Hôtel de la Marine - Paris (75)

 


L’Hôtel de la Marine a rouvert ses portes au public. Ce bâtiment, ancien Garde-Meuble du roi puis ministère de la Marine, est tout autant un lieu d’histoire, qu’un lieu ayant vu défiler l’histoire. En effet, il borde l’actuelle place de la Concorde sur laquelle se sont déroulés plusieurs évènements marquants.

 

En 1748, Louis XV lance une série de grands travaux dans tout le Royaume. Une nouvelle esplanade à l’extrémité ouest du parc du château des Tuileries doit être créée, au centre de laquelle trônera une statue équestre du monarque offerte par la ville de Paris. En 1753, Ange-Jacques Gabriel, Premier architecte du Roi, dessine les plans définitifs de la future Place Louis XV. Au Nord, deux palais jumeaux aux façades classiques monumentales encadrent la rue royale. Lors de l’inauguration de la place en 1757, seules les façades des hôtels sont édifiées telles un décor sans qu'aucun bâtiment ne soit construit derrière eux. La construction du bâtiment derrière les façades dure de 1757 à 1774.

Le nouvel édifice accueille le Garde-Meuble royal, l’administration chargée du mobilier du Roi. Elle est chargée du choix, de l’achat et de la conservation du mobilier et des collections du Roi (armes, cadeaux diplomatiques, étoffes, tapisseries, vases, porcelaines, chinoiseries, bronzes, linges de maison, vaisselle). Elle conserve les diamants de la couronne de France et les bijoux personnels de la famille royale. Pierre-Elisabeth de Fontanieu est le premier contrôleur général du Garde-Meuble. Il aménage des entrepôts, des ateliers, des appartements de fonction et des galeries d'exposition. Il regroupe une multitude d’objets luxueux et raffinés. Il se veut à la pointe de l’innovation en termes d'arts décoratifs et d'aménagements intérieurs. En 1777, Fontanieu permet l’accès au public à certaines galeries tous les premiers mardis de chaque mois. Ce premier musée public bâti sur le principe des cabinets de curiosités comprend trois salles d'exposition : la salle d’armes, la galerie des grands meubles (mobilier, tapisseries, tapis) et la salle des bijoux (vases, vaisselle, bijoux). Marc-Antoine Thierry de Ville d’Avray remplace Fontanieu en 1784. Il ne commande plus les meubles à des artisans, mais préfère s'adresser à une régie dirigée par le sculpteur Jean Hauré. Ce système permet de réaliser des économies. Cependant, il favorise le clientélisme. Ville d’Avray, fraichement anobli, fait rapidement fortune, ce qui suscite jalousie et critiques sur sa gestion du Garde-Meuble.

La Ière République supprime le Garde-Meuble. En 1799, le ministère de la Marine, déjà présent dans une aile du bâtiment, investit l'ensemble du palais. Au cours du XIXe siècle, l’édifice est remodelé en fonction des besoins et des évolutions technologiques tout en préservant et enrichissant les décors originels. L'édifice est classé au titre de monuments historiques en 1923. Durant l’occupation, l’état-major de la Kriegsmarine y installe ses quartiers. Dans les années 1950, le ministère de la Marine disparait progressivement. L'ensemble des services civils sont progressivement rattachés à d'autres administrations et quittent l'hôtel de la Concorde. Une restauration de l’édifice a lieu de 2006 à 2009. En 2015, le haut commandement de la marine déménage vers le centre de commandement des armées hexagone, destiné à regrouper tous les services civils et militaires de défense nationale.

L'Etat demeure propriétaire du bâtiment. Il envisage un temps de l'affecter à l'accueil de réceptions publiques et privées. En 2011, Nicolas Sarkozy nomme une commission pour décider de l’utilisation du bâtiment. Celle-ci propose de créer une galerie du trésor français, un espace d'expositions temporaires et un de ventes dans les parties historiques. Elle propose également la création d'un restaurant et d'une boutique/librairie. Pour les anciens bureaux, elle suggère de les louer. Le Louvre et le Centre des monuments nationaux (CMN) sont sollicités. Le CMN engage une profonde restauration du bâtiment, s’échelonnant de 2017 à 2021. Aujourd’hui outre les espaces ouverts au public, l’hôtel de la Marine accueille la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, une antenne de la FIFA, des administrations, des entreprises, des cafés, un restaurant.

 

L’hôtel de la Marine a une riche histoire, mais il a été aussi spectateur de l’histoire.

