Lycurgue : le législateur qui a façonné Sparte
La guerre, les 300, Léonidas, la guerre du Péloponnèse… autant d’images qui nous viennent à l’esprit lorsque l’on évoque Sparte. Sous les cieux implacables de Laconie, Sparte semblait taillée dans la pierre même de ses montagnes : austère, résolue, indomptable. Mais cette cité, admirée pour sa discipline légendaire et redoutée pour sa puissance militaire, n’a pas toujours été ce modèle de rigueur. À l’origine de cette métamorphose, une figure mystérieuse se dessine : Lycurgue. Plongeons dans le récit de cet architecte de l’ordre spartiate.
Lycurgue, selon les récits antiques, aurait vécu au IXe ou au VIIIe siècle av. J.-C. Mais qui était-il ? Était-il un simple régent, un sage voyageur ou une construction symbolique ? Les textes oscillent entre réalité et légende. Hérodote en fait un législateur inspiré par les voyages, tandis que Plutarque, dans sa Vie de Lycurgue, lui attribue une sagesse presque divine. Ce qui est certain, c’est qu’il apparut dans une Sparte déchirée par les conflits internes. Les rivalités entre les clans, l’inégalité des richesses et l’instabilité politique menaçaient l’existence même de la cité. Lycurgue, avec une vision radicale, entreprit de transformer cette société fragmentée en une communauté unifiée, où l’intérêt collectif primerait sur les ambitions individuelles. Avant de commencer, il aurait consulté l’oracle de Delphes, qui le bénit : Lycurgue, aimé des dieux, ta cité prospérera tant que tes lois resteront intactes. Rassuré, il prit la direction de Sparte pour la réorganiser.
Mais avant, imaginons l’homme.
C’était un être au regard perçant, marqué par une détermination froide. Ses traits, disent les récits, reflétaient la rigueur de son esprit : une mâchoire carrée, un visage austère, des cheveux noirs coupés court selon la tradition spartiate. Lycurgue était le fils d’une des deux lignées royales de Sparte, les Eurypontides, et aurait servi comme régent après la mort de son frère, le roi Polydecte. Son statut royal ne l’empêchait pas de mener une vie d’austérité exemplaire, en accord avec les principes qu’il imposa plus tard à ses concitoyens. Pourtant, l’histoire de sa vie reste floue, comme enveloppée d’un voile de légendes. Plutarque rapporte qu’après la mort de son frère, Lycurgue céda volontairement le trône au fils de ce dernier, encore enfant. Ce geste fit de lui un homme respecté, mais il dut également affronter des accusations et des complots. Selon certains récits, des membres de sa propre famille auraient même tenté de l’assassiner. Pour échapper à ces tensions, Lycurgue quitta Sparte et entama un long voyage qui allait transformer sa vision du monde. Il aurait voyagé en Crète, où il étudia les institutions des Minyens, puis en Ionie, où il fut fasciné par la poésie d’Homère. Selon Plutarque, il visita également l’Égypte, où il s’intéressa à l’organisation des castes, et peut-être même la Libye et l’Inde. Chaque étape de ce périple nourrissait une conviction : Sparte devait devenir une cité où l’ordre et la discipline surpasseraient toutes les ambitions individuelles. Son retour à Sparte marqua le début de son œuvre légendaire. Vêtu d’une simple tunique, il arpentait les rues, exposant sa vision d’une cité où la loi serait souveraine. On raconte qu’il utilisa son éloquence pour convaincre, mais aussi son autorité pour imposer les premières mesures. Le portrait de Lycurgue que nous peignent les auteurs antiques est celui d’un homme à la fois pragmatique et visionnaire, prêt à sacrifier sa popularité pour le bien commun. Il était aussi doté d’une grande résilience : Un homme d’acier dans une cité de pierre, dirait-on aujourd’hui.
