Les Romains et le plaisir

 


Salut Caius Flaminus Maximus. Ca fait un bail qu’on ne s’est pas vu.
Ave ! Une éternité tu veux dire, depuis 11 ans (1). C’est un plaisir de te revoir dans la plus belle ville du monde ?

Paris ?
Lutèce ? Ha ! Ha ! Ha ! La bonne blague ! Non, je parle de Rome bien entendu. Bon alors, quel bon vent t’amène ?

Lors de notre dernier entretien, nous avons évoqué la place qu’occupent les divertissements, les spectacles, les plaisirs et les fêtes dans la vie des Romains. Nous autres hommes du XXIe siècle, avons le cliché du Romain affalé sur sa banquette devant un somptueux banquet et pratiquant les orgies. Or, j’ai lu récemment plusieurs auteurs de ton époque faire l’éloge de la rigueur et dénoncer les excès du luxe.
En effet depuis l’avènement d’Auguste, nous assistons à une lutte contre le luxe et les débordements. Les autorités militent pour la restauration des valeurs ancestrales. L’empereur encourage toute littérature de propagande en ce sens. Tu sais de nos jours, l’argent occupe une grande place. La richesse mobilière a supplanté la richesse foncière. Cette transformation de la vie économique bouleverse les valeurs morales. La jeunesse n’est plus ce qu’elle était. Elle cherche à satisfaire son appétit de jouissance. Ni le commerce, ni l’agriculture ne l’attirent. Encore moins le métier des armes abandonné à une armée professionnelle. Même la carrière du barreau ou des magistratures les rebute car elle perturberait son oisiveté.

Je pourrais dire la même chose de mon époque.
Ce renouveau, souhaité par une partie des élites intellectuelles et politiques, ne peut s’opérer que dans les campagnes, moins contaminées par les plaisirs de la ville. La plèbe de la ville ne se sent pas concernée et ne comprend pas pourquoi il lui faudrait travailler pour gagner autant en restant inactif.

J’ai l’impression que la ville est perçue comme un danger moral, car elle offre le divertissement.
En effet à l’origine, nous sommes des soldats et des paysans. Travail, frugalité et austérité formaient les trois règles majeures de nos vies. Nous rejetions le luxe et la vie facile. Le paysan connaissait le prix du travail et luttait contre le gaspillage. Nécessité fait force de loi. Cet adage guidait l’homme. Le plaisir était considéré comme le contraire du travail et propre à faire perdre à l’homme sa dignité.

Ce n’est pas un peu austère comme façon de voir les choses ?
Ceci ne veut pas dire que tout repos était prohibé. Les jours de fêtes étaient le moyen de se libérer pour un temps du poids imposé par le travail.

Qu’est-ce qui a changé selon toi ?
Cette morale traditionnelle qui s’accompagne de la rudesse des mœurs ne peut se concevoir que pour une cité peu importante. Rome est devenue une immense ville dans laquelle convergent toutes les richesses. A la civilisation rustique fondée sur le travail et l’austérité a succédé une civilisation urbaine qui offre les tentations du plaisir. L’exode rural n’a pas permis d’offrir du travail à tous.

Les esclaves ne travaillent-ils pas à votre place ?
Si justement. Les guerres ont amené sur notre sol un nombre considérable d’esclaves. Or ce sont les esclaves qui se chargent du travail, libérant les citoyens de cette tâche. Sous employés, ces derniers cherchent dans les jeux et les fêtes des dérivatifs à leur oisiveté.

Le changement des valeurs est donc causé par un accroissement des richesses et de la masse.
Oui et aussi par les contacts avec différents peuples et cultures, car Rome est aussi une ville internationale.

Quelles cultures par exemple ?
L’Egypte tout d’abord. Les riches connaissent une surabondance grâce au butin des conquêtes et aux tributs payés par les pays vaincus. Avec ces richesses, c’est un nouveau style de vie calqué sur l’Orient qui s’installe à Rome. Ensuite, je songe surtout aux courants philosophiques grecs, comme celui d’Epicure. Il consiste à rechercher le bien-être par l’élimination de la douleur. Il a touché un grand nombre des gens du peuple et ne s’est pas cantonné uniquement dans les écoles et cercles philosophiques. L’appétit de jouissance a remplacé l’esprit de sacrifice. Pour Salluste, la prospérité et la paix sont les causes premières de la décadence morale. De l’absence de crainte et de la sécurité naissent la facilité et le laisser-aller.

Comment cette décadence se traduirait-elles dans les faits, mis à part le luxe ostentatoire ?
Dans le changement des mœurs par exemple. Rome devient la capitale de l’amour autant que celle des fêtes et des plaisirs. La place de la femme dans notre société a changé. Elle est devenue l’objet du rêve, du désir et une muse pour les poètes. Elle fait naitre des rivalités par la séduction. C’est tout un code amoureux qui s’instaure. L’amour libre a pris le pas sur la morale de la famille et du mariage. L’adultère a peu à peu faire valoir ses raisons.

Après tout ce que tu m’as dit, je constate que les plaisirs demeurent une grande préoccupation chez vous et peu importe la condition sociale : les riches parce qu’ils en ont les moyens et les pauvres pour oublier leur condition. Je songe que la morale traditionnelle romaine ne pouvait être suivie que par un petit groupe d’individus et non par une population aussi gigantesque et diversifiée que celle de l’empire romain. Cette morale n’a jamais réussi à s’adapter aux conquêtes et à la gloire de sa cité. Cela n’a guère changé au fil du temps et doit être inhérent à l’espèce humaine.

1 : voir l’article : une vie de Romain

 

Sources

Texte : ROBERT, Jean-Noël : Les plaisirs à Rome, Payot et Rivages, Paris, 1996, 232p

Image : https://www.meisterdrucke.fr/    Fresque romaine de la maison du Triclinium,-Pompéi


Commentaires