Basile II, l’empereur byzantin qui écrasa les Bulgares et sauva l’Empire au Moyen Âge
Plongez dans le règne fascinant et brutal de Basile II, l'empereur byzantin qui terrassa les Bulgares et porta Byzance à son apogée médiéval.
Hériter d’un empire à genoux
Basile II (958 – 1025) n’est pas le plus connu des empereurs byzantins. Le passant dans la rue citera volontiers Constantin ou Justinien, obscurs basileus dont les noms s’égrènent dans les manuels scolaires. Mais Basile, lui, n’a ni rebaptisé une ville ni codifié les lois de l’Empire. Ce qu’il a accompli est plus silencieux, plus brutal, plus durable : il a sauvé Byzance de l’effondrement, restauré sa grandeur par l’épée, et brisé l’élan d’un des plus jeunes et puissants royaumes ennemis, celui de Bulgarie.
À sa naissance en 958, Basile est un enfant du palais, élevé dans les ors et les intrigues du Grand Palais de Constantinople. Son père, Romain II, meurt alors que l’enfant a à peine cinq ans. Le trône revient officiellement à Basile, mais ce sont d’autres qui gouvernent : sa mère, l’ambitieuse Théophano, et surtout un général au charisme foudroyant, Nicéphore II Phocas. Ce dernier prend la pourpre, épouse Théophano, devient empereur – et père adoptif du jeune Basile.
Constantinople devient alors un échiquier politique où les pièces se déplacent à coups de poignards. Nicéphore est assassiné par un autre général, Jean Tzimiskès, qui prend sa place. Théophano est exilée. Et Basile, encore adolescent, regarde les hommes de guerre prendre et reprendre le trône pendant qu’il apprend à se taire, à observer, à survivre.
Lorsque Jean Tzimiskès meurt à son tour, en 976, Basile est enfin seul maître de l’Empire. Ou presque. Il partage encore officiellement le trône avec son frère Constantin VIII, plus intéressé par les plaisirs que par la politique. Mais surtout, le véritable pouvoir appartient aux grands généraux de l’armée, notamment Bardas Sklèros, qui se rebelle en Anatolie, et Bardas Phocas, qui tente aussi sa chance. Deux guerres civiles successives secouent l’Empire.
Basile, encore jeune, frappe vite et fort. Il s’allie même aux Rus’ de Kiev – ses futurs convertis – pour mater ses ennemis. L’armée est reprise en main, les palais purgés, les trahisons noyées dans le sang. Il ne pardonne rien. Le pouvoir, il le garde. Dès lors, plus personne ne pourra le lui arracher.
Mais cette victoire sur les ambitions internes n’est qu’un prélude. Car aux frontières de l’Empire, le monde s’enflamme.
Deux fronts, un empire
L’Empire byzantin, à la fin du Xe siècle, est encerclé. À l’est, les Fatimides d’Égypte, fervents chiites, entendent imposer leur domination religieuse et politique sur le Levant et le sud de l’Anatolie. À l’ouest, dans les Balkans, un royaume chrétien jeune et belliqueux, la Bulgarie de Samuel Ier, attaque les possessions byzantines avec une hargne sans précédent.
À l’Est, entre fanatisme et calcul
Les Fatimides, basés au Caire, contrôlent une partie du Proche-Orient. Leurs armées harcèlent la frontière syrienne, et notamment la région d’Alep. Mais Basile II, sans chercher de conquêtes hasardeuses, pratique une politique d’équilibre. Il envoie des expéditions ciblées, comme en 995, pour briser l’encerclement d’Alep et réaffirmer la domination byzantine sur les émirs arabes locaux.
La stratégie de Basile à l’est est simple : protéger Antioche, conserver Chypre, éviter une guerre totale. Il accepte des trêves, négocie des tributs, mais veille à toujours répondre à une attaque par un coup de force. L’armée byzantine devient une lame prête à frapper, mais tenue dans un fourreau diplomatique.
À l’Ouest, le royaume bulgare s’enhardit
Depuis la fin du IXe siècle, les Bulgares ont bâti un État solide dans les Balkans. D’abord christianisés par Constantinople, ils se sont peu à peu affranchis de leur suzeraineté spirituelle et politique. Sous Samuel Ier, couronné tsar, la Bulgarie devient un véritable empire rival. Il s’étend sur une grande partie de l’actuelle Macédoine, de la Serbie, de l’Albanie et du nord de la Grèce.
