L'Histoire de Manassé, le polythéiste roi de Juda condamné par la Bible

Il y a les bons rois. Et puis, il y a les mauvais. Qui sommes-nous pour juger ? Comment l’historien peut juger un roi comme Louis XIV par exemple ? Par son château, ses guerres et ses réformes économiques, il a contribué au rayonnement de la France. Mais, comme il l’avoua sur son lit de mort, il a trop fait la guerre. Son règne ruina les Français et fit des centaines de milliers de morts. Pour autant, les jeunes générations françaises ainsi que les millions d’étrangers qui visitent aujourd’hui le château de Versailles trouveront beaucoup de qualité à ce souverain dont la politique aura pourtant donné de solides fondations à la Révolution française de 1789. Moi-même, je suis un grand admirateur d’Alexandre le Grand, qui est un grand modèle pour l’historien romantique que je suis. J’aime sa légende, son mystère et sa toute-puissance. Mais il fut aussi le pyromane de Persépolis, le massacreur de tant de gens, l’homme imbu de sa personne qui exécuta certains de ses plus proches amis et un ivrogne de taverne ! Qui suis-je pour juger ? Mais surtout sur quels critères ?

Dans mes pérégrinations culturelles je découvrais au passage d’un ouvrage consacré à la Bible l’extraordinaire jugement que la postérité a laissé au roi de Juda Manassé (687 – 643). Honni par la Bible, le Talmud et les croyants, son histoire m’interpellait car encore une fois, la distinction entre légende biblique et réalité historique – tinté d’un brin d’interprétation rationnelle – nous pousse une nouvelle fois à nous questionner sur la manière de juger un personnage historique.

Fils du très pieux Ezéchias (716 – 687), roi de Juda, il doit très jeune succéder à un monument. Ezéchias est selon la Bible un modèle de vertu et de courage qui aurait pu devenir le fameux Messie – selon le Talmud - tant attendu par les adorateurs de Yahvé. Il a une politique bienveillante envers les réfugiés du Royaume de Samarie envahie par l’ogre assyrien et réalise une politique extérieure magnanime avec l’Egypte et agressive avec l’Assyrie. Mais surtout, reconnaissance ultime pour les rédacteurs de l’Ancien Testament, il réalise une politique de terreur avec tous ceux qui vouent un culte à d’autres divinités que Yahvé et fait systématiquement raser leurs temples. Il s’en prend surtout à Ashéra, divinité lunaire et femelle tellement proche de Yahvé qu’elle fut considéré un temps comme son l’épouse. De surcroit, il simplifie le culte de Yahvé en répudiant l’idolâtrie. La chute de la Samarie le conforte dans l’idée que Yahvé a puni les peuples de ce royaume et que Jérusalem doit devenir désormais le centre du culte. « Gouverner c’est prévoir », Ezéchias anticipe les futures attaques assyriennes sur son royaume et donc commande de vastes de travaux de fortifications de sa capitale et de son royaume. Insuffisant, car il est malheureusement condamné à un lourd tribut par le roi d’Assyrie Sennachérib (705 – 681) pour recouvrer son royaume et faire partir les troupes ennemies. Guérit miraculeusement d’un ulcère par l’intervention du prophète Isaïe, les rois du monde entier viennent à sa rencontre pour vérifier la miraculeuse résurrection. Soucieux du bien-être de sa population, il fait acheminer l’eau dans les villes de Jérusalem par un tunnel et aménage son territoire.

Ezéchias est beau. Il est fort et il sent bon… n’en jetez plus, il est le roi parfait !

Alors imaginez la pression du rejeton. Après 29 ans d’un règne encensé, Manassé monte sur le trône de Juda. Et là, patatras, tout s’effondre… Manassé réintroduit la terrible et sensuelle Ashéra allant jusqu’à l’introduire dans le temple de Salomon. Il fait reconstruire les temples des dieux étrangers et surtout poursuit la politique de soumission vis-à-vis de l’empire Assyrien. N’en jetez plus, les auteurs de la Bible et les croyants considèrent Manassé comme le pire des rois de Juda, celui qui jeta l’anathème sur le royaume et qui condamne par sa politique impie la terre promise à la destruction et la vengeance de Yahvé. Et la corvée dura longtemps… près de 55 ans de torture pour le peuple élu. Mais patience : la Bible nous enseigne que le digne et sage Josias reprendra en main le royaume et le culte après se règne désastreux en réintroduisant Yahvé comme seul et unique dieu à vénérer et en menant des politiques hostiles envers ses voisins !

Le juge biblique a tranché : Manassé est a jeté aux oubliettes de l’Histoire, condamné à être le plus mauvais exemple de gouvernance !

Mais voilà que l’historien et l’archéologue interviennent. Et ils ont un avis bien différent car ils basent leur conclusion sur la science, l’expérience et la découverte. Et que nous racontent-ils ? Manassé ne semble pas avoir été un si mauvais roi. Son long règne et sa discrétion vis-à-vis de ses puissants voisins ont apporté une certaine prospérité au royaume de Juda. Les spécialistes semblent même s’accorder sur le fait que les immenses travaux d’agrandissement, de protection et d’embellissement du royaume attribués par la Bible à Ezéchias auraient plutôt été réalisés du temps de Manassé. Assurbanipal, roi d’Assyrie, aurait même rendu certains territoires conquis pour le récompenser de sa fidélité. Enfin, son long règne et l’absence de toute révolution violente - militaire ou liturgique - semble également démontrer la prospérité et l’aspect paisible de se règne. La réintroduction des cultes étrangers et d’Ashéra dans la vie quotidienne des habitants n’a pas eu l’effet dévastateur que leur destruction avait apporté au temps d’Ezéchias. Sa fin de règne ne nous est pas connue. Son successeur Amon porte un nom égyptien. Le royaume a-t-il été envahi ? Manassé est-il mort sans successeur ? A-t-il eu un fils avec une égyptienne ? Les cultes égyptiens ont-ils pénétré le royaume de Juda ? Nous n’en savons rien. En revanche, Amon ne dura qu’un bref temps sur le trône, très vite remplacé par le jeune Josias qui sera dépeint dans la Bible comme un grand roi réformateur et surtout celui qui réintroduira Yahvé dans son unique et seule majesté.

Le bon sens moderne et l’analyse non partisane font de Manassé un roi sage, équilibré, prévoyant et multi-cultuel. Mais, les vertus misent en avant par la Bible doivent être un dévouement exclusif à Dieu, quitte à massacrer ou rendre malheureux sa population. Preuve en est. Sous Manassé, il n’y eut aucune guerre ou conflit… Ezéchias et Josias, encensé pour leur sainteté et leur pureté apportèrent la ruine au royaume de Juda. L’un par sa politique délétère contre l’Assyrie, l’autre contre l’Egypte. Mais pour cela les exégètes ont trouvé la parade… c’est la faute de Manassé ! Yahvé a puni le peuple élu par anticipation sous Ezéchias et a posteriori sous Josias !

Nous en arrivons à la conclusion qu’il est bien difficile à l’historien de rester factuel et neutre dans sa manière de juger un événement ou un personnage. Ses sentiments, ses convictions ou encore ses croyances peuvent fausser la factualité des faits. Néanmoins, plus le jugement est éloigné de nous dans le temps, plus on devient mystérieux et complotiste. Surtout avec la Bible. Alors, comme Socrate l’enseignait, doutons de tout et remettons en cause – intellectuellement – ce qui nous apparaît comme acquis et définitif.

Découvrez d'autres histoires sur la Bible et la religion en cliquant: ici