La Légende d'Enmerkar et d'Aratta : La Naissance de l'Écriture

Début du IIIe millénaire avant Jésus-Christ, sous le ciel infini de la Mésopotamie, entre les rivières tumultueuses du Tigre et de l'Euphrate, s'élevait la majestueuse cité d'Uruk. Ses murs d'argile se dressaient comme des géants immobiles, témoins silencieux d'une époque où dieux et mortels se côtoyaient dans un ballet mystique de pouvoir et de magie. C'est dans cette ville, réputée pour sa splendeur et ses temples grandioses, que régnait Enmerkar, un roi dont la sagesse et l'ambition étaient légendaires. Uruk était plus qu'une simple cité ; elle était sous la protection de la puissante déesse Inanna, dont la présence divine imprégnait chaque pierre, chaque souffle de vent, chaque cœur battant.


Inanna, la déesse de l'amour, de la guerre et de la fertilité, était vénérée comme la protectrice et la bienfaitrice d'Uruk. Son temple, l'Éanna, était le centre spirituel de la cité, un lieu où les fidèles venaient offrir leurs prières et leurs sacrifices. Les murs de l'Éanna étaient ornés de reliefs dorés, représentant la déesse dans toute sa splendeur : une figure majestueuse avec des yeux en amande brillant d'une intelligence divine, une couronne d'étoiles sur la tête, et des ailes déployées symbolisant son pouvoir céleste. La présence d'Inanna était palpable dans chaque aspect de la vie urbaine. Les prêtresses du temple, vêtues de robes blanches brodées de fils d'or, chantaient ses louanges à l'aube et au crépuscule, leurs voix s'élevant en harmonies célestes qui résonnaient à travers les rues pavées. Les habitants d'Uruk, de l'humble fermier au noble marchand, croyaient fermement que c'était grâce à Inanna que leurs champs prospéraient, que leurs familles étaient en sécurité, et que leur cité restait invaincue face aux ennemis.


La population d'Uruk était diverse et dynamique, reflet de la richesse et de la prospérité de la cité. Les marchands parcouraient les marchés animés, leurs étals débordant de produits exotiques : tissus chatoyants venant de l'Indus, épices parfumées d'Arabie, bijoux en or et en lapis-lazuli scintillant sous le soleil de midi. Les artisans, maîtres dans l'art de la poterie, de la métallurgie et de la tannerie, créaient des œuvres d'une beauté et d'une finesse inégalées. Les scribes, gardiens de la connaissance et de la mémoire, inscrivaient sur des tablettes d'argile les récits des héros et des dieux, les lois et les transactions commerciales.


Malgré sa grandeur, Uruk n'était pas seule. Non loin, au-delà des collines et des rivières, se trouvait la ville d'Aratta, une cité aussi ancienne et puissante que mystérieuse. Les deux cités étaient liées par un destin étrange et complexe, un tissage de rivalités et d'alliances, de guerres et de paix. Aratta, une cité aussi ancienne que mythique, se trouvait nichée entre les montagnes imposantes de l'Est. Ses murs, faits de pierres brillantes et de métaux rares, reflétaient la lumière du soleil, donnant à la ville une aura presque surnaturelle. Les temples d'Aratta étaient construits en pierres précieuses, leurs coupoles ornées de saphirs et de rubis scintillant sous les rayons du soleil levant. La rumeur disait que même l'air à Aratta était différent, empli de parfums exotiques et de mystères anciens. Les habitants d'Aratta étaient tout aussi prospères que leur cité. Ils vivaient dans des maisons ornées de fresques et de mosaïques, entourés de jardins luxuriants où poussaient des fleurs rares et des arbres fruitiers. Les artisans d'Aratta étaient célèbres pour leurs compétences exceptionnelles, produisant des œuvres d'art et des objets de luxe qui étaient très recherchés à travers toute la Mésopotamie.

Enmerkar, visionnaire et stratège, ne rêvait pas d'unir Uruk et Aratta, mais de soumettre Aratta à son pouvoir. Son ambition était de forcer Aratta à restaurer le temple d'Enki à Eridu, l'Apsû, et d'embellir le sanctuaire de la déesse Inanna à Uruk. Pour cela, il devait convaincre le roi d'Aratta de se soumettre à son autorité, un défi aussi immense que les murailles de sa propre cité. Un jour, alors qu'il méditait sur la manière d'atteindre cet objectif, Enmerkar s'agenouilla dans le sanctuaire de l'Éanna, suppliant les dieux de lui accorder leur guidance. Une douce brise se leva soudainement, portant avec elle des parfums de jasmin et de myrrhe. Les flammes des torches vacillèrent, et une lumière éblouissante inonda la salle. Au centre de cette lumière, enveloppée d'un halo doré, apparut Inanna. Elle flottait dans les airs, ses ailes déployées étincelant comme des constellations dans le ciel nocturne. Ses yeux, brillants d'une sagesse millénaire, fixaient tendrement son frère. Sa couronne d'étoiles brillait intensément, projetant des reflets dorés sur les murs ornés du temple.

"Roi d'Uruk," dit-elle d'une voix mélodieuse et puissante qui résonnait comme un chant sacré, "pour soumettre Aratta et accomplir ta volonté, demande à leur seigneur de livrer un tribut pour restaurer le temple d'Enki à Eridu et pour embellir mon sanctuaire ici à Uruk."

Enmerkar, le cœur gonflé de gratitude et d'inspiration divine, sut immédiatement que la volonté d'Inanna était la clé de son succès. Inspiré par cette révélation céleste, il convoqua un héraut fidèle et le chargea de porter son message à Aratta. Le héraut, intrépide et résolu, entreprit un long voyage à travers les montagnes redoutables, affrontant des dangers incommensurables pour atteindre la cité rivale. À son arrivée, il présenta les exigences d'Enmerkar au seigneur d'Aratta : livrer un tribut destiné aux temples sacrés, sous peine de destruction.