Samuel ne combat pas comme les Byzantins. Il évite les grandes batailles, frappe les convois, attaque les places isolées, se replie dans les montagnes impénétrables. Entre 989 et 1001, il inflige plusieurs défaites locales à l’Empire. La Thessalie est menacée, les routes vers Dyrrachium coupées, les forteresses byzantines encerclées.
Face à cette guerre d’usure, Basile répond par la méthode. Il réorganise l’administration militaire des Balkans, rénove les garnisons, construit un réseau de forteresses interconnectées, et engage une stratégie d’encerclement. Chaque victoire est suivie d’une fondation, chaque repli d’une nouvelle route fortifiée. Il ne cherche pas une guerre courte. Il veut un étranglement total.
C’est ainsi que, pas à pas, il reconquiert les villes perdues : Skopje, Bitola, Ohrid. À chaque prise, il exile les élites bulgares, impose des gouverneurs fidèles, installe des paysans soldats byzantins. Le terrain devient peu à peu byzantin jusqu’à la moelle.
Mais Samuel tient bon. Il recule sans rompre. Il sait que tant que l’armée byzantine ne le bat pas frontalement, il peut survivre. Ce moment viendra pourtant.
Kleidion, ou le prix du fer
C’est en juillet 1014 que tout bascule. Après vingt-cinq années de guerre larvée, la Bulgarie et Byzance s’apprêtent à se heurter dans une confrontation totale. Basile II décide d’en finir.
Samuel a fortifié la gorge de Kleidion, un étroit passage dans les montagnes du sud-ouest de la Bulgarie. Palissades, pièges, archers postés sur les pentes : l’endroit est devenu un couloir de mort. Les Byzantins qui s’y aventurent sont fauchés comme du blé. Mais Basile n’est pas homme à reculer.
Il feint l’attaque frontale. Pendant que ses troupes s’usent face aux palissades, il envoie une unité d’élite, menée par le général Nicéphore Xiphias, contourner les montagnes. Le 29 juillet, à l’aube, les soldats byzantins tombent sur les Bulgares... par derrière. Pris en étau, sans issue, les troupes de Samuel sont massacrées.
C’est une défaite écrasante. Samuel s’échappe de justesse, mais son armée est anéantie. Basile, lui, veut frapper l’esprit autant que la chair. Il fait aveugler tous les prisonniers, un sur cent épargné d’un œil pour guider les autres. 15 000 hommes, dit-on, titubent ensuite sur les chemins, en longues colonnes silencieuses.
Lorsque cette horde mutilée atteint la cour de Samuel à Prespa, la stupeur est immense. Selon la chronique de Jean Skylitzès, Samuel, frappé d’émotion ou d’effroi, succombe peu après à une crise cardiaque — le 6 octobre 1014. Si le lien direct entre l’arrivée des aveugles et sa mort reste incertain, la proximité des événements alimente durablement la légende.
La résistance bulgare se poursuit encore quelques années, mais sans cohésion. En 1018, la Bulgarie est définitivement soumise. Basile II entre à Ohrid en conquérant, mais gouverne avec mesure : pas de massacre, pas de pillage. Il veut intégrer, non exterminer.
Mais le surnom est resté : Basileios Bulgaroktonos, le tueur de Bulgares.
Un empire à son zénith
La soumission de la Bulgarie en 1018 marque le sommet du règne de Basile II. L’Empire byzantin, longtemps sur la défensive, redevient une superpuissance méditerranéenne. Ses frontières s’étendent du Danube au Taurus, de l’Adriatique à l’Euphrate. Jamais, depuis Justinien, Byzance n’avait connu un tel éclat territorial et diplomatique. Mais l'œuvre de Basile II dépasse la seule guerre. C’est aussi un temps de renforcement religieux, d’expansion culturelle, et d’administration rigoureuse.
La conversion de la Rus’ : un triomphe spirituel
Parmi les coups diplomatiques les plus retentissants du règne figure la conversion de Vladimir Ier de Kiev au christianisme byzantin. En 988, Vladimir demande à épouser la sœur de Basile, Anne, en échange de son baptême. Ce mariage princier est exceptionnel : Anne est une porphyrogénète, née "dans la pourpre", et normalement inépousable par un prince étranger.
