Francion, le héros oublié de Troie : aux origines légendaires des rois francs et de la France

Découvrez l’histoire méconnue de Francion, héros troyen légendaire et fondateur mythique des Francs, au cœur de la construction de l’identité royale française.

Francion, l’écho oublié de Troie – Une légende fondatrice

Lorsque l’Empire romain s’effondra, laissant derrière lui un Occident fragmenté et fébrile, les souverains nouvellement établis sur les terres de Gaule durent inventer une histoire. Non pas seulement une chronologie, mais un mythe fondateur capable de rivaliser avec ceux de Rome et de la Grèce. Dans cette quête d’origine, un nom surgit des brumes du passé : Francion.

Né des cendres de Troie, Francion est décrit comme un survivant noble et valeureux, héritier d’Hector lui-même selon certaines traditions. Il aurait guidé une poignée de rescapés vers les terres du nord, où ils fondèrent la ville mythique de Sicambrie. C’est là, entre les rives du Rhin et du Danube, que naquit la première dynastie des Francs, portée par ce héros à la fois troyen et ancestral. Ce récit, bien que légendaire, servait à établir une continuité entre les civilisations antiques et les royaumes médiévaux. Il offrait aux rois francs une origine prestigieuse, renforçant ainsi leur légitimité.

Car si Francion n’a jamais existé, son histoire nous en dit long sur les ambitions des premiers rois francs et sur l’âme même du Moyen Âge. À travers l’étude de cette figure oubliée, c’est toute une époque de reconstructions, de fictions politiques et d’héritages symboliques qui se dévoile. La légende de Francion illustre la manière dont les sociétés médiévales utilisaient les mythes pour structurer leur identité collective. Elle témoigne également de la fascination persistante pour les récits héroïques et les origines glorieuses.

Héritier d’Hector – Une légende à la croisée des mythes antiques

L’ombre d’Homère dans l’Occident médiéval

Le Moyen Âge, longtemps perçu comme un âge d’ignorance, était en réalité profondément fasciné par l’Antiquité. Les récits d’Homère, transmis par des manuscrits latins ou des résumés tardifs, inspiraient rois et clercs. Dans ce contexte, les Francs voulurent eux aussi inscrire leur lignée dans cette prestigieuse généalogie. Quoi de plus noble, alors, que de remonter jusqu’à Troie ? Cette aspiration à une ascendance héroïque reflète le désir des élites médiévales de s'approprier le prestige des civilisations antiques. Elle souligne également l'importance accordée à la légitimité dynastique.

Bien avant Guillaume le Breton, plusieurs auteurs médiévaux avaient posé les fondations de cette légende. Le Pseudo-Frédégaire, dès le VIIe siècle, évoque une migration des Troyens vers la Gaule, mentionnant un certain Francio, prince de sang troyen, comme chef de ces exilés. Le Liber Historiae Francorum, rédigé vers 727, développe également cette origine mythique, même si le nom de Francion n'y est pas systématiquement utilisé. La Chronique de Frédégaire, quant à elle, associe clairement l’émergence du peuple franc à des survivants de la guerre de Troie ayant traversé l’Europe centrale pour fonder une nouvelle nation. Ces textes, bien qu’imprécis, témoignent d’une volonté déjà ancienne d’ancrer les origines franques dans une épopée antique.

Guillaume le Breton et la filiation d’Hector

Francion devint ainsi, dans les chroniques du XIIe siècle, le fils d’Hector. Guillaume le Breton, poète et chroniqueur au service de Philippe Auguste, fut l’un des premiers à formaliser cette filiation directe. En liant les rois francs à Priam, il offrait une alternative au mythe d’Énée, ancêtre des Romains, et affirmait l’égalité symbolique entre les royaumes de France et les héritiers de César. Cette construction généalogique servait à renforcer la position politique de la monarchie française face à ses rivales. Elle témoignait également de la capacité des intellectuels médiévaux à adapter les mythes anciens à leurs besoins contemporains.

En réalité, Guillaume ne faisait que reprendre et structurer des éléments déjà présents dans la tradition historiographique française. Des auteurs comme Rigord, biographe de Philippe Auguste, Jean de Paris, Honoré Bonet ou encore Guillaume Cousinot au XIVe siècle, contribuèrent eux aussi à enrichir ce mythe, chacun en fonction des contextes politiques ou spirituels de leur époque. La légende troyenne, nourrie par ces voix successives, devint l’un des piliers symboliques de l’identité monarchique française.

Du mythe troyen aux racines gauloises – Réécriture renaissante

Jean Lemaire de Belges : la réinvention humaniste

À la Renaissance, alors que l’étude des textes antiques se raffine, le mythe de Francion est revisité. Jean Lemaire de Belges, poète et historien au service de Marguerite d’Autriche, s’empare de l’histoire. Dans ses Illustrations de Gaule et singularités de Troie (1512), il va plus loin : les Gaulois eux-mêmes seraient les fondateurs de Troie. Ainsi, Francion, descendant des Troyens, revenait sur les terres de ses ancêtres. Cette inversion des origines visait à valoriser l'ancienneté et la noblesse des peuples gaulois. Elle reflétait également les préoccupations nationalistes émergentes à l'époque.