Le 13 juillet 1789, des émeutiers parisiens s'introduisent dans le bâtiment à la recherche d’armes. Ils s’emparent de pics et d’épées, ainsi que des canons d'apparat offerts à Louis XIV par le Roi de Siam en 1684. En septembre 1792, Ville d’Avray est arrêté. Jean-Bernard Restout le remplace. Le 16 septembre 1792, un garde découvre que les joyaux de la Couronne ont été dérobés. La plupart des pillards sont appréhendés dans la soirée et le lendemain. Mis au secret, huit d'entre eux sont reconnus coupables et immédiatement condamnés à mort par guillotine. L’enquête révèlera que les pillards se sont introduits sans difficulté plusieurs jours de suite dans le bâtiment, sans être remarqués. Ils ont même pique-niqué dans les salons. La garde était donc insuffisante. La plupart des bijoux sont retrouvés deux ans plus tard et rejoignent les collections du Muséum d'Histoire Naturelle. On peut aujourd'hui les admirer au Louvre. Le "Bleu de France" réapparaît en Angleterre en 1812. Cependant ayant été entièrement retaillé, il a perdu son éclat initial. Il est désormais connu sous le nom de Diamant Hope et exposé à Washington. Le 21 janvier 1793, l’hôtel assiste à l’exécution de Louis XVI sur la place de la Concorde, puis le 16 octobre à celui de Marie-Antoinette. Le procès-verbal de l’exécution est rédigé dans le salon des bijoux quelques jours plus tard. 

Le 27 février 1802, l’hôtel de la Marine accueille le bal de l’Europe. Organisé par le ministre de la Marine Denis Decrès à la demande du Premier Consul Bonaparte, ce bal regroupe les ambassadeurs des puissances étrangères. Il s’agit du premier bal donné depuis la Terreur. Il marque le renouveau de la vie mondaine parisienne. Le 25 octobre 1836, Louis Philippe Ier assiste depuis la loggia à l’érection de l’obélisque. Le 27 avril 1848, dans le salon diplomatique, Victor Schoelcher, sous-secrétaire d’Etat à la Marine signe le décret d’abolition de l’esclavage.

Lors de la Libération de Paris en août 1944, les derniers combats se concentrent autour de la Place de la Concorde. De nombreux soldats allemands se retranchent dans l'Hôtel de la Marine. L'immeuble offre, depuis le salon d'angle de l'appartement de l'Intendant au premier étage, une position stratégique pour observer l'arrivée des combattants français. Un poste de tir aurait même été installé. Toutefois, la vulnérabilité de la façade et la progression à couvert des soldats alliés sous les arcades de la Rue de Rivoli le rendent inutile.

 

L’hôtel de la Marine comporte 553 pièces et quatre cours intérieures. Rassurez-vous, vous ne les visiterez pas toutes. Vous déambulerez dans les fabuleux salons d’apparat, les bureaux et lieux de vie richement meublés, ainsi que sous la spectaculaire verrière de 300m2 recouvrant la cour de l’Intendant. La loggia jouxtant le salon des Amiraux, surnommée le « balcon de l’État », offre une vue imprenable sur la place de la Concorde.

La visite offre de nombreux objets insolites. Fontanieu, libertin, aménage une chambre des plaisirs, calfeutrée, recouverte de miroirs et présentant des images de femmes nues. Lorsque la famille de son successeur emménage, Mme de Ville d’Avray fait recouvrir de vêtements les images de femmes  ou les remplace par des chérubins. La chambre de cette dernière contient une petite niche à l’attention de son chien carlin. A partir du XIXe siècle, l’hôtel de la Marine devient le centre de la diplomatie économique, marchande et militaire. Une cachette exiguë, derrière le mur de la cheminée, permet d’écouter en cachette les débats qui se déroulaient dans le salon diplomatique. L’un des salons contient le bureau sur lequel a été signée l’abolition de l’esclavage. Enfin, au fil de votre visite du premier étage, vous remarquerez des trous dans les volets percés par les Allemands. Ainsi dissimulés, ils pouvaient observer leurs ennemis.

 

 Sources

Texte :

- Visite de l’Hôtel de la Marine, effectuée le 24 septembre 2022

- Nota Bena, « Le vol des joyaux de la Couronne – Hôtel de la Marine », Youtube, décembre 2021, 18min.

Image : www.connaissancedesarts.com

 

Commentaires