Bougainville et le Paradis Terrestre: L'Arrivée à Tahiti, La Nouvelle-Cythère

Lorsque Louis-Antoine de Bougainville et son équipage aperçurent pour la première fois les rivages luxuriants de Tahiti en avril 1768, les navires, La Boudeuse et l'Étoile, semblaient de petites silhouettes fatiguées par des mois de navigation ininterrompue. Bougainville, explorateur né en 1729 à Paris, était déjà célèbre pour ses exploits militaires et scientifiques. En 1766, il avait entrepris un ambitieux voyage autour du monde, commandant La Boudeuse et l'Étoile, dans le but de découvrir de nouvelles terres et de renforcer la présence française dans le Pacifique. Les marins, épuisés mais pleins d'espoir, se penchaient par-dessus les rambardes, scrutant l'horizon avec des yeux brûlés par le sel et le soleil. Tahiti, cette île lointaine aux mille légendes, se révéla à eux comme un Éden perdu, un paradis terrestre dont ils avaient tant rêvé. Le 6 avril 1768, ils jetèrent l'ancre dans la baie de Matavai, découvrant une terre où la nature semblait exulter en une symphonie de couleurs et de senteurs. À travers le murmure des vagues et le parfum enivrant des fleurs tropicales, ils entrevirent un monde nouveau, empreint de mystère et de promesses.

Le premier contact avec les habitants de l'île fut marqué par une hospitalité inattendue et désarmante. Contrairement à leurs prédécesseurs britanniques, qui avaient imposé leur présence par la force, les Français se présentaient en pacifistes, curieux et respectueux. Les Tahitiens, avec leur innocence et leur simplicité, accueillirent Bougainville et ses hommes avec une générosité qui dépassait toutes les attentes. Les fêtes, les festins et les danses se succédaient sans fin, transformant chaque journée en une célébration. Les feux d'artifice que les Français tiraient illuminaient les nuits étoilées de cette terre idyllique, ajoutant à la magie de l'endroit.


Les jeunes filles tahitiennes, parées de fleurs éclatantes, ressemblaient à des déesses des temps anciens. Elles portaient des couronnes de tiarés, dont le parfum enivrant embaumait l'air, et des colliers de frangipaniers dont les couleurs vives semblaient rivaliser avec les teintes flamboyantes du coucher de soleil. Leurs vêtements, légères étoffes colorées, flottaient gracieusement autour de leurs silhouettes élancées, révélant leur peau cuivrée sous les rayons du soleil. Elles se déplaçaient avec une élégance naturelle, une fluidité dans leurs mouvements qui hypnotisait les marins. Ces jeunes filles, incarnant la beauté et la liberté, déambulaient parmi les marins avec une aisance désarmante. Elles riaient, chantaient et dansaient avec une joie de vivre communicative. Leur regard était franc, leurs sourires éclatants. Les matelots, déjà émerveillés par la splendeur du paysage tahitien, succombaient volontiers aux charmes des insulaires. Ils étaient fascinés par cette proximité innocente, cette façon de vivre sans contrainte ni honte.

Même les officiers, généralement plus réservés et soucieux de leur rang, se laissèrent emporter par cette atmosphère de volupté et de sérénité. Ils participaient aux festivités, se mêlant aux danses et aux chants, oubliant pour un temps les rigueurs de la discipline navale. Les nuits étaient illuminées par des feux d'artifice que les Français tiraient en l'honneur de leurs hôtes, et les éclats de rire et de musique résonnaient jusqu'à l'aube.


Bougainville, observant cette harmonie parfaite entre les hommes et la nature, fut profondément touché. Il voyait en Tahiti un miroir de la Cythère mythique, cette île grecque où, selon une des légendes, Aphrodite, la déesse de l'amour et de la beauté, était née. La Nouvelle-Cythère, comme il surnomma Tahiti, incarnait pour lui un idéal de paix et de bonheur, une utopie où les hommes vivaient en accord avec la nature et où l'amour et la beauté régnaient en maîtres. La Cythère mythologique était un lieu de délices et de passions, une terre sacrée où l'amour était célébré dans sa forme la plus pure et la plus sensuelle. En appelant Tahiti la Nouvelle-Cythère, Bougainville exprimait son admiration pour cette terre où la nature semblait avoir rassemblé tous ses trésors, et où les hommes et les femmes vivaient dans une harmonie qui rappelait les récits des âges d'or.


