Quand Paris devient la ville lumière
Il est vrai que je n'ai pas inventé l'éclairage public. En 1667, une ordonnance instaurait à Paris l'installation de lanternes à chandelle. Ce dispositif est ensuite étendu à touts les provinces. L'objectif était de rendre les rues plus sûres la nuit contre les brigands. Il permet l'extension du contrôle policier. Dans notre imaginaire chrétien, la lumière chasse les démons. De plus, elle favorise la sociabilité, le commerce et les loisirs. Au début du XVIIIe siècle, la capitale comptait 5.400 lanternes, qui faisait déjà sa renommée à travers toute l'Europe.
Je suis né fin mars 1727 à Beaunay en Normandie. Je m'installe à Rouen comme fabricant d'étoffes de soie. Dans les années 1750, je déménage à Paris. J'achète une maison rue du faubourg du Temple et crée une manufacture produisant des cylindres utilisés dans le travail de la soie. J'ai su noué avec habileté de bonnes relations avec les élites et la haute aristocratie. J'en veux pour preuve que la marquise de Pompadour était présente à mon mariage. Tout ceci a facilité mes affaires.
En 1769, je m'associe avec Dominique François de Chateaublanc. Dominique était ingénieur en optique. L'académie des sciences venait de le récompenser pour son invention d'une lanterne à huile munie d'un réflecteur de lumière. "Bien plus puissants que les simples lanternes à chandelle, les nouveaux réverbères sont la meilleure manière d'éclairer pendant la nuit les rues d'une grande ville en combinant clarté, la facilité du service et l'économie". J'ai tout de suite senti le bon filon. Grâce à mes bonnes relations, j'ai obtenu un privilège royal pour assurer l'éclairage de la ville de Paris pendant vingt ans. Ca marchait tellement
bien à Paris que j’ai réussi à obtenir les baux pour l’éclairage des grandes
villes de province : Arras, Nantes, Dijon, Brest, Versailles, Strasbourg,
Amiens, Dieppe, Le Havre, Châlons, Caen, Rennes, Tours, Toulouse, Lorient, Rochefort, Marseille, Nancy, Rouen.... Hein ? Pardon ? La liste est trop longue ? Je n'y suis pour rien. C'est ça d'être le meilleur. En plus, je ne vous parle même pas des phares. J'en ai équipé un sacré nombre en système d'éclairage comme celui de Cordouan.
Je dirigeais toute une équipe d'allumeurs, d'inspecteurs, de nettoyeurs, de réparateurs. De plus, je faisais travailler un très grand nombre de sous-traitants : des étameurs, des vitriers. Avec moi pas de problème de chômage. Bah ouais, parce que mes lampadaires sont souvent volés ou
cassés. Quand ce n’est pas des petits délinquants qui les détruisent pour
s’amuser, il parait qu’on abat un symbole de répression policière ou de fardeau
fiscal. Non mais, je vous jure. Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre ? Je
vous jure ces bobos parisiens. Tout ça parce que les propriétaires devaient payer
une taxe en proportion de la longueur de leur façade sur la rue pour être
éclairés ou parce qu’Antoine Sartine, le lieutenant général de police, est venu
souper plusieurs fois à la maison. Excusez-moi d’être poli.
Avec l’adoption du réverbère,
l’huile a remplacé le suif comme combustible. Au départ, je suis parti sur un
mélange d’huile d’olive et de colza, mais après je me suis intéressé à l’huile
de baleine pêchée outre-atlantique. L’implication de la France dans la guerre
d’indépendance américaine pouvait m’ouvrir des portes. Le marquis de La Fayette m’a mis en
relation avec des négociants de la Nouvelle-Angleterre. On
négociait un contrat. Je m’engageais à acheter mille tonnes d’huile et en
échange ils pourraient bénéficier de droits d’exportation réduits. L’accord ne
s’est pas fait. Je ne me suis pas laissé abattre et me suis associé avec
Antoine Lepescheux. Il possédait un atelier de fabrication de chandelles à
Paris, mais surtout une raffinerie. De plus, il était chimiste et expérimentait
différents mélanges d’huiles pour produire le combustible des réverbères.
La révolution de 1789 a accéléré la demande
de lampadaires. Les cahiers de doléances du Tiers demandent plus d’éclairage
public. Face à l’explosion de violence dans la capitale, la garde nationale
souhaite que l’éclairage soit renforcé. Et qui c’est qui s’y colle ? C’est
bibi ! En plus, mon bail, qui s’achevait à ce moment là, a été renouvelé
par M. Fricault, le directeur de l’éclairage public, un ancien employé de mes
manufactures, qui, à force de travail et d’amour pour la Révolution , a su se
hisser à de hautes charges. Tout allait bien, jusqu’au mois de septembre 1793.
Accusé d’être ennemi de la
République , j’ai été arrêté et mes biens saisis. Je suis
resté en prison jusqu’en août 1794 après la mort de Robespierre. J’ai réussi à
rebâtir mon entreprise et, l’année suivante, me voilà de retour sur le circuit.
Seulement, les affaires ne tournent plus aussi bien. A cause des guerres, le
métal manquait et l’huile n’était plus importée.
Finalement, j’ai pris une
retraite bien méritée et cède ma place à Louis Huvé. J’ai pu jouir des biens
qui me restaient à Paris et dans toute l’Ile-de-France, notamment l’ancienne
abbaye de Saint-Faron près de Meaux.
Source
Texte : McMAHON Darrin et RECULIN Sophie, « Un
entrepreneur de lumière », L’Histoire, n°435, mai 2017, pp 66-71.
Image :
https://blog.nedgis.com/2015/01/07/lampadaire-parisien/
Pour une visite du phare de Cordouan c'est ici.
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