James Ussher : Calculer l’Âge de la Terre à partir de la Bible et des Écritures

En cette froide journée d’hiver 1650, James Ussher, archevêque d’Armagh et érudit respecté, achevait son œuvre la plus monumentale : une chronologie qui prétendait remonter aux tout premiers jours de l’humanité, fondée non pas sur des sources historiques classiques mais sur le livre le plus sacré de l’Occident chrétien, la Bible elle-même. Avec cette publication, Ussher s’apprêtait à révéler au monde une date que certains prenaient pour un fait inébranlable : l’année de la Création du monde. Mais avant d’arriver à ce chiffre, il avait dû parcourir un chemin long et sinueux, guidé par les Écritures et sa foi profonde.


James Ussher naît en 1581, dans une Irlande en pleine effervescence religieuse. Il se passionne dès son plus jeune âge pour la théologie et les textes sacrés, convaincu que tout savoir véritable se trouve dans les Écritures. Sa soif d’apprendre et son esprit méthodique le mènent à de brillantes études à Trinity College, Dublin, où il s’initie non seulement à la théologie, mais aussi à l’histoire, la linguistique et la philosophie. Mais l’ambition intellectuelle d’Ussher ne s’arrête pas là. Très vite, une question le hante : à quelle époque Dieu avait-il créé le monde et l’homme ? En effet, à une époque où l’humanisme renaissant encourageait la recherche des origines et la redécouverte des textes antiques, Ussher se tournait résolument vers la Bible. Il ne cherchait pas seulement à interpréter les versets pour en comprendre le sens spirituel ; il voulait aussi en percer les mystères historiques, convaincu que le Livre sacré contenait toutes les réponses sur les origines de l’univers.

Calculer l’âge de l’homme à partir de la Bible n’était pas une idée nouvelle. Depuis l'Antiquité, de nombreux érudits avaient tenté de situer l'origine de la création divine. Mais la méthodologie d’Ussher allait plus loin. Il ne se contentait pas de lire les textes de manière littérale ; il adoptait une approche scientifique, en utilisant toutes les ressources disponibles pour établir une chronologie précise. Son projet consistait à compiler les informations présentes dans les Écritures et à les recouper avec des données historiques, astronomiques et des textes issus de la tradition juive. Il devait ainsi établir une ligne temporelle rigoureuse qui partirait d’Adam et Ève pour rejoindre les événements de l’histoire humaine connue. Sa méthodologie était inspirée des grands travaux de ses prédécesseurs, notamment ceux du Juif érudit Flavius Josèphe et de l’historien chrétien Eusèbe de Césarée, mais Ussher se montrait d’une rigueur inédite dans son traitement des sources.


L'une des premières étapes de son travail consistait à examiner les généalogies bibliques. La Bible, en particulier le Livre de la Genèse, fournit une liste détaillée des patriarches, de leur âge au moment de la naissance de leurs fils, ainsi que leur longévité. Ussher y voyait une piste précieuse pour reconstituer le temps écoulé depuis la création de l'homme.


James Ussher se plongea donc dans la Bible avec une minutie extraordinaire. Son approche était résolument chronologique : il étudiait les généalogies, comptait les années, les mois, parfois même les jours, tels qu'ils étaient décrits dans les Écritures. Il s'intéressa à la vie des patriarches, ces personnages bibliques qui vivaient des centaines d’années, et nota scrupuleusement les âges auxquels ils engendraient leurs descendants. Pour Ussher, chaque génération, chaque personnage avait un rôle dans ce vaste puzzle temporel. Mais comment aligner ces récits sacrés avec l’histoire telle qu’on la connaissait à son époque ? Ici, Ussher montra toute la richesse de son érudition. Il utilisa les chroniques babyloniennes et égyptiennes, qu’il considérait comme véridiques dans une certaine mesure, et les confronta aux événements bibliques. L’un de ses principaux défis était de concilier ces différentes chronologies, souvent discordantes, tout en maintenant la primauté des Écritures.


Un autre élément clé de sa méthode résidait dans l’étude des textes apocryphes, des sources hébraïques et les travaux d’historiens anciens. Ussher consulta également les commentaires juifs traditionnels comme le Talmud, et les écrits des premiers pères de l’Église, cherchant dans chaque source des indices supplémentaires qui l’aideraient à établir une chronologie précise.


Après des années de travail acharné, Ussher annonça son résultat : selon ses calculs, le monde avait été créé le soir du 22 octobre 4004 avant Jésus-Christ. Plus précisément, il décréta que la Création débuta à 18 heures précises, l’heure du coucher du soleil selon le calendrier hébraïque, qui marque le début du jour. Mais le choix du 22 octobre 4004 avant J.-C. n’était pas arbitraire. Il s’inscrivait dans la croyance largement répandue à l’époque que Dieu avait créé le monde à l’automne, la saison où, selon les anciens, la nature elle-même semblait renaître. La date coïncidait également avec la tradition juive du Rosh Hashanah, la fête du Nouvel An, souvent associée au moment où Dieu avait façonné le monde.


L'œuvre d'Ussher, intitulée « Annales du monde », fut publiée en 1650 en latin, puis en anglais en 1658. Le livre devint rapidement une référence incontournable, non seulement pour les théologiens mais aussi pour les scientifiques de l’époque. Sa chronologie fut intégrée aux marges de nombreuses éditions de la Bible pendant les deux siècles suivants, renforçant l'idée que la Terre et l'humanité avaient une histoire beaucoup plus courte que ne le supposaient les philosophes ou les scientifiques.


Le travail de James Ussher ne doit pas être perçu simplement comme un exemple d’obscurantisme religieux. Son esprit méthodique, son érudition et son ambition témoignent de l’effort humain constant pour comprendre d’où nous venons. Toutefois, son travail ne fut pas exempt de critiques, même parmi ses contemporains. John Lightfoot, un théologien anglais, contesta sa chronologie et proposa sa propre date pour la Création, affirmant que Dieu avait façonné le monde en octobre 3929 avant J.-C. Ces débats autour de la datation de la Création, bien que techniques, révèlent à quel point les questions d'origine étaient au cœur des préoccupations intellectuelles et religieuses du XVIIe siècle.

Avec l’avènement des sciences épigraphiques et archéologiques au XIXe siècle, les certitudes d’Ussher et de ses pairs furent de plus en plus remises en question. Chaque nouvelle découverte — que ce soit Champolion et les hiéroglyphes, la découverte de la civilisation sumérienne vieille de plusieurs millénaires, ou les tablettes cunéiformes évoquant des événements antérieurs à la chronologie biblique — repoussait toujours plus loin l’âge des civilisations et, par conséquent, celui de l’humanité. L’Église, jusque-là dominante dans l’interprétation de l’histoire des hommes, fut ébranlée par ces avancées scientifiques. Loin de l’image d’un monde jeune et ordonné, les nouvelles découvertes dessinaient une humanité bien plus ancienne, et surtout beaucoup plus complexe que ce que la Bible semblait suggérer.


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