Mais même dans cet apparent paradis, des tensions latentes subsistaient. Un jour, un indigène fut abattu par un coup de feu, sans que l'on puisse découvrir le coupable. Deux jours plus tard, une rixe éclata entre des matelots français et des Tahitiens, entraînant la mort de trois insulaires. Cette fois, la réaction des autochtones fut plus inquiétante : ils commencèrent à abandonner leurs cases pour se réfugier dans les montagnes, faisant craindre des représailles. Bougainville, conscient de la fragilité de cette amitié naissante, mit tout en œuvre pour apaiser les esprits. Aidé par le prince de Nassau-Siegen, il déploya des trésors de diplomatie pour convaincre les Tahitiens de revenir dans leurs foyers. Les meurtriers furent mis aux fers, et Bougainville envisagea même de les faire exécuter publiquement pour montrer sa justice.


Cependant, lorsqu'ils virent les meurtriers attachés aux poteaux d'exécution et le peloton charger ses armes, les Tahitiens implorèrent la grâce des assassins. Bougainville céda à leurs suppliques. Des cadeaux furent échangés en signe de réconciliation. Bougainville distribua des outils en métal, tels que des haches et des bêches, accueillis comme des trésors. Les étoffes multicolores firent pousser des cris de joie aux femmes, qui s'empressèrent de s'en parer. Bougainville fit également planter du blé, de l'orge et des légumes sur l'île, et offrit au roi un couple de dindons ainsi que plusieurs canes et canards, dont les descendants existent encore aujourd'hui.


Il semble cependant que le vol ne soit pas courant chez les Tahitiens. Rien n'était fermé dans leurs maisons, tout était à terre ou suspendu sans fermeture ni gardien. Leur curiosité suscitait chez eux des désirs violents, et comme partout, il y avait des individus peu scrupuleux. Ces indigènes volaient beaucoup par curiosité enfantine. La sagesse consistait à se défendre sans dramatiser, ce que Bougainville sut fort bien faire. Le botaniste Commerson, philosophe dans l'âme, excusait ces larcins, considérant que ces primitifs ne pouvaient comprendre une notion inventée par des civilisations corruptrices.

Après plusieurs semaines passées à Tahiti, le moment du départ approchait. Le 16 avril, alors que La Boudeuse et l'Étoile se préparaient à lever l'ancre, les Tahitiennes pleuraient à bord des pirogues rassemblées dans la baie de Matavai. Le roi et la reine, en larmes, montèrent à bord pour dire adieu à Bougainville. À la surprise générale, ils poussèrent devant eux un jeune homme :

« Son nom est Aoutourou. Il voudrait aller en France avec toi et nous te demandons de l'emmener. »

Bougainville hésitait, craignant que ce jeune homme ne souffrît bientôt du dépaysement. Mais le prince de Nassau-Siegen, voyant une opportunité unique, intervint :

« Il pourra vous être utile dans d'autres îles. Il expliquera aux sauvages comment nous avons bien traité votre tribu. »


Bougainville accepta, et Aoutourou, vêtu en matelot, se montra bientôt fier de son nouveau costume. À bord, il devint un conseiller précieux, guidant les navires à travers les dangereux atolls du Pacifique. Cependant, ses talents linguistiques ne lui furent d'aucun secours lors des escales suivantes : Samoa, Nouvelles-Hébrides, Salomon, et Nouvelle-Guinée. Les populations de ces îles, souvent hostiles, ne ressemblaient guère aux pacifiques Tahitiens.


L'expédition de Bougainville marqua profondément l'histoire des explorations européennes. Son passage à Tahiti, relaté avec passion dans ses écrits, offrit à l'Europe une vision idéalisée de ce paradis terrestre. Tahiti, la Nouvelle-Cythère, resta gravée dans la mémoire collective comme une terre d'abondance et de bonheur, où la nature et l'homme vivaient en harmonie. Cette aventure, ponctuée de moments d'exaltation et de tensions, révéla la complexité des rencontres entre cultures. Bougainville, par sa diplomatie et son respect des autochtones, laissa une empreinte durable sur cette île, symbole d'un âge d'or révolu, où les rêves de paradis terrestre semblaient encore possibles. Les souvenirs de ces jours passés en Nouvelle-Cythère continuèrent à hanter l'imaginaire européen, transformant Tahiti en un mythe vivant, une utopie où la nature et l'homme semblaient enfin réconciliés.


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