La conquête de l’Algérie

 


En France, lorsque nous parlons de l’histoire de l’Algérie, nous pensons tous à la guerre d’Algérie. En effet, l’Algérie apparaît dans nos programmes scolaires dans le monde post-Seconde guerre mondiale. Cet épisode s’inscrit dans le cadre de la décolonisation. Nous avons tous appris l’histoire de l’Algérie française en commençant par la fin. Afin de mieux comprendre les violences de la guerre d’Algérie, il convient de remonter aux origines de la conquête et de la dépossession.

 

En 1832, le roi Charles X entreprend la conquête de l’Algérie. Le roi de France est en quête de gloire militaire, qui selon lui, permettrait de réaffirmer son pouvoir. Sur la scène internationale, la France cherche à se créer de nouveaux territoires en Méditerranée, afin de bousculer la prédominance britannique.

Les Français débarquent au Maghreb, croyant pourvoir s’accaparer une terre quasi-vierge. Or, l’Algérie n’est pas un vide institutionnel, ni un désert politique. Il existe un appareil d’Etat. Le dey d’Alger exerce une régence sous la tutelle ottomane. Le bey de Constantine dirige une administration qui frappe sa propre monnaie. Les Français sous-estiment les capacités d’organisation et de résistance de la population. Ils doivent affronter Abd el Kader ayant fédéré autour de sa personne les populations. L’émir possède sa cour et son armée. On peut également évoquer le soulèvement dans les Aurès ou la terrible bataille de la prise de Constantine. Des résistances existent aussi dans le Sud, du côté de Souk-Ahras, de Tébessa, du Sahara et de la Kabylie.

La conquête des années 1830 s’accompagne de pratiques criminelles. Il faut tuer, avancer et brûler. Les militaires pensent que les déportations, les bannissements, les épidémies feront disparaître les résistances. L’arrivée du général Thomas Bugeaud le 29 décembre 1840 en Algérie, nommé gouverneur, lance la véritable conquête du pays. La campagne militaire se traduit par des vagues de massacres (fusillade, enfumade, emmurade), des déportations massives, des rapts de femmes et d’enfants, le vol des récoltes et du bétail, la destruction des vergers, la spoliation des terres.

 

Au fur et à mesure de leur avancée, les militaires français s’aperçoivent que les populations algériennes sont beaucoup plus sophistiquées qu’ils ne l’imaginaient. Certains adoptent une approche scientifique et attentive des mœurs, des dialectes et de la géographie, ce qui donnera naissance à l’orientalisme. Après avoir manié le fer et le feu, il s’agit pour les militaires de rallier les cœurs sans quoi la conquête ne serait pas pérenne.

L’année 1844 voit la création des bureaux arabes. Ils remplacent les postes militaires installés par l’armée française. Ces bureaux remplissent de nombreuses missions : faire la police dans leur circonscription, collecter des renseignements relatifs à la sécurité, rendre la justice, mais aussi exécuter des tâches de pacification liées à l’économie, la santé, l’éducation, la santé. Les bureaux arabes s’inspirent du système précédent mis en place par les Ottomans et par Abd el-Kader dans l’ouest du pays. Le mode d’administration des bureaux arabes dépend de la personnalité de leurs chefs.

 

Dans le sillage de l’armée s’installent des colons. Il s’agit de pauvres ou d’exilés politiques. Ils ne sont pas tous Français. Certains sont Espagnols ou Italiens. Les villes et villages qui se construisent portent des noms français. Les colons ont l’impression de s’inscrire dans un monde qu’ils fabriquent ex nihilo. Ils jouissent tous d’un privilège juridique considérable par rapport aux indigènes : la nationalité française pleine et entière. En effet, les Arabes sont considérés comme des barbares. Les Européens se basent sur le mythe des civilisations supérieures qui auraient pour vocation de tirer vers le haut les civilisations dites inférieures. A ce titre, les colons peuvent s’accaparer les lieux sans hésiter à repousser ceux qu’ils spolient. Les militaires cultivent le mépris de la canaille. Dès lors, il est plus facile de réprimer et d’exterminer.

 

Entre 1847 et 1850, l’Algérie est coulée dans le système administratif français par la création de trois départements. L’avènement de la IIIe République, marque le règne des colons dans une perspective assimilatrice peu respectueuse des coutumes locales. Les autorités créent une société coloniale à majorité européenne à peu près homogène. Ce sentiment de supériorité entretient l’idée qu’un nouveau peuple a pris en main les destinées de cette terre. Les bureaux arabes ne continuent d’exister que dans le Sahara, qui reste soumis au régime militaire.

 

La disparition des bureaux arabes symbolise toute la contradiction de la colonisation de l’Algérie. Une partie des militaires français, pourtant maîtres d’œuvre de la conquête, sont respectueux des mœurs de la population autochtone. A l’inverse, la IIIe République, prônant les libertés fondamentales, légalise et organise un fonctionnement colonial fondé sur la discrimination. La France, empêtrée dans son modèle jacobin, ne peut s’empêcher de centraliser et de normaliser. Dans les écoles, l’assimilation culturelle est de rigueur.

Pendant tout le XIXe siècle, le territoire algérien se transforme. Des systèmes d’irrigation sont créés ou améliorés, ce qui permet d’améliorer les rendements. L’agriculture est surtout vouée à l’exportation, avec une production de plus en plus intensive de céréales et de vin. Les villages prennent des allures provençales. Des quartiers européens naissent dans les villes existantes. A Alger, tout le quartier du port est rebâti pour faciliter la circulation des hommes, des troupes et des marchandises. Des immeubles de style haussmannien s’élèvent sur cinq ou six étages. Les premiers équipements publics sont construits : l’hôtel de ville, le palais de justice, la bibliothèque, la gare, l’hôpital, le lycée, la poste. Les musulmans sont relégués dans la Casbah avec ses ruelles étroites et sinueuses. Etant moins peuplé d’Européens, l’Est algérien porte moins leur empreinte.

 

Lorsqu’elle étendra sa domination sur le reste du Maghreb, la France ne reproduira pas le modèle algérien. Le Maroc et la Tunisie sont des protectorats. L’administration locale est préservée avec une faible colonie de peuplement. La France garde les familles régnantes en place, alors qu’en Algérie les notables ont été bannis ou exécutés. Cette différence de traitement feront qu’au milieu du XXe siècle, certains intellectuels, dont Albert Camus, rêvent d’un parlement algérien possédant de larges pouvoirs autonomes. Cependant, les Européens d’Algérie s’y opposent, tandis que la classe politique française ne l’envisage même pas.

 

Sources

Texte : « 1830-1832 : La conquête de l’Algérie, ces vérités qui dérangent », Historia, n0892, avril 2021, pp18-51.

Image : La Bataille de l’Habra (3 décembre 1835), tableau d’Horace Vernet (1840), château de Versailles, https://histoire-image.org/fr/etudes/conquete-algerie

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