Mythologie et histoire: l'art de transmettre des valeurs
Le
monde grec est à bien des égards assez fascinants. Lorsque j’interroge les gens
autours de moi – amis et surtout élèves - , tous connaissent quelques bribes et
noms de cette période antique. Reviennent Ulysse, Achille, Zeus, Troie…
Justement, là est le mystère. Les grecs, dans l’imaginaire des gens, c’est
l’Iliade, c’est l’Odyssée. C’est à dire des fables, travestissant une certaine
réalité historique en l’englobant de divins, de souverains héroïques – les
Héros ! – de guerres, de tragédies sentimentales et de voyages extraordinaires.
En fait, une relative fiction a pris le dessus sur l’ennuyeuse vérité. Et d’un
certain point de vue cela va pour me ravir. J’aime, comme tout à chacun, rêver
et il est vrai que le combat légendaire d’Achille contre Hector me passionne
bien plus que d’expliquer les subtils rouages de la démocratie Athénienne. La ruse d’Ulysse pour tromper le cyclope
Polyphème me ravi mieux que d’énumérer les pouvoirs de l’Ecclésia et de la
Boulé.
Je
suis professeur d’Histoire et c’est mon rôle que de tout raconter. Mais moi,
j’ai aussi et surtout aimé l’histoire parce qu’elle me faisait rêver. Et il est
assez extraordinaire qu’aujourd’hui, malgré le fait que nous imposons des
« bornes de vérité » à l’histoire, que finalement les hommes n’en retiennent que le merveilleux.
Problème : pourquoi alors ne faire que du réel en cours ? Deux
raisons : la volonté idéologique et le temps fourni à la matière.
Il
faut évidemment inculquer le réel, mais pourquoi supprimer le féerique qui
illustre tout. Comment expliquer l’Hellénisme oriental sans comprendre
qu’Alexandre dormait avec un exemplaire de l’Iliade sous son oreiller ?
Comment expliquer l’Empire Romain sans savoir que César voyait en l’empire
d’Alexandre un modèle à suivre tout en pensant descendre de Vénus ?
Comment comprendre le Moyen Age chrétien sans expliquer que chaque empereur
choisit par le Pape fantasmait la figure mythique d’un Constantin ? Bien
évidemment que Clovis a choisi la conversion par pure intérêt politique, mais
la fiction est tellement plus belle !
Nouveau
problème : les élèves et encore plus certains esprits en apprentissage
d’un intellect rationnel exprime une certaine désapprobation lorsque l’on
raconte trop le réel et que certaines autorités morales s’obstinent à n’accorder
aucun crédit à la version fictive. L’obstination, parfois très laïc, poussera
l’élève et l’enfant en quête de réponse à chercher le complot : si on me
raconte cette histoire, alors cela s’est forcément passé autrement. La vérité
est ailleurs !
Les
Grecs cherchaient le juste milieu. Platon parlait de réflexion et Aristote de prudence
le tout résumé par le terme grec de Phronesis.
Prenons le temps d’émouvoir, d’impressionner pour enfin expliquer. C’est ce que
faisaient nos ancêtres. Chercher à enseigner et transmettre, valeurs et
connaissances par le merveilleux. Périclès ne croyait pas aux dieux tels qu’on
les décrivait. Mais il savait que leurs histoires apportaient des vertus et des
valeurs qu’un bon précepteur ou parent pouvaient expliquer. La mythologie avait
autant de vertu pédagogique que les contes pour enfant de Perrault ou les
frères Grimm.
Mais
attention à ne pas donner dans le sens inverse. Le tout merveilleux peut aussi
être désastreux. Les Chrétiens partirent à la croisade parce qu’on leur promettait
le paradis et la rédemption. Jésus a-t-il jamais exprimé une quelconque volonté
politique d’agression et de guerre ? L’état d’Israël revendique
politiquement un territoire au nom de 3000 d’histoire et de la Bible. Pourtant,
Israël n’existait plus en tant qu’identité politique après la mort du – fictif
– roi Salomon en 931 av. notre ère. Jérusalem et le royaume de Juda cessèrent
d’être indépendants en 597 av. notre ère après leur chute par les Babyloniens.
Et on ne parle plus de pouvoir liturgique sur Jérusalem après la prise de la
citadelle de Massada en 73 de notre ère. J’ai eu personnellement affaire à un
homme qui m’avait expliqué que les Français haïssaient les musulmans car on
leur apprenait dès leur plus jeune âge qu’ils avaient tué le brave Rolland à
Roncevaux. Il était assez fier de son exemple culturel qui changeait – il faut
le dire – des propos habituellement entendu dans les médias. Sauf que :
historiquement la chanson de Rolland travestit la réalité d’un évènement
tragique dans l’épopée de Charlemagne pendant son retour d’Espagne. Rolland fut
vaincu par les Vascons (Basques) et non des musulmans. La fiction avait pris le
pas sur la réalité. Et sans explication, cet homme s’était fourvoyé intellectuellement.
Le but de la chanson de Rolland, écrite aux temps des croisades n’était qu’une propagande.
A l’inverse, jeune élève de primaire, je n’avais entendu parler que de la
version vasconne.
Cherchons
le juste milieu et « cultivons notre jardin ».
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