La bataille de Marathon (490 av. J.-C.) : Athènes face aux Perses, naissance d’un mythe grec

Duel entre un hoplite grec et un immortel perse pendant la bataille de Marathon, illustrant la confrontation entre démocratie athénienne et empire perse.

Plongée immersive dans la bataille de Marathon (490 av. J.-C.), entre mythe et réalité, où Athènes forgea les prémices de son identité démocratique.

Un vent sec soufflait ce matin-là sur la plaine. Les herbes hautes frémissaient comme si elles pressentaient le tumulte à venir. L’aube du 12 septembre 490 avant notre ère ne portait encore que les ombres longues des collines d’Attique. Mais les hommes, eux, étaient déjà debout, l’épée ceinte, la peur au ventre, le regard tourné vers l’horizon où luisait, menaçante, la masse sombre de l’armée du Grand Roi.

Sur la plaine de Marathon, les Grecs se préparaient à un affrontement dont le monde entier ignorerait longtemps encore qu’il changerait à jamais le cours de l’histoire.

L’empire et les rebelles

D’un côté, l’empire perse, né du génie administratif de Cyrus le Grand et porté à son apogée par Darius Ier. Un empire d’une ampleur inédite, organisé, rationnel, férocement structuré, étendant ses tentacules du golfe Persique aux rives de la mer Égée. De l’autre, une coalition fragile d’hommes libres : les citoyens-soldats d’Athènes et les valeureux hoplites de Platée. Deux cités, deux peuples, unis dans la peur et l’honneur.

Il faut imaginer ce monde divisé : d’un côté une superpuissance reposant sur des satrapies, des routes royales, une fiscalité organisée et une administration efficace. De l’autre, une mosaïque de cités jalouses de leur indépendance, unies par la langue et le culte des dieux, mais rarement d’accord. La révolte de Milet en 499, soutenue par Athènes, fut un acte de défi lancé contre l’empire. Elle fut aussi un aveu de la faiblesse perse sur sa périphérie occidentale. La réponse de Darius ne tarda pas. L’empire ne pardonne pas.

Dans le palais de Persépolis, les scribes gravèrent le nom d’Athènes parmi les ennemis à abattre. Darius jura de se venger. Il aurait ordonné, selon Hérodote, à un serviteur de lui répéter chaque soir à table : « Maître, souviens-toi des Athéniens. »

Marathon – Le théâtre du destin

La plaine de Marathon, étendue fertile située à quarante kilomètres au nord-est d’Athènes, s’ouvrait en éventail entre les montagnes et la mer. Les Perses avaient débarqué avec environ 20 000 hommes, espérant une victoire rapide. Ils comptaient sur le soutien des aristocrates anti-démocrates d’Athènes, et sur l’intimidation par la supériorité numérique. Leur objectif était clair : détruire Érétrie, soumettre Athènes, rétablir l’ordre.

Ils furent surpris de trouver face à eux une armée d’hoplites décidée à livrer bataille sur un terrain pourtant favorable à la cavalerie. Leur avance fut stoppée par des paysans devenus soldats, des commerçants devenus héros.

À la tête des forces grecques, Miltiade, vétéran des campagnes perses en Chersonèse, savait ce qu’il faisait. Il proposa une stratégie aussi simple que risquée : attaquer en courant. Réduire l’impact des flèches ennemies, éviter un encerclement, frapper vite et fort. Les Grecs n’avaient ni cavalerie, ni archers. Ils avaient leurs boucliers ronds, leurs casques de bronze, leurs cuirasses d’airain, et cette foi farouche dans leur liberté.

Les Athéniens, pour la plupart des citoyens ordinaires, avaient revêtu pour l’occasion leur armement complet, l’hoplitès panoplia : une cuirasse de bronze, un casque souvent à crête, des cnémides de métal, et surtout leur bouclier rond — l’hoplon — qui donnait son nom au soldat. Cette armure pouvait peser jusqu’à 30 kilos. Chaque homme la finançait lui-même, et elle était un symbole de statut autant que d’engagement civique. Le hoplite était autant un combattant qu’un pilier de la démocratie naissante.

La formation en phalange, épaisse ligne d’hommes serrés bouclier contre bouclier, n’était pas qu’un arrangement tactique : elle exigeait solidarité, discipline, et courage. Si un seul homme flanchait, c’est tout le front qui se fissurait. Cette façon de combattre plaçait chaque individu dans une dépendance vitale à l’égard de son voisin, à droite, à gauche, derrière. Ce n’est pas un hasard si Marathon deviendrait par la suite le symbole de l’unité civique athénienne.

Les sources modernes estiment entre 9 000 et 11 000 le nombre de Grecs présents. Face à eux, les forces perses — peut-être entre 15 000 et 25 000 hommes — étaient composées de contingents venus de tout l’empire : Mèdes, Susiens, Parthes, Bactriens, chacun avec ses armes, ses rites, ses dieux. Mais tous obéissaient à Darius. Tous étaient venus soumettre les Grecs et punir Athènes.

Le choc

Les Grecs, disposés en ligne mince au centre et plus épaisse sur les ailes, foncèrent. Courir vers l’ennemi, cela ne se faisait pas. Mais ce jour-là, les Athéniens inventèrent l’audace. Le choc fut terrible. Les hoplites, avec leurs longues lances (les dory), enfoncèrent les lignes perses. Le centre grec plia — volontairement ? —, attirant les Perses en son cœur. Puis les ailes, plus robustes, enveloppèrent l’ennemi. Un mouvement de tenaille redoutable.

Ce que la tradition orale a transformé en tactique de génie fut peut-être aussi un heureux hasard du champ de bataille. Mais le résultat fut sans appel : la panique gagna les rangs perses, les hommes tombaient en masse dans les marais ou étaient taillés en pièces.