Le seigneur d'Aratta, fier et déterminé, refusa cette demande. Le héraut retourna donc à Uruk, où Enmerkar élabora un stratagème pour plier son rival. Il envoya de nouveau le héraut à Aratta, cette fois avec une incantation dédiée à Enki, espérant séduire le seigneur d'Aratta. Mais une fois encore, ce dernier resta inflexible, se proclamant l'égal du roi d'Uruk et protégé d'Inanna.


Le héraut, fidèle à son roi, annonça alors au seigneur d'Aratta qu'Inanna l'avait abandonné pour soutenir Uruk. Affligé, le seigneur consentit finalement à se soumettre, à condition qu'Enmerkar lui envoie une importante quantité de grain. Enmerkar, après avoir réfléchi et procédé à des rituels, accepta, mais ajouta une nouvelle exigence : des pierres précieuses pour Uruk.


Le seigneur d'Aratta, dans un sursaut d'orgueil, refusa et demanda à Enmerkar de lui livrer personnellement ces pierres précieuses. Enmerkar, excédé, envoya son héraut avec un sceptre, demandant au seigneur d'Aratta de le couper à la base et de l'apporter à Uruk. Le lendemain, après une nuit de réflexion, le seigneur répondit par un autre défi : Enmerkar devait fabriquer un sceptre qui n'était ni de bois, ni de métal, ni de pierre.

Avec l'aide du dieu Enki, Enmerkar créa un sceptre de roseau après dix ans d'efforts et l'envoya à Aratta. Mais le seigneur d'Aratta, refusant de s'incliner, proposa alors un combat singulier entre deux champions des deux cités pour déterminer le vainqueur du conflit. Enmerkar accepta, mais augmenta ses exigences, demandant au peuple d'Aratta de faire des offrandes importantes pour le temple d'Inanna à Uruk, l'Éanna, ce qui constituerait une humiliation après le soutien apporté par la déesse à Uruk. 


Le conflit entre Enmerkar et le seigneur d'Aratta se déroulait désormis sur un terrain symbolique. Après une première sommation, le seigneur d'Aratta répondit par un défi : se faire livrer du grain dans des filets à grosse maille plutôt que dans des sacs. Enmerkar accepta le défi et fit envoyer du grain en germination, habilement conservé dans les filets. Mais le seigneur d'Aratta déjoua ce piège et en profita pour poser un nouveau défi.


Enmerkar tenta alors de piéger son rival en lui faisant brandir un signe de l'autorité de Kulaba, signifiant la soumission d'Aratta à Uruk. À chaque fois, le seigneur d'Aratta déjoua le piège et répondit par un nouveau défi. Finalement, Enmerkar décida de réitérer son ultimatum de manière plus impérative.


Il fit parvenir une tablette avec des signes inscrits au seigneur d'Aratta. Cette tablette portait l'inscription « le clou est enfoncé ». Ce message sans ambiguïté marquait une prise de possession territoriale, un acte symbolique de domination. En effet, en Mésopotamie, enfoncer un clou dans un mur ou sur un terrain signifiait un titre de propriété. Les grands cônes en argile sur lesquels étaient inscrits les termes de l'accord devenaient des symboles de droit. Enmerkar utilisait ce geste pour signifier la soumission d'Aratta. Si le seigneur d'Aratta acceptait de lire cette ligne, il scellait son destin et reconnaissait la suprématie d'Enmerkar.


Le seigneur d'Aratta, confronté à cette démonstration de force, comprit qu'il ne pouvait plus se dérober. Sa reconnaissance de la défaite marqua également le retour des bonnes grâces divines : Aratta reçut le secours d'Ishkur, le dieu de l'Orage, qui offrit de grandes quantités de blé, permettant à la cité de se relever.


Ainsi, sous l'impulsion d'Enmerkar et de la divine Inanna, l'écriture fut créée. Elle devint l'outil par lequel les rois communiquaient, les prêtres consignaient les rites sacrés, et les poètes immortalisaient les légendes. Les mots, gravés dans l'argile, devinrent les gardiens de la mémoire et de la connaissance. Il est important de rappeler qu'Inanna, dans un autre mythe, avait déjà joué un rôle crucial en dérobant les Me, les tablettes de la destinée, au dieu Enki pour les apporter à Uruk. Grâce à ce geste audacieux, Inanna donna à Uruk les outils nécessaires pour devenir la cité dominante de Sumer. Les Me comprenaient les lois, les rituels, les savoir-faire artistiques et techniques, et surtout, l'écriture. Ce vol divin avait permis à Uruk de s'élever au-dessus des autres cités, consolidant son statut de centre de civilisation et de pouvoir.

Nous ne connaissons pas la véritable fin de cette histoire car les tablettes sont fragmentaires, mais nous pouvons imaginer que le roi d'Aratta, accablé par les exigences croissantes d'Enmerkar et la pression divine, finit par céder. Il fit parvenir les matériaux et les richesses nécessaires aux grands travaux de la cité d'Uruk. Le temple d'Enki à Eridu fut restauré dans toute sa gloire, et le sanctuaire d'Inanna à Uruk devint un joyau resplendissant, attirant des pèlerins de toutes les contrées. Uruk, ainsi embellie et fortifiée, devint la cité dominante de Sumer, son influence s'étendant bien au-delà de ses murailles. Enmerkar, le roi visionnaire, entra dans l'éternité non seulement comme un conquérant, mais aussi comme le père de l'écriture, le premier narrateur des légendes gravées dans le temps.


Plus tard viendra le temps du grand Gilgamesh…


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