Quand un Sandwich Fit Basculer la Politique : Jules Méline, Clemenceau et l’Affaire des Encas de 1888
J’adore les anecdotes politiques. Et même si elles sont souvent enjolivées voir parfois fausses, elles sont toujours intéressantes, voir croustillantes à raconter. Nous sommes en 1888 dans la Troisième République trépidante. Les élections à la présidence de la Chambre des députés promettaient d’être une joute politique classique. Mais c’était sans compter cette anecdote improbable, savoureuse autant qu’absurde, qui allait changer le cours des événements. Jules Méline, calme et posé, l’emporta face à l’énergique Georges Clemenceau, le futur « Tigre » des tranchées. Pourtant, ce n’est pas un duel d’idées qui fit pencher la balance, mais une affaire bien plus prosaïque : des sandwichs dérobés.
Nous sommes à la Chambre des députés. Clemenceau, fort de son charisme et de son talent oratoire, s’imagine déjà triomphant. Mais malgré sa verve, il traîne une réputation d’homme difficile à concilier, parfois trop prompt à l’ironie et à l’espièglerie. Loin de ces éclats, Méline, quant à lui, cultive un profil plus rassurant. C’est un homme de compromis, apprécié pour sa modération et sa discrétion. En un mot, il est l’exact opposé de Clemenceau. C’est alors qu’une scène pour le moins inattendue se joue dans les couloirs feutrés de l’Assemblée. Le docteur Michou, député républicain de gauche, est furieux. Il découvre que ses sandwichs, précieusement emportés pour un encas bien mérité, ont disparu. Le mystère est rapidement levé : Clemenceau, comme un enfant, s’est approprié les encas. Que cherchait-il ? Une blague légère pour égayer une journée monotone de débats parlementaires ? Peu importe, car cette plaisanterie passe mal. Michou, vexé et affamé, rumine sa colère.
Arrive enfin le jour du vote pour la présidence de la Chambre. L’hémicycle est bondé, les députés discutent à voix basse. Le duel s’annonce serré, mais personne ne s’attend à un véritable coup de théâtre. Lorsque les bulletins sont comptés, les deux candidats obtiennent exactement le même nombre de voix. C’est là que le docteur Michou entre en scène. Encore piqué par l’affaire des sandwichs, il décide d’exprimer son ressentiment de la manière la plus spectaculaire qui soit : en votant pour Méline, privant ainsi Clemenceau de la victoire. Méline est élu au bénéfice de l’âge, une règle rarement invoquée, qui offre une conclusion digne d’une comédie de boulevard.
Cette victoire imprévue changea non seulement la carrière de Méline, mais aussi celle de Clemenceau. À partir de ce moment, Méline joua un rôle clé dans l’adoption de plusieurs lois majeures. L’un de ses plus grands accomplissements fut le vote, le 11 janvier 1892, de la loi sur le double tarif douanier, plus connue sous le nom de « loi Méline ». Cette législation instaura un système protectionniste destiné à préserver les agriculteurs français des importations à bas prix, notamment celles des blés américains qui envahissaient le marché. La loi établit un double tarif : un taux ordinaire et un taux préférentiel pour les pays offrant des avantages douaniers équivalents à la France. Si cette mesure permit de clore la période de libre-échange amorcée en 1860, elle eut aussi des effets ambivalents. Elle protégea les petits producteurs agricoles à court terme, mais freina la modernisation de l’agriculture française sur le long terme, laissant le secteur rural en retard par rapport à d’autres pays européens pendant plusieurs décennies. Ironie de l’histoire, cette protection, qui semblait une bénédiction à l’époque, devint un handicap structurel pour la France.
La Mondialisation reviendra bientôt.
Quant à Clemenceau, loin de se laisser abattre, il tira les leçons de cette défaite. Son esprit combatif et son ambition politique restaient intacts. Bien qu’il ait été privé de la présidence de la Chambre, il rebondit rapidement. En 1906, il devint président du Conseil, prenant ainsi les rênes du gouvernement français. Une décennie plus tard, c’est lui qui mènera la France avec détermination pendant la Première Guerre mondiale. Mais, en ce jour de 1888, il quitte l’hémicycle avec un goût amer… et probablement un sandwich mal digéré.
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