1099 – Prise de Jérusalem : récit sanglant de la Première Croisade et naissance du royaume latin

Croisés entrant dans Jérusalem en 1099, des femmes agenouillées implorent leur pitié sous une lumière dorée, scène dramatique du siège de la Première Croisade.
Entrée des Croisés à Jérusalem en 1099.

Des Croisés exténués assiègent Jérusalem en 1099 : une prise sanglante, une victoire mythique, et les prémices d’un royaume fragile au cœur du monde musulman.

Une ville assiégée : Juillet 1099, l’attente insoutenable

Les murs de Jérusalem résonnaient des murmures de la peur et des prières désespérées. En ce mois de juillet 1099, les habitants savaient que l’inévitable était proche. Depuis plus d’un mois, la ville sainte subissait un siège implacable. Du haut des remparts, on distinguait les silhouettes poussiéreuses de milliers d’hommes venus de loin, animés par une foi dévorante.

Les prières s’élevaient des mosquées et des églises orientales, tandis que les rumeurs de la progression des Croisés semaient la panique. Certains habitants tentaient de fuir, mais les portes de la ville avaient été verrouillées par crainte de trahisons internes.

La ville, tenue par la dynastie fatimide d’Égypte depuis peu, manquait de provisions. Les troupes défensives, bien que motivées, savaient qu’un long siège leur serait fatal. À l’intérieur, les différentes communautés – musulmanes, juives, chrétiennes orientales – retenaient leur souffle, coincées dans une ville où chaque rue pouvait devenir un piège.

Les Croisés aux portes de la ville sainte

Une armée affamée mais déterminée

Les Croisés ne formaient pas une armée unifiée, mais une coalition fragile, faite de rivalités et d’alliances de circonstance. Godefroy de Bouillon, Raymond de Saint-Gilles (comte de Toulouse), Bohémond de Tarente et Tancrède de Hauteville faisaient partie des figures marquantes de cette expédition.

Chaque nuit, les plaintes des malades et les soupirs des mourants rappelaient aux Croisés la fragilité de leur entreprise. Pourtant, à travers la fièvre et la poussière, ils croyaient entendre l’appel divin leur promettant la rédemption éternelle.

À l’aube du siège, la situation était critique : il n’y avait ni eau ni nourriture suffisante. Le patriarche de Jérusalem, Daimbert de Pise, proposa alors une procession autour de la ville. En chantant les litanies, pieds nus, les Croisés invoquèrent la miséricorde divine — un rituel autant spirituel que psychologique, qui raviva leur ferveur.

La tour de siège, arme du destin

Faute de catapultes et de matériel lourd, les assiégeants improvisèrent. Des forêts proches furent abattues pour construire une tour de siège colossale. Ce fut Godefroy de Bouillon, installé au nord de la ville, qui prit l’initiative de son déploiement.

La construction de la tour devint un acte presque mystique : certains la baptisèrent « Tour de David » en hommage à l’ancien roi hébreu. Le bois était rare, et chaque planche transportée depuis la plaine de Naplouse représentait un effort surhumain dans la chaleur suffocante.

Le 14 juillet, après des jours de harcèlement, le grand assaut fut lancé. Les murs tremblèrent sous la pression. Les défenseurs, musulmans pour la plupart, mais aussi quelques chrétiens orientaux enrôlés de force, résistèrent avec acharnement. L’un des points faibles fut exploité par les hommes de Godefroy, qui réussirent à poser la tour contre le mur nord-est.

À l’aube du 15 juillet, un chevalier franchit les créneaux et brandit une croix. Le silence qui suivit ce geste fut aussi bref que glaçant : les portes furent ouvertes, et la fureur déferla.

Un massacre inégalé : mythe ou réalité ?

Les témoignages chrétiens

Le récit de la prise de Jérusalem est d’abord connu par les chroniqueurs chrétiens tels que Foucher de Chartres ou Raymond d’Aguilers. Ils décrivent une scène d’apocalypse :

« Le sang coulait jusqu’aux genoux des chevaux dans le Temple de Salomon. »

Ces phrases, empreintes de lyrisme et d’exaltation religieuse, ont longtemps été prises au pied de la lettre. Elles traduisent davantage l’émotion religieuse que la réalité factuelle.

Foucher de Chartres, présent sur les lieux, décrit sans détour l’odeur de mort et les cris des suppliciés résonnant sous les voûtes du Temple. Pour ces chroniqueurs, l’horreur du massacre était justifiée par la sanctification du lieu repris aux infidèles.

Ce que disent les sources musulmanes

Les chroniques arabes, comme celles d’Ibn al-Qalanisi ou d’Ibn al-Athir, confirment la violence de la prise. Les quartiers musulmans furent les plus touchés. De nombreux habitants furent massacrés ou vendus comme esclaves. Les Juifs, réfugiés dans leur synagogue, furent brûlés vifs, un épisode rapporté également par les sources croisées.

Ibn al-Athir évoque des rues jonchées de cadavres, des familles entières égorgées dans leurs maisons ou réfugiées sur les toits. Il note aussi la stupeur des survivants, incapables de comprendre comment les murailles avaient pu céder si vite.

