Similitudes entre la Rome antique et l'Europe contemporaine ?




Je me présente pour les ignares qui ne me connaitraient pas. Je m’appelle Quintus Septimius Florens Tertullianus, mais vous pouvez m'appeler Tertullien. Je suis un théologien carthaginois du IIe siècle. Originaire d’une famille berbère romanisée, mon père était centurion. Après de brillantes études de droit, j’ai exercé en tant qu’avocat à Rome. Je me suis converti au christianisme. J’ai énormément rédigé en latin, à tel point que certains me considèrent comme le père de la théologie chrétienne latine, qui était jusqu’alors essentiellement formulée en grec. Je me suis fait l’ardent défenseur du christianisme en m’opposant aux païens, aux juifs, mais aussi aux hérésies internes. J’ai soutenu des points de vue radicaux tels l’obligation du voile, l’interdiction du remariage des veuves et du baptême des nouveaux nés. Ma plume mordante ne m’a pas attiré que des amis. Bien au contraire, si bien que je n’ai jamais été canonisé ni considéré comme un Père de l’Eglise. Certains m’ont même traité de fanatique religieux. Ça me fait bien rire. Parfois les extrêmes sont représentatifs de la pensée de la majorité.

Ce que vit l’Europe actuellement, me rappelle furieusement la situation de Rome à mon époque avec le développement du christianisme. L’empire subissait une crise économique engendrant des tensions sociales. Le chômage explosait. L’immigration ne cessait d’augmenter, entrainant avec lui le populisme. Les couples divorçaient de plus en plus. Les campagnes se vidaient. Dans un empire multiculturaliste, les Romains avaient l’impression de perdre leur identité, d’autant plus que les naissances s’amoindrissaient. Pour le peuple, les élites perdaient tout contact avec les réalités.
Dans ce contexte, il n’était pas étonnant que la religion républicaine perde son attrait. Elle apparaissait de plus en plus formaliste et détachée du vécu du quotidien. Le culte impérial ne comblait pas le vide spirituel et identitaire. Certains Romains se sont donc tournés vers des cultes orientaux, tels ceux d’Isis ou de Mithra, avant que le christianisme se développe. Il ne faut pas se leurrer. Au-delà du message d’amour et de salut qu’il apporte, le christianisme rejette le monde païen et appelle à fonder une nouvelle société. Il constituait un mouvement de résistance à l’Empire romain et au déclin de la civilisation classique. Dès ce moment, les chrétiens et les Romains sont entrés en conflit. Les Romains leur reprochaient de rester entre eux, d’éviter de participer à la défense militaire de l’empire, de voiler leur femme, de tenter de convertir leurs concitoyens. Pour toutes ces raisons, ils constituaient de parfait boucs-émissaires, ayant conduit à leur persécution. Néanmoins, cette situation pouvaient les arranger. En effet, les chrétiens cherchaient le martyr, pour imiter le Christ. A tel point que certains gouverneurs désespéraient devant ce qu’ils considéraient comme un suicide inutile et inhumain.

Alors vous allez me dire : « mais ce n’est pas la même chose. La situation du christianisme à Rome dans l’Antiquité, est différente de celle de l’Islam en Europe aujourd’hui ». Certes, l’Islam n’est pas une nouvelle religion. Elle constitue une minorité en Europe, mais est majoritaire dans de nombreux États. Certes, le christianisme était persécuté, alors que l’Islam est toléré. Certes, l’Islam se développe parmi les milieux immigrés, alors que le christianisme le faisait par prosélytisme. Certes, le martyr islamiste vise la destruction des ennemis, tandis que le martyr chrétien est pacifiste.
Pourtant l’esprit général est le même. Il existe un mouvement de conversion amenant à l’Islam des individus d’origine chrétienne. Ces nouvelles conversions portent les traits du rejet d’une civilisation considérée comme décadente et injuste. Je maintiens donc qu’il existe une symétrie entre l’éclosion du christianisme au sein d’un État romain en pleine crise identitaire et l’importance grandissante de l’Islam dans une Europe en perte de vitesse. Les points communs entre les franges conservatrices des deux religions sautent aux yeux : l’extrême rigueur morale, le rejet de la laïcité, l’importance de la charité, l’exclusion de la femme, la tendance au repli communautaire, l’idéalisation du martyr. Il existe une volonté de rompre avec le modèle existant, de remplacer un système sociétal et intellectuel d’une extrême complexité par la référence monolithique à une croyance révélée, dont le simplisme est considéré comme la preuve ultime de vérité.

Par conséquent, je me demande si tout comme Rome, l’Europe subira-t-elle un jour une conversion de ses élites à une autre religion et avec elle une transformation culturelle et sociale en dépit des phénomènes d’assimilation ?


Sources
Texte : ENGELS David, « Tertullien : l’éternelle tentation du rigorisme », Historia, n°866, février 2019, pp54-57.
Image : http://www.cosmovisions.com/oeilh.gif

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