Le basileus accepte – mais exige en retour l’abandon du paganisme. Vladimir, après avoir reçu le baptême et fait baptiser son peuple dans les eaux du Dniepr, fonde une nouvelle Église, placée directement sous l’autorité de Constantinople. L’Empire vient de gagner un allié puissant et de planter la graine de l’orthodoxie dans le monde slave. C’est un coup d’éclat : aucune conquête militaire n’aura un tel impact à long terme.
Grâce à cette alliance, les artisans byzantins affluent à Kiev : mosaïstes, architectes, moines copistes. La Rus' de Kiev devient un miroir de Byzance, et un rempart contre les menaces venues du nord.
L’ordre et la foi au cœur de l’empire
Dans l’empire même, Basile II renforce la discipline. Il est un souverain austère, presque ascétique. Il ne se marie jamais, vit frugalement, dort sous la tente lors des campagnes. Son pouvoir repose non sur le faste, mais sur l’autorité directe.
Il réforme l’administration fiscale, lutte contre la corruption locale, renforce la présence impériale dans les provinces. Il veille aussi à limiter l’emprise des grandes familles aristocratiques, en particulier en Anatolie, où les dynastes terriens s’étaient enrichis au détriment de l’État. Pour contenir ces magnats, Basile confisque des terres, interdit leur transmission héréditaire, et restaure les droits des paysans-soldats – les fameux stratiotes.
Côté religieux, il protège le monachisme et encourage la diffusion du rite grec. Sous son règne, le Mont Athos devient un haut lieu spirituel de la chrétienté orientale. Les monastères fleurissent, et les copistes y préservent les trésors antiques de la philosophie et de la théologie grecques.
L’art byzantin atteint également des sommets : mosaïques dorées, églises à dômes, enluminures raffinées. Bien que Basile lui-même ait peu contribué à la culture, son règne en constitue un écrin : les artistes et les moines œuvrent à l’ombre de son épée.
Une ombre longue sur l’histoire
Et pourtant, à l’apogée de sa puissance, Basile II laisse entrevoir les failles de son système. Ce souverain si efficace en guerre, si rigoureux dans la gouvernance, échoue là où tout empereur doit réussir : préparer la suite.
Un pouvoir trop solitaire
Basile n’a pas d’héritier. Son frère, Constantin VIII, partage le trône avec lui, mais reste dans l’ombre et n’exerce jamais le pouvoir. Il est passif, incompétent, et une fois seul aux commandes après la mort de Basile en 1025, il se contente de jouir de la richesse laissée par son frère.
Basile, en concentrant tous les leviers du pouvoir entre ses mains, n’a laissé aucune marge de manœuvre à ses successeurs. Il a affaibli les aristocrates, mais n’a pas formé de relève administrative. Il a renforcé l’armée, mais n’a pas prévu sa pérennité.
Les décennies suivantes voient une succession d’empereurs faibles ou manipulés : Romain III Argyre, Michel IV, Constantin IX Monomaque… Tous s’appuient sur les familles aristocratiques qu’ils sont contraints de flatter. Les réformes de Basile sont rapidement renversées.
Les prémices d’un déclin
L’Empire, s’il reste puissant en apparence, s’effrite. À l’est, les Turcs seldjoukides s’organisent. En 1071, à la bataille de Manzikert, l’armée byzantine, divisée et mal commandée, est vaincue. Une génération après Basile, l’Asie Mineure, grenier de l’armée impériale, commence à tomber.
À l’ouest, l’unité religieuse s’effondre peu à peu. Le schisme de 1054 entre Rome et Constantinople consacre la division du christianisme. Les croisades, lancées à partir de 1096, ne feront qu’aggraver les tensions. En 1204, les Latins de la quatrième croisade s’empareront de Constantinople elle-même – une blessure que l’Empire ne guérira jamais totalement.
Mais cette histoire tragique n'efface pas l’œuvre de Basile II. Jusqu’à la fin, il incarne une idée de la souveraineté : un pouvoir absolu, mais juste ; un empire guerrier, mais administré ; une foi rayonnante, mais contrôlée.
Sources et références
- Gustave Schlumberger, L'Épopée byzantine à la fin du Xe siècle – Volume II : Basile II, le Bulgaroctone, rééd. Forgotten Books, 2019.
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Byzance est enseigné en 6e maintenant.
RépondreSupprimerEt au lycée... Pas du tout!
RépondreSupprimerL'empereur Basileios II mérite une place dans l'Empyrée aux côtés de Charlemagne,l'exterminateur des Saxons
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