Lycurgue conçut un système politique novateur, la Grande Rhètra, qui fut à la fois un guide et une constitution sacrée pour Sparte. L’organisation reposait sur un équilibre subtil des pouvoirs. Au sommet, deux rois issus des dynasties des Agiades et des Eurypontides partageaient l’autorité. Cette diarchie, unique dans le monde grec, limitait les abus en répartissant le pouvoir. Ils étaient épaulés par la Gérusia, un conseil de 28 anciens, et l’Assemblée des citoyens (l’Apella), où chaque homme libre pouvait voter. Enfin, cinq éphores élus chaque année exerçaient un contre-pouvoir décisif, surveillant même les rois. Ce système ingénieux permit à Sparte de maintenir une stabilité rare ; là où d’autres cités vacillaient entre tyrannie et démocratie, Sparte restait inébranlable. L’un des fondements de la vision de Lycurgue fut l’égalité entre les citoyens spartiates, qu’il imposa par des mesures drastiques. Il redistribua les terres, donnant à chaque famille une parcelle égale. Pour empêcher l’accumulation des richesses, il abolit l’or et l’argent, remplacés par une monnaie de fer : lourde, encombrante, et dépourvue de valeur commerciale en dehors de Sparte. Cette austérité matérielle s’étendit à tous les aspects de la vie spartiate. Les citoyens partageaient des repas communs dans les syssities, ces repas collectifs où la nourriture était simple et frugale. Lycurgue lui-même aurait donné l’exemple : Que ma table soit celle de tous, dit-il en sacrifiant ses propres richesses pour le bien commun.
Cependant, cette égalité reposait sur une exploitation cruelle. Les hilotes, serfs d’origine méssénienne, travaillaient la terre pour permettre aux citoyens libres de se consacrer à la guerre. Régulièrement humiliés et réprimés, ils vivaient dans la terreur constante des krypteia, ces expéditions secrètes où les Spartiates éliminaient les plus récalcitrants.
Le système éducatif instauré par Lycurgue, l’Agogè, reste l’une des innovations les plus célèbres de Sparte. Destinée à forger des citoyens-soldats, elle incarnait l’idéal spartiate de discipline et de dévouement. Dès l’âge de sept ans, les garçons quittaient leurs familles pour rejoindre cette école collective. Leur formation, brutale, visait à endurcir leur corps et leur esprit : un seul manteau pour braver l’hiver, des repas insuffisants pour apprendre à survivre, et des punitions sévères pour les rendre implacables. Un jour, raconte Plutarque, un garçon vola un renardeau pour se nourrir. Plutôt que de lâcher l’animal lorsqu’il fut découvert, il le cacha sous son manteau jusqu’à ce que l’animal le morde à mort. Ce silence héroïque illustrait l’esprit spartiate : endurer la souffrance pour protéger l’honneur de la cité.
Les filles, bien qu’épargnées par l’Agogè, bénéficiaient également d’une éducation physique exigeante. Elles s’entraînaient à la course et au lancer de disque, car Lycurgue croyait que des mères fortes donnaient naissance à des guerriers puissants.
Grâce aux réformes de Lycurgue, Sparte devint une machine militaire sans égal. Chaque citoyen était un soldat ; la guerre n’était pas une obligation, mais un état de vie. La clé de la puissance spartiate résidait dans la phalange hoplitique. Cette formation compacte, où chaque soldat protégeait son voisin avec son bouclier, incarnait l’essence même de la solidarité spartiate. Lors des guerres médiques, Sparte se distingua par son courage. À Thermopyles, les 300 Spartiates dirigés par Léonidas tinrent tête à l’armée perse de Xerxès, illustrant l’héritage de Lycurgue : mieux vaut mourir que céder.
Malgré ses succès, le modèle spartiate avait ses limites. La domination des hilotes et l’exigence de perfection militaire pesaient lourdement sur la cité. La population des citoyens libres diminua progressivement, affaiblie par des guerres incessantes et une politique nataliste insuffisante. Pourtant, l’influence de Lycurgue traversa les âges. Philosophes et penseurs, de Platon à Rousseau, trouvèrent dans ses réformes une source d’inspiration. La vision spartiate, où la discipline et l’égalité se mêlaient à une austérité extrême, reste une utopie fascinante et terrifiante. Lycurgue quitta un jour Sparte, confiant son œuvre à ses concitoyens, et disparut à jamais. Il laissait derrière lui une cité façonnée par la discipline et gravée dans l’histoire, éternelle comme les montagnes qui l’entourent.
Découvrez d'autres histoires de la Grèce Antique en cliquant: ici
Retrouvez-nous sur Facebook en cliquant: ici
Retrouvez-nous sur Instagram en cliquant: ici
Un message à nous envoyer: lesitedelhistoire2@laposte.net
Les images d'illustration appartiennent à l'auteur. Si vous voulez l'utiliser, merci de bien vouloir demander l'autorisation par mail.
Commentaires
Enregistrer un commentaire