Le rêve du Sphinx : comment Thoutmôsis IV devint pharaon par la volonté des dieux à Gizeh

Jeune Thoutmôsis IV dormant à l’ombre du Grand Sphinx de Gizeh, enseveli dans le sable au crépuscule
Le jeune Thoutmôsis IV endormi sous le regard silencieux du Sphinx, presque enseveli par le sable.

Élevé par un rêve sacré, Thoutmôsis IV prétend avoir été choisi par le Sphinx pour régner sur l’Égypte. Mythe, politique ou prophétie ? Enquête immersive.

Un prince dans le désert : prélude à une destinée

Le vent soufflait chaud sur le plateau de Gizeh, soulevant des volutes de sable ocre qui dansaient entre les pattes des pyramides. Le soleil s’inclinait doucement à l’horizon, projetant des ombres géantes sur la nécropole royale. Là, dans ce paysage sacré, un jeune homme s’avança, poussiéreux, harassé de fatigue. Il n’était encore qu’un prince, oublié dans la hiérarchie des prétendants au trône, mais son nom allait bientôt résonner dans l’histoire : Thoutmôsis.

La lumière du soir peignait les pyramides d’or, étirant leurs ombres comme des doigts de géant sur la roche craquelée. À cette époque, le site de Gizeh était déjà un lieu sacré, habité par la mémoire des anciens rois et imprégné d’une atmosphère presque surnaturelle.

Venu de Memphis après une longue chevauchée, Thoutmôsis cherchait refuge, un endroit où se reposer à l’écart du tumulte de la cour. Ce fut au pied du Grand Sphinx de Gizeh qu’il s’arrêta. Monument colossal mi-homme, mi-lion, symbole de puissance royale et d’éveil solaire, le Sphinx était déjà à cette époque partiellement enseveli par le sable. Seul son visage impassible, usé par les millénaires, émergeait encore de la mer dorée.

Ses pas crissaient sur les dalles disjointes, et chaque pierre semblait résonner du poids des dynasties passées. Il ignorait alors que son choix de refuge allait devenir le fondement d’un mythe royal transmis sur plus de trois millénaires.

Le prince s’assit à l’ombre de cette créature mystique. Là, au bord du sommeil, le monde tangible s’estompa peu à peu. Le silence devint profond, comme si même le vent retenait son souffle.

Le songe sacré : rencontre avec un dieu de pierre

Dans son rêve, Thoutmôsis se retrouva devant le Sphinx, non plus sculpté dans la pierre, mais vivant. Son regard brillait d’une lumière solaire, sa voix résonnait dans le sable comme le tonnerre au-dessus du Nil. Il se présenta non comme une simple statue, mais comme Harmakhis, le dieu du soleil à l’horizon, seigneur du désert, père divin du jeune homme.

La chaleur se mua en une brume surnaturelle, et les contours du désert vacillèrent comme dans une vision sacrée. Les anciens Égyptiens considéraient les rêves comme des canaux privilégiés de communication avec les dieux, porteurs de présages ou de verdicts.

Le message fut clair, direct, implacable : « Je suis ton père. Je t’accorde la royauté sur les Deux Terres. Mais en retour, libère-moi de ce fardeau. Délivre-moi du sable qui m’étouffe. »

Le ton du Sphinx ne laissait place à aucun doute : ce n’était pas une offre, mais un pacte sacré aux conséquences cosmiques. Cette forme d’alliance divine, échange d’un acte pieux contre la souveraineté, s’inscrit dans une tradition religieuse où les rois devaient être « choisis » par les dieux.

D’un rêve au trône : la légitimation divine

Au réveil, la lumière était crue. Le Sphinx n’avait pas bougé, figé dans son éternelle posture. Mais dans le regard de Thoutmôsis brillait une résolution nouvelle. Le songe ne serait pas oublié.

Le visage du Sphinx, à demi enseveli, paraissait observer le jeune homme comme pour sceller une promesse silencieuse. Thoutmôsis comprit alors que son ascension ne dépendrait pas de la seule faveur des hommes, mais de l’appui manifeste des puissances célestes.

Peu de temps après, contre toute attente, Thoutmôsis devint pharaon. Il n’était pas l’héritier direct : ses frères aînés ou des figures plus proches de la succession semblent avoir été écartés, peut-être morts prématurément, peut-être éliminés. Certains égyptologues avancent que le jeune homme aurait accédé au pouvoir à la faveur d’une crise dynastique, voire d’un coup d’État interne à la cour de Thoutmôsis III.

La nature exacte de la transition reste incertaine : certains papyri suggèrent des conflits de succession ou une disparition prématurée de ses rivaux. Cette incertitude historique renforce l’hypothèse que Thoutmôsis IV ait eu besoin d’un récit fort, mythifié, pour ancrer sa souveraineté dans une continuité divine.

Pour renforcer sa légitimité, Thoutmôsis IV fit graver ce rêve sur une stèle monumentale, placée entre les pattes du Sphinx, là où elle est encore visible aujourd’hui. Connue sous le nom de la Stèle du Songe, ce document unique est à la fois une déclaration politique, un manifeste religieux, et une œuvre littéraire.

La stèle, haute de 3,6 mètres, est sculptée dans du granit rose d’Assouan, et décorée de hiéroglyphes relatant cette vision prophétique. Son emplacement entre les pattes du Sphinx n’est pas anodin : il symbolise la protection divine et la fusion du roi avec l’ordre cosmique.

Le Sphinx de Gizeh : gardien du royaume, voix des dieux

À l’époque de Thoutmôsis IV, le Sphinx n’était pas un simple monument abandonné. Il incarnait la puissance royale et la protection divine. Sculpté dans le calcaire du plateau, long de 73 mètres et haut de 20 mètres, il représente le pharaon Khéphren, fils de Khéops, à l’image du dieu solaire Rê-Harmakhis.