La bataille ne dura pas plus d’une heure, peut-être deux. Mais ce fut un carnage. Hérodote évoque 6 400 morts côté perse, pour 192 Athéniens. Ce chiffre, souvent contesté, illustre néanmoins l’ampleur de la défaite perse. La mer Égée ne suffisait pas à laver l’affront.

L’après-bataille – Une légende en marche

Les Perses, en déroute, regagnèrent leurs navires. Une partie de leur flotte tenta de contourner le cap Sounion pour fondre sur Athènes par la mer. Les hoplites, encore haletants, se lancèrent alors dans une autre course folle. Ils revinrent au pas de course jusqu’aux portes d’Athènes. Là, ils trouvèrent la population rassemblée, inquiète. Mais les Perses, en voyant les boucliers briller au loin, renoncèrent à débarquer. Athènes était sauvée.

C’est dans ce contexte que naît la légende du messager. On parle souvent de Phidippidès, mais les sources divergent. Hérodote mentionne un hémérodrome nommé Phidippidès qui courut de Marathon à Sparte avant la bataille, pour demander de l’aide. Plutarque et Lucien, plus tardifs, évoquent un soldat courant jusqu’à Athènes après la victoire pour annoncer : « Nikomen ! » — « Nous avons vaincu ! » — avant de s’effondrer, mort d’épuisement. Ce récit, bien qu’anachronique, donnera naissance au marathon moderne.

La vision perse – Un simple revers

Du point de vue perse, Marathon n’était pas une catastrophe stratégique. Ce n’était qu’un épisode dans un théâtre secondaire. L’objectif principal, réaffirmer la domination sur la mer Égée et punir les rebelles, fut partiellement atteint. Érétrie fut rasée, ses habitants déportés à Suse. Athènes avait résisté, certes, mais pour combien de temps ?

Darius, en tout cas, ne considéra pas l’affaire close. Il lança de vastes préparatifs pour une nouvelle expédition. Il mourut en 486 avant de pouvoir la mener. Son fils Xerxès reprendrait le flambeau, avec l’invasion massive de 480 — celle des Thermopyles, de Salamine, de Platées. Le conflit, loin d’être clos à Marathon, ne faisait que commencer.

Marathon, matrice d’une identité

Ce que les Grecs comprirent ce jour-là, c’est que leur monde tenait debout. Athènes, encore hésitante sur ses institutions démocratiques, trouva dans cette victoire une confirmation de sa voie. Le peuple, en armes, avait défendu la cité. Sans tyran, sans rois, sans mercenaires.

La bataille de Marathon fut bientôt érigée en mythe fondateur. Les orateurs la mentionnaient dans les discours civiques. Elle devint un pilier de l’éducation des jeunes citoyens. Le courage des hoplites incarnait l’idéal démocratique : un homme, une voix, un bouclier.

Les traces du passé

Aujourd’hui encore, la plaine de Marathon porte les cicatrices de cette journée. Le tumulus des Athéniens, monticule de terre d’environ 9 mètres de haut, marque l’endroit où furent inhumés les 192 morts. Les fouilles ont confirmé la datation. On y a retrouvé des restes humains, des armes, des fragments de céramique.

Les archéologues ont aussi découvert les fondations d’un ancien tropaeon, une stèle de victoire érigée par les Athéniens sur le champ de bataille lui-même, probablement ornée d’armes prises à l’ennemi. Ce type de monument était destiné à signaler que les dieux avaient tranché en faveur des vainqueurs. Car pour les Grecs, la guerre n’était jamais sans lien avec le sacré. Avant la bataille, les sacrifices d’animaux — le sphagia — permettaient de lire dans les entrailles les signes du destin.

Les Athéniens inhumèrent leurs morts sur place, dans le tumulus collectif. Ce choix, exceptionnel pour l’époque — car les citoyens morts au combat étaient généralement ramenés à la cité pour y recevoir les honneurs — traduit l’importance symbolique accordée à cette bataille. L’endroit lui-même devenait un tombeau sacré, un hérôon, et les morts, des héros civiques.

Marathon et nous

En 2010, le monde a commémoré les 2 500 ans de cette bataille. Des colloques universitaires à Athènes, Paris ou Cambridge, des expositions au musée de Marathon, des conférences à l’UNESCO : l’événement fut réévalué, replacé dans le contexte plus large des relations gréco-perses.

En réalité, la bataille de Marathon n’a jamais cessé d’être réinterprétée. Au XIXe siècle, dans un climat de redécouverte des racines gréco-latines, elle devint un pilier de l’identité européenne. Les nationalistes allemands, français ou britanniques la voyaient comme le moment où "l’Europe" aurait résisté à "l’Orient". Mais cette lecture binaire est historiquement simplificatrice. L’empire perse n’était pas un monolithe barbare, mais un État complexe, multiculturel, souvent tolérant envers les religions locales. D’ailleurs, bien des Grecs d’Asie servaient dans ses armées, tandis que certaines cités grecques restèrent neutres, voire hostiles à Athènes.

Aujourd’hui, les historiens s’accordent à dire que Marathon ne fut ni le début d’une civilisation supérieure, ni la fin de l’emprise orientale. Ce fut une victoire tactique importante, mais son impact symbolique vient surtout de la façon dont les Grecs ont su la raconter.

Aujourd’hui encore, des milliers de coureurs parcourent les 42,195 kilomètres du Marathon, de la plaine antique jusqu’au cœur d’Athènes. Ils ne brandissent pas de lances, ne portent pas d’armures. Mais ils courent. En mémoire de cette course folle, née dans le feu et le sang d’une plaine battue par le vent.

Source bibliographique

Patrice Brun, La bataille de Marathon, Paris, Éditions Larousse, 2009.

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