Manger à Kaamelott

 


Kaamelott est sans conteste l’une des séries dans laquelle la nourriture constitue un élément central. En effet, on ne compte plus le nombre de scènes où les protagonistes se trouvent à table, à l’auberge, dans la cuisine. Ils bivouaquent à l’extérieur, grignotent dans la cuisine, dans leur chambre, voire même dans leur bain pour Karadoc. Même la Dame du Lac, pourtant dans un état d’existence différent, cuisine un cake pour les valeureux chevaliers partant à l’aventure. Montrer les chevaliers de la table ronde se nourrir est l’un des ressorts permettant à Alexandre Astier de désacraliser le mythe arthurien, en ancrant ses personnages dans le quotidien.

 

Néanmoins, l’alimentation dans Kaamelott n’a rien à voir avec celle du Moyen Age. Elle renvoie plutôt à une conception contemporaine de cette période issue de la culture geek, appelé le médiévalisme. Dans la représentation médiévaliste, les temps médiévaux sont synonymes de surabondance lors des repas. La viande est partout. On mange gras et en grande quantité. On boit de l’alcool. On rote et on pète. Or dans la réalité, même pour les seigneurs, hormis les banquets, la nourriture est plutôt frugale. Elle se compose en grandes parties de légumes et de pains. Cette différence entre la réalité et la représentation puise ses origines dans l’Antiquité tardive. En effet, les auteurs romains décrivent leurs congénères comme des modèles de sobriété en opposition à la gloutonnerie des peuples barbares. Ils associent la civilisation avec le végétarisme et la barbarie avec la consommation de viande. Consommer de la viande est synonyme de puissance guerrière. A l’inverse, une alimentation plus raffinée, doublée d’une bonne tenue durant le repas, est l’apanage d’hommes plus intellectuels, dont la virilité est souvent remise en cause. Dans la série, cette dichotomie transparaît à travers les chefs des divers clans et Bohort.

 

Le médiévalisme n’a pas volonté de coller à la réalité. Il met en scène un monde fictif permettant de nous échapper de notre quotidien. Dans nos sociétés occidentales du côté de l’alimentation, il faut faire attention à sa ligne. Les régimes sont monnaies courantes. Le végétarisme gagne du terrain grâce à la crise environnementale et au souci du bien-être des animaux. Dans ce contexte, le Moyen Age apparaît comme une époque de liberté où l’on pouvait consommer à l’envi de la viande et du gras. Le médiévalisme participe à un réenchantement alimentaire, à la redécouverte du plaisir de manger. Karadoc illustre cet aspect, face au maitre d’armes se nourrissant de fruits secs et d’eau. (ne lui dites pas qu’il mange des graines). Néanmoins, ce n’est pas parce que Karadoc mange en grandes quantités, qu’il mange mal.

En effet, Karadoc s’avère être un consommateur averti. Bien qu’il mange gras, salé, carné, il ne consomme que des bons produits. Comme il le dit lui-même : « point de vue de santé publique, il vaut mieux manger ça une fois par mois que de la merde tous les jours ». Alexandre Astier critique la malbouffe et l’industrie agroalimentaire. Il faut avoir conscience que le médiévalisme alimentaire a été créé par une société d’abondance, qui a les moyens de rendre réelles ses utopies, ou du moins de les marchandiser. Nombre de marques, depuis le début du XXe siècle, jouent sur l’iconographie médiévale pour promouvoir l’authenticité, réelle ou non, de leurs produits (les fromages, les bières, les vins, les farines). En ce sens, la série Kaamelott renvoie bien plus à l’apogée des sociétés industrielles et à la surproduction d’aliments carnés en abattoir qu’au véritable Moyen Age et à ses nombreuses restrictions.

 

Sources

Texte : BLANC William, « Festins à la cour du roi Arthur » dans BESSON Florian et Justine BRETON (dir), Kaamelott : un livre d’histoire, Vendémiaire*, Paris, 2019, pp 207-220.

Image : medieval-cordes.fr

Commentaires