Les Égyptiens l’identifiaient à Khéphren, dont le complexe funéraire se trouve à proximité immédiate du Sphinx, renforçant ce lien entre culte royal et divinité solaire. Son rôle de gardien des portes de l’au-delà en faisait un médiateur essentiel entre les rois défunts et les forces de l’univers.

Son regard fixe l’est, vers le lever du soleil. Il n’est pas seulement un gardien du tombeau royal, mais un point de jonction entre les vivants et les morts, les hommes et les dieux, le monde du visible et celui du mystère.

Dans les textes religieux, regarder vers l’horizon oriental signifiait accueillir la renaissance du soleil et affirmer le renouvellement du pouvoir. Le visage même du Sphinx, bien qu’érodé, présente des traits dynastiques codifiés associés à la royauté, tels que le némès et l’uræus frontal.

Le choix de Thoutmôsis d’ancrer son récit de légitimation dans ce lieu n’est pas anodin. Il s’agit d’une manœuvre spirituelle autant que politique : s’approprier le pouvoir symbolique de la nécropole la plus prestigieuse d’Égypte pour y asseoir sa souveraineté.

En inscrivant son songe au cœur du plus prestigieux site funéraire d’Égypte, il s’associait à la lignée des bâtisseurs de pyramides. C’était une manière de se placer symboliquement sous l’égide de Khéphren, s’appropriant ainsi son aura et son autorité ancestrale.

Entre mythe et manœuvre : le rêve comme outil de pouvoir

Avec un recul de 3400 ans, que penser de ce rêve ? Était-il sincère, inspiré par la divinité, ou soigneusement construit par un jeune prince ambitieux ?

Le recours au rêve dans les récits fondateurs égyptiens n’est pas exceptionnel : il se retrouve dans plusieurs récits dynastiques et théologiques. Ce langage onirique permettait de justifier les actions humaines par des volontés divines, rendant l’exercice du pouvoir indiscutable.

De nombreuses recherches récentes tendent vers une lecture stratégique du récit. En 2022, une nouvelle campagne de relevés photogrammétriques de la stèle a permis d’analyser certaines inscriptions partiellement effacées. On y détecte des formulations inhabituelles, comme des justifications implicites de son autorité, qui renforcent l’idée d’un discours de propagande.

Certaines lignes de la stèle semblent même sous-entendre un contexte de trouble ou de conflit au sein de la cour royale. Ce type de discours performatif permettait de transformer une prise de pouvoir en une mission sacrée, inscrite dans le destin cosmique de Maât.

Le rêve devient alors un outil diplomatique et religieux, utilisé pour transformer une possible usurpation en une mission divine.

Dans l’esprit des Égyptiens, la monarchie était l’incarnation terrestre d’un ordre céleste, et le roi agissait comme garant de l’équilibre du monde. En affirmant que les dieux eux-mêmes l’avaient désigné, Thoutmôsis s’arrogeait un rôle presque sacerdotal, au-delà du pouvoir militaire ou héréditaire.

Mais ce récit n’en reste pas moins puissant, car il s’inscrit dans une tradition millénaire propre à l’Égypte ancienne, où le rêve est un médium de communication avec le divin.

Il offre un exemple saisissant de la manière dont l’idéologie royale utilisait les symboles et les récits pour forger l’histoire. Même si sa véracité demeure discutée, sa portée culturelle et religieuse, elle, ne fait aucun doute.

Héritage d’un rêve : ce que nous dit encore la stèle de Thoutmôsis IV

L’histoire du songe de Thoutmôsis IV fascine autant qu’elle interroge. Elle nous parle d’un moment charnière, où le rêve et le pouvoir, le divin et le politique, la pierre et la parole s’unissent pour façonner la mémoire d’un règne.

Elle nous oblige à repenser la notion même de légitimité dans les sociétés anciennes, où le pouvoir s’enracinait autant dans le sacré que dans le sang. Le songe devient ainsi un récit performatif, un acte de langage qui façonne la réalité autant qu’il la raconte.

Les archéologues, depuis le XIXe siècle, s’y sont intéressés avec passion. La stèle fut redécouverte en 1817 par Giovanni Battista Caviglia, puis soigneusement étudiée.

Depuis, des campagnes de restauration et d’analyse numériques ont permis de préserver et de reconstituer certaines parties abîmées du texte. Ces études modernes montrent que la stèle a été retaillée à plusieurs époques, signe de son importance persistante à travers les siècles.

Et pourtant, malgré toutes les hypothèses, le mystère demeure. Car si le rêve a bien servi Thoutmôsis IV, il a aussi perpétué une idée plus vaste, plus universelle : celle d’un monde où les monuments parlent, où les dieux se manifestent dans le silence brûlant du désert, où les songes peuvent façonner le destin.

Ce récit incarne une vérité plus profonde que l’exactitude des faits : celle du besoin humain de croire en un ordre supérieur qui guide les destins. Tant que le Sphinx restera debout, le regard tourné vers l’horizon, l’écho de ce songe royal continuera de résonner dans le silence du désert.

Sources :

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Commentaires

  1. lorsque j'ecris je baguenaude ...et d'un sujet qui voulait parler de la peche à djerba je me suis retrouvée parlant de l'ensablement et donc de cette jolie histoire que je connaissais comme tous ceux qui connaissent l'Egypte mais plutot que de la raconter moi meme j'ai préféré faire un lien vers votre site qui est fort joliment écrit ...
    il a de tel fatras de tout et de rien sur le net , que lorsqu'un blog mérite qu'on s'y attarde autant en parler ! awa de http://dcdg.blogs-de-voyage.fr

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