La situation des chrétiens orientaux

Souvent oubliés, les chrétiens orientaux de Jérusalem — Grecs orthodoxes, Syriaques, Arméniens — connurent des fortunes diverses. Certains furent assimilés aux infidèles par les Croisés et traités avec hostilité. D’autres furent protégés, notamment ceux qui livrèrent des informations ou coopérèrent à l’ouverture des portes.

À la veille de la prise de Jérusalem par les Croisés en 1099, ces communautés — principalement des melkites (fidèles au dogme byzantin), des Syriaques jacobites et des Arméniens — vivaient sous domination musulmane depuis plusieurs siècles. D’abord sous les Omeyyades et les Abbassides, puis sous les Fatimides chiites, leur statut de dhimmi leur garantissait une certaine protection mais les soumettait à des restrictions juridiques, fiscales et sociales. Ils payaient la jizya, un impôt spécifique, ne pouvaient pas construire de nouvelles églises sans autorisation, et leurs manifestations de foi devaient rester discrètes. Malgré cela, ils formaient une communauté bien intégrée à la mosaïque religieuse de la ville, et certains accédaient même à des fonctions administratives.

La basilique du Saint-Sépulcre, bien que partiellement détruite sur ordre du calife al-Hakim en 1009, avait été en partie restaurée grâce aux efforts diplomatiques et financiers byzantins. Elle restait un centre spirituel majeur, symbole d'une foi persistante malgré les tourments politiques. Mais dans les décennies précédant 1099, les tensions entre Fatimides d'Égypte et Seldjoukides sunnites provoquèrent un climat d’instabilité croissante. Les chrétiens, parfois perçus comme une “cinquième colonne” susceptible d’appuyer Byzance ou l’Occident, furent soumis à davantage de suspicion. Si les pèlerinages occidentaux vers Jérusalem étaient encore possibles, ils devenaient plus risqués. Ainsi, lorsqu’ils virent approcher les bannières croisées, certains chrétiens locaux nourrirent une lueur d’espoir : celle d’être peut-être délivrés d’un joug devenu plus pesant.

Certains chrétiens orientaux furent accusés de collusion avec les musulmans, notamment les Jacobites, et subirent des persécutions ponctuelles. Mais d’autres, comme les Arméniens, obtinrent parfois la protection des Croisés en échange de leur soutien logistique ou spirituel.

Godefroy de Bouillon assis sur un trône entouré de ses conseillers après la prise de Jérusalem, scène illustrant la fondation du Royaume latin.
Godefroy de Bouillon sur son trône à Jérusalem.

La naissance du Royaume de Jérusalem

Godefroy de Bouillon, l’« Avoué du Saint-Sépulcre »

À l’issue de la bataille, les chefs croisés devaient décider du sort de la ville. Un trône était vacant. Godefroy de Bouillon refusa d’être couronné « roi » en un lieu où le Christ avait porté la couronne d’épines. Il prit le titre d’Advocatus Sancti Sepulchri – Avoué du Saint-Sépulchre.

Son refus de la couronne renforça son aura légendaire : on le dépeignait comme un Moïse chrétien, conduit par Dieu mais refusant la gloire terrestre. Pourtant, dans les semaines qui suivirent, il mit en place une administration militaire stricte et distribua des terres aux barons pour asseoir son autorité.

Un fragile bastion chrétien

Malgré la victoire, la situation restait précaire. Les renforts étaient rares, et les états musulmans voisins commençaient déjà à se réorganiser. Dans les années qui suivirent, les attaques furent constantes. Ce royaume latin, né dans le sang, allait devoir se battre sans cesse pour sa survie.

Le territoire conquis était miné par les dissensions internes et encerclé par des puissances musulmanes hostiles. Dès 1100, des batailles sporadiques éclatèrent dans les plaines de Samarie et les vallées du sud, compromettant la stabilité du nouveau royaume.

L’écho historique d’un choc de civilisations

Une victoire à double tranchant

La prise de Jérusalem eut un retentissement considérable en Europe. Des pèlerinages massifs suivirent, et le prestige des Croisés fut immense. Mais la brutalité de l’assaut marqua profondément les esprits en Orient.

En Occident, les chansons de geste célèbrent la bravoure des Croisés, amplifiant leur geste héroïque et divin. Mais du côté musulman, les récits évoquent un désastre humiliant, marqué par la trahison des murailles et l’impuissance des autorités fatimides.

Une lecture contemporaine nuancée

Aujourd’hui, les historiens proposent une vision plus nuancée. Les Croisés n’étaient ni des monstres assoiffés de sang, ni des saints guerriers. Ils étaient le produit de leur époque, guidés par une foi intense, des intérêts politiques et des logiques territoriales.

Certains historiens soulignent que la violence des Croisades s’inscrit dans une époque marquée par les guerres de religions, les pogroms et les massacres internes même au sein de la chrétienté. D'autres insistent sur l'hybridation culturelle à venir, née malgré tout de la cohabitation forcée entre peuples et traditions.

Sources

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