Le Canada et les Canadiens durant la Guerre de Sécession
Le Canada est
une colonie britannique. En ce sens, il s’aligne sur la ligne de conduite de
Londres et demeure neutre durant le conflit. Néanmoins, l’affaire du Trent en
novembre 1861 envenime les relations entre l’Union et le Canada. L’arrestation
par l’Union d’un navire, transportant des diplomates sudistes dans les eaux
britanniques fait craindre une déclaration de guerre. La tension monte entre
Londres et Washington. Dans ce cas, le Canada se retrouve au premier plan des
opérations. La milice canadienne est mobilisée et 14.000 soldats britanniques
sont envoyés au Canada. Finalement, les diplomates sont libérés et l’affaire
classée.
L’affaire du
Trent montre clairement que le Canada fait partie intégrante du conflit se
déroulant chez son voisin, tant du point de vue diplomatique que par le bais de
ses citoyens. Dès le début de la guerre, des recruteurs nordistes sillonnent
les villes canadiennes pour attirer des hommes ayant une expérience militaire.
Ils proposent des salaires plus élevés que ceux des milices locales, ainsi que
des primes pouvant atteindre les neuf cents dollars. Plusieurs miliciens
désertent pour s’enrôler aux Etats-Unis ou travaillent à leur tour comme
recruteurs au Canada. L’administration canadienne s’offusque de cette pratique.
Plusieurs recruteurs américains sont arrêtés en décembre 1861. L’administration
canadienne rappelle à ses administrés que la loi interdit aux sujets de
l’Empire britannique de servir dans une armée étrangère ou de lui venir en aide
sans avoir reçu l’autorisation du gouvernement. Des miliciens sont postés aux
frontières pour empêcher les déserteurs de rejoindre les Etats-Unis. Le
président Lincoln nie toute implication dans cette affaire et affirme que les
recruteurs agissent sans autorisation et de leur propre initiative.
Environ
50.000 Canadiens combattent durant la Guerre de Sécession. Quatre d’entre eux
sont devenus généraux et 29 ont reçu la médaille d’honneur. Avant la guerre de
nombreux Canadiens franchissent la frontière pour trouver du travail dans les
mines ou les chantiers forestiers. En règle générale, ils reviennent dans leur
région d’origine dès que leur situation économique s’est améliorée. Durant le
conflit, beaucoup d’entre eux perdent leur emploi. L’enrôlement dans l’armée
fédérale devient un moyen de substitution. Chaque soldat reçoit une solde de
treize dollars par mois. En 1862, les Canadiens s’enrôlent moins. La guerre
s’éternise et devient plus cruelle. Les conditions de vie des soldats se
détériorent. Le paiement de la solde devient irrégulier. Le décret de la
conscription en mars 1863 apporte de nouveaux avantages monétaires pour les
ressortissants étrangers. Les primes d’engagement peuvent s’élever jusqu’à
trois cents dollars, une somme considérable représentant plusieurs années de
travail. Certains Canadiens deviennent des spécialistes du saut, cette pratique
consistant à s’engager pour toucher les primes, puis à déserter avant de
s’engager à nouveau sous un autre nom pour empocher de nouvelles primes. Si le
risque encouru devient trop important, il leur suffit de retourner au Canada.
L’argent n’est pas la seule motivation des Canadiens à s’engager au service de
l’Union. En effet, ces derniers sont favorables à l’abolition de l’esclavage et
soutiennent donc le Nord sur le plan idéologique. De plus, les Canadiens
francophones sont de fervents chrétiens. Pour eux, combattre l’esclavage
revient à œuvrer pour le bien. Avant la guerre des milliers d’esclaves trouvent
refuge au Canada où l’esclavage a été aboli. Certains atteignent le Nord par
leurs propres moyens. D’autres jouissent du soutien d’un réseau de fuite
illégal surnommé le Chemin de fer clandestin. Pour contrer cette fuite, les
représentants des futurs Etats sudistes font adopter la loi sur les esclaves
fugitifs.
Tous les
Canadiens ne se battent pas du côté de l’Union. Certains rejoignent le camp
confédéré. En effet pour cinquante Canadiens dans l’armée de l’Union, l’armée
de la Confédération en accueille un. La bourgeoisie se retrouve dans le combat
mené par le Sud pour sa liberté économique et politique. D’ailleurs, le
président Lincoln ne dit-il pas lui-même que le but de la guerre n’est pas
l’abolition de l’esclavage, mais la sauvegarde de l’Union ? De l’autre
côté de la frontière, la Confédération est perçue comme un petit Etat défiant
une puissance qui ne sert pas son intérêt. La comparaison avec la relation du
Canada et de la Grande-Bretagne est à peine voilée. Des ententes sont conclues
entre la Confédération et des banques canadiennes. Des sommes importantes
transitent aussi par la Banque de Montréal. À la fin de l’année 1863, la guerre
semble tourner à l’avantage du Nord. Pour déstabiliser son ennemi, le président
Jefferson Davis charge le lieutenant-colonel Jacob Thompson d’ouvrir un front à
partir du Canada. Thompson s’installe incognito à Montréal. Il organise des
raids pour libérer des Confédérés des camps de prisonniers, des attaques de
vaisseaux de l’Union sur les Grands Lacs, des attentats à New York. Son plus
grand succès reste le raid de Saint Albans dans le Vermont le 19 octobre 1864.
