jours, ce seau devient le cœur d’une crise diplomatique. Suspendu aux murs de Modène, il devient un objet de dérision, une moquerie assumée. Les rires fusent dans les rues, la fierté civique modénaise s’en trouve gonflée.

À Bologne, la nouvelle déclenche une onde de choc : le conseil communal se réunit en urgence. Certains magistrats souhaitent passer l’éponge ; d'autres y voient une insulte impardonnable. Le seau est perçu non pas comme un objet, mais comme le bien public même : un outil communal, vital, qui symbolisait la solidarité civique. Le dérober revenait à dérober la ville elle-même.

La spirale de vengeance s’enclenche : pour Bologne, il ne s’agit plus de retrouver un seau, mais de laver cet affront devant ses alliés et ses ennemis. La diplomatie s’efface, remplacée par une revendication guerrière : l’honneur se défend par les armes.

La guerre éclate : bataille de Zappolino

Composition des armées et stratégies

Mobilisation générale : Bologne lève une armée estimée à 32 000 hommes, l’une des plus impressionnantes d’Italie à l’époque, composée de nombreux fantassins, cavaliers et contingents alliés. Convaincue que la supériorité numérique suffira, la cité mise aussi sur la rapidité de rassemblement.

Modène, plus modeste avec environ 7 000 soldats, mise sur la discipline, l’expérience des mercenaires germaniques et la connaissance du terrain. Le choix tactique est clair : frapper fort et vite au cœur même de l’adversaire.

Le déroulement de la bataille

La bataille s’engage le 15 novembre 1325, à Zappolino, une colline à la frontière des deux cités. Dès le début, les Modénais adoptent une tactique surprenante : harcèlement de la ligne de front, puis encerclement stratégique du flanc bolonais. Ils utilisent habilement les collines pour cacher leurs mouvements.

Pris de court, les Bolonais s’effondrent en moins de trente minutes. Le terrain escarpé gêne leurs formations massives, tandis que les troupes modénaises exploitent chaque faille. Rapidement, ce qui devait être une démonstration de force se transforme en débâcle guelfe.

Bilan humain et conséquences immédiates

Environ 2 000 morts sont déplorés, principalement du côté bolonais, tandis que les pertes modénaises restent limitées. La déroute est complète : les survivants fuient vers Bologne.

De nombreux soldats bolonais sont faits prisonniers et contraints de rejoindre Modène pieds nus, symbole cruel de leur humiliation. Cet épisode marquera durablement la mémoire civique de Bologne, teintant les relations futures d’un ressentiment tenace.

L’après-guerre et la légende

Le triomphe modénais : le seau en trophée

Les Modénais rentrent chez eux, gourmands de leur victoire et de leur trophée insigne : le seau est suspendu avec fierté à la Tour de la Ghirlandina, symbole de la domination gibeline.

Chaque année, une procession solennelle est organisée, rappelant la victoire et scellant l’objet comme emblème civique. On retrouve le seau reproduit dans des manuscrits enluminés et des chroniques illustrées locales.

Renaissance satirique : Tassoni et Le Seau Enlevé

Au XVIIᵉ siècle, Alessandro Tassoni, poète originaire de Modène, célèbre l’événement dans son poème héroï-comique La Secchia Rapita. Il transforme le seau en objet mythique, poussant la satire jusqu’à inventer des dieux, des bêtes absurdes et des héros grotesques.

Tassoni détourne l’épopée classique pour mieux moquer l’orgueil italien. Sa plume acérée lui vaut la censure de cercles ecclésiastiques, choqués par l’irrévérence.

Héritage et mémoire populaire

La guerre du seau volé est désormais ancrée dans le patrimoine historique local. Les écoles la racontent avec un sourire, les visiteurs s’étonnent de son absurdité. Ce conflit incarne à la fois la brutalité médiévale et la puissance symbolique d’un simple ustensile.

Certains historiens y voient un exemple précoce de propagande par l’objet – où un trophée minimise un conflit pour en accroître la portée symbolique. Aujourd’hui, des reconstitutions et festivals locaux continuent de relater cette guerre absurde.

Sources


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