Angel Island : la Ellis Island du Pacifique
En ce 21 janvier, jour national
d’Angel Island décrété par Barack Obama, Tai Shen gravit la colline des Twin
Peaks. Au sommet, il admire une vue panoramique sur San Francisco et sa baie.
Son regard se focalise sur Angel Island, l’île la plus petite de la baie. Cette
île est liée à l’histoire de la famille de Tai Shen. Citoyen américain,
d’origine chinoise, les grands-parents de Tai Shen ont immigré aux Etats-Unis
au début du XXe siècle. Son grand-père lui a raconté son passage dans le centre
d’immigration d’Angel Island, la principale porte d’entrée des Etats-Unis côté
Pacifique, comme Ellis Island côté Atlantique.
A leur arrivée en bateaux dans la
baie, des inspecteurs de l’immigration ont vérifié leur identité, leur âge,
leur profession et leur situation familiale. Ensuite, ils ont été amenés sur
l’île et mis en quarantaine. Une fois le délai passé, les grands-parents ont
été séparés. En effet, les migrants sont répartis par sexe, nationalité,
classes sociales. Ils sont restés dans le centre trois jours durant lesquels
les inspecteurs les ont interrogés sur leur vie, les raisons de leur venue et
leurs projets. L’interrogatoire de sa grand-mère a été plus poussé, car les
Chinoises étaient suspectées de venir aux Etats-Unis pour se prostituer. Des
médecins les ont auscultés. Ils ont eu la chance de pouvoir accéder au
territoire américain assez rapidement. Durant son bref séjour, son grand-père
avait discuté avec un compatriote retenu dans le centre depuis plusieurs mois.
Il faut dire que la législation
était très dure. Au milieu du XIXe siècle, la Californie devenue
américaine connaît un boom économique. Chacun y vient pour faire fortune et
trouver de l’or. Des lignes de chemin de fer transcontinental sont construites.
Des milliers d’ouvriers, dont des Chinois appelés les coolies, sont recrutés.
La réputation des Chinois se ternit rapidement, car ils acceptent de travailler
pour un salaire de misère, contrairement aux Américains. Lors du référendum de
1879, les Californiens votent pour la mise en place de restrictions.
En 1882, le Congrès vote le
Chinese Exclusion Act. Avec cette loi, les Chinois ne peuvent officiellement
plus émigrer aux Etats-Unis. Seules les personnes qui ne résident pas de
manière permanente sur le sol américain sont exemptées. En 1917, la législation
se durcit avec le Literacy Act. Toute personne ne sachant pas lire est refusée.
Or les migrants sont des pauvres venant de pays peu développés où
l’alphabétisation fait défaut. Ainsi, les Australiens et les Néo-zélandais
possèdent plus de facilités que les Asiatiques. La situation se modifie dans
les années 1920, lorsque le gouvernement fédéral impose des quotas. C’est dans
ce contexte qu’en 1910, les Etats-Unis inaugurent un second centre
d’immigration après celui d’Ellis Island à New York. Le complexe comprend un
centre d’inspection, un hôpital, des logements, des réfectoires, des terrains
de sport. L’île devient une petite ville. En effet, des employés y vivent de
manière permanente : inspecteurs de l’immigration, interprètes, médecins,
policiers, standardistes, menuisiers, plombiers, blanchisseurs, cuisiniers,
avocats.
En 1940, un incendie ravage le
complexe. Le gouvernement fédéral ne le reconstruit pas et préfère aménager un
nouveau complexe plus moderne à San Francisco. L’île est laissée à l’abandon.
En 1997, le centre devient un lieu historique national. Il est restauré en
2010, un siècle après son ouverture.
En une trentaine d’années, de
1910 à 1940, 500.000 personnes vont transiter par Angel Island : 85.000
Japonais, 8.000 Asiatiques du Sud-Est, 8.000 Russes, 1.000 Coréens, 1.000
Philippins, 4.000 Mexicains (souvent envoyés à Angel Island après leur
arrestation sur le sol américain) et 100.000 Chinois dont les grands-parents de
Tai Shen.
Sources
- Texte : VAN RUYMBEKE Bertrand, « Angel
Island : les Chinois à la porte de l’Amérique », Historia, n°842, février 2017, pp50-53.
- Image : photo de Benjamin Sacchelli, prise en avril
2017
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