Ce retournement érudit permettait d’ancrer l’histoire nationale dans une circularité glorieuse. Non seulement les Francs ne venaient pas de l’étranger, mais ils retournaient chez eux en Gaule. C’était une manière élégante de concilier légitimité antique et enracinement territorial. Lemaire offrait aux rois français un récit à la fois prestigieux et autochtone, conforme aux idéaux de l’humanisme naissant. Cette approche illustre la manière dont les intellectuels de la Renaissance utilisaient les mythes pour servir des objectifs politiques et culturels. Elle témoigne également de la complexité des constructions identitaires à cette époque.

Le mythe au service de la monarchie

Ce récit permettait de justifier la souveraineté des Valois puis des Bourbons en liant leur sang aux plus anciennes noblesses européennes. L’histoire devenait un instrument politique, un miroir de pouvoir où se reflétaient les ambitions des rois modernes. La légende de Francion servait ainsi à renforcer l'autorité monarchique en la rattachant à une lignée prestigieuse. Elle contribuait également à forger une identité nationale fondée sur des origines glorieuses.

De la légende au silence – L’oubli de Francion

Une disparition programmée

Au XVIIe siècle, alors que l’historiographie devient plus critique, la légende de Francion commence à s’éteindre. Les érudits comme Mabillon ou Bollandus privilégient les sources documentées, les chartes, les témoignages palpables. Le récit de Francion, sans fondement archéologique ni mention antique directe, est relégué au rang de fable. Cette évolution reflète le passage d'une historiographie fondée sur les mythes à une approche plus scientifique. Elle marque également la fin d'une époque où les légendes servaient de fondement à l'autorité politique.

Les Lumières, plus tard, achevèrent cette mise à l’écart. Voltaire se moquait des origines fabuleuses, préférant la raison aux mythes. Francion disparut ainsi des manuels, des mémoires et des récits officiels. Cependant, son souvenir subsiste dans certaines traditions populaires et dans les œuvres littéraires. Il continue d'inspirer les chercheurs intéressés par les constructions mythologiques de l'identité nationale.

Une mémoire persistante

Pourtant, l’empreinte de ce mythe reste sensible. Les rois de France continuèrent longtemps à se présenter comme les "fils de Francion" dans certains textes liturgiques ou symboliques. Et le besoin de mythes fondateurs, malgré les critiques, n’a jamais cessé. En témoignent les renaissances du mythe arthurien ou les célébrations napoléoniennes. La légende de Francion, bien que marginalisée, demeure un élément significatif de l'imaginaire collectif français. Elle illustre la manière dont les sociétés utilisent les récits fondateurs pour construire une mémoire nationale.

Héros de papier, pouvoir bien réel – Ce que Francion nous dit de la monarchie franque

Une généalogie imaginaire mais utile

Francion, bien que fictif, a permis aux rois francs puis français de structurer une identité dynastique. En s’appuyant sur la rhétorique antique, ils ont créé un pont entre leur époque et celle des héros de l’Antiquité. Le pouvoir, pour s’imposer, avait besoin d’un récit. Et dans ce récit, Francion remplissait le rôle du héros civilisateur. Il incarnait à la fois l’éloquence grecque, la bravoure gauloise et la piété chrétienne.

Le mythe comme fondement de légitimité

Ce procédé n’est pas unique à la France. Les rois d’Angleterre se disaient descendants de Brutus, lui aussi échappé de Troie. Les ducs de Bourgogne se réclamaient d’Hercule. Francion s’insère donc dans une tradition européenne de légitimation politique par la fiction. Ce n’est pas tant sa véracité historique qui importe, mais la fonction symbolique qu’il remplit. Comme tous les mythes fondateurs, il permet d’unir un peuple, de légitimer un pouvoir, de transmettre une vision du monde.

Sources et repères bibliographiques

Autres sources médiévales mentionnées :

  • Pseudo-Frédégaire, Chronique, VIIe siècle
  • Liber Historiae Francorum, vers 727
  • Chronique de Frédégaire, éd. Bruno Krusch
  • Guillaume le Breton, Gesta Philippi Augusti
  • Rigord, Vie de Philippe Auguste
  • Jean de Paris, Tractatus de potestate regia et papali
  • Honoré Bonet, L’Arbre des batailles
  • Guillaume Cousinot, Chronique de la Pucelle

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Commentaires

  1. il est curieux que vous ne parliez pas des fameux "rois" francs entièrement légendaires aussi qui avec les Marcomir et Anténor et autres ont été donnés comme ancêtres des mérovingiens ; des généalogies plus que mythiques existent pourtant de ces "princes" dont on pense que les "inventeurs" vivaient au XV ème siècle de notre ère, on les donne comme descendants de ce Francion et on les associe avec plus ou moins de rigueurs aux prétendus ancêtres de Mérovée

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    1. Ces rois ne sont aucune légendaire, jusqu'à preuve du contraire.

      Et génétiquement, la majorité des Français sont porteurs de l'haplogroupe R1B comme les Hittites(Troyens inclus)

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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