Des pillards pro-sudistes terrorisent la ville, volent du bétail, dévalisent
les banques avant de se réfugier au Canada. Les Américains sont outragés. Les
journaux du Nord réclament des mesures allant même jusqu’à demander une
invasion du Canada. Sous la pression, les autorités canadiennes interpellent
les pillards et veillent à ce que ce genre d’incidents ne se reproduise plus. Après
le conflit, de nombreux généraux confédérés, ainsi que le président Jefferson
Davis lui-même, trouvent refuge au Canada.
Certains
historiens pensent que la Guerre de Sécession a accéléré le processus de
construction du Canada. Au XIXe, le gouvernement colonial est peu structuré et
inefficace. Sa capacité à assurer sa propre défense est pratiquement nulle. Le
Canada craint une invasion américaine, à cause d’une idéologie selon laquelle
les Etats-Unis seraient destinés à posséder toute l’Amérique du Nord. Ce
sentiment de menace se ressent davantage avec la victoire de l’Union. Les
autorités canadiennes essayent d’unifier les provinces. A l’automne 1864 des
délégués de l’Ontario, du Québec, de la Nouvelle-Ecosse et du Nouveau Brunswick
se réunissent pour jeter les bases d’un nouvel Etat. S’inspirant des
Etats-Unis, ils adoptent une constitution, un système parlementaire avec deux
chambres, une administration fédérale. Le 1er juillet 1867, la
Confédération est proclamée, et le Canada devient un pays indépendant. De
l’autre côté de la frontière, les années d’après-guerre sont marquées par un
fort courant anti-canadien. En effet, l’Union n’a pas apprécié l’aide déguisée
apportée par le Royaume-Uni à la Confédération. Pour Londres, il était plus
confortable que les Etats-Unis soient divisés et affaiblis. L’administration
canadienne a fait mine de regarder ailleurs quand les réseaux de soutien et
d’espionnage confédérés ont sévi sur son territoire. Sous la présidence
d’Ulysse Grant, les États-Unis affirme que la Grande-Bretagne doit payer pour
ses agissements pendant la guerre. La poursuite est connue sous le nom de
Réclamation de l’Alabama, du nom du plus meurtrier de ces vaisseaux construits
en Angleterre pour la marine confédérée. Les représentants britanniques et
américains discutent de la possibilité que les États-Unis prennent le
territoire canadien au lieu de l’argent. Une conférence sur cette question se
tient à Washington en 1871. Le Premier ministre John Mcdonald représente le
Canada. Ce dernier obtient plusieurs concessions commerciales des États-Unis et
l’abandon du projet de donner le Canada en règlement des réclamations de
l’Alabama. Autre point important, le traité n’entrera en vigueur qu’après avoir
été ratifié par les gouvernements britannique et américain, et canadien. En ce
sens, le Traité de Washington représente la reconnaissance de l’indépendance du
Canada.
Les autorités et
les citoyens canadiens possèdent des relations ambiguës lors du conflit. Nombre
d’entre eux soutiennent les Nordistes avec lesquels ils partagent l’idéologie
anti-esclavagiste et les modes de vies. Néanmoins, d’autres rejoignent le Sud
qui lutte pour ses libertés et le droit à l’indépendance. Cet aspect se
retrouve également au sein des instances et des hommes politiques, à une époque
où le Canada est encore une colonie britannique. Ce sentiment se renforce après
la guerre lorsque la puissance de l’Union peut constituer une menace. En ce
sens, la Guerre de Sécession américaine a été un instant fondateur de la nation
canadienne.
Sources
Texte :
- BOYKO John
« La guerre de Sécession et le
Canada », article publié le 5 janvier 2017, www.thecanadianencyclopedia.ca
La
guerre de sécession et l’invention du Canada, Québec, Presses de
l’Université Laval, 2014
– LAMARRE Jean, Les Canadiens français et la guerre de sécession, Montréal, VLB éditeur, 2006
– LAMARRE Jean, Les Canadiens français et la guerre de sécession, Montréal, VLB éditeur, 2006
- COUTURE Jean Noël, « Les
Canadiens dans la Guerre de Sécession », article publié le 21 décembre
2016 sur www.45enord.ca
- NADEAU Jean-François,
« Montréal, la Sudiste du Nord » article publié le 15 août 2017, sur www.ledevoir.com
Image
: Couverture du livre de Mark VINET intitulé Le Québec/Canada et la Guerre de Sécession
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