Martin Luther
Propos recueillis par
notre envoyé spécial temporel en Saxe (Allemagne) en 1560.
Si je me souviens du moine Luther
? Bien sûr, il est né le 10 novembre 1483, à Eisleben, une petite ville pas
très loin d'ici. Au début, il faisait la fierté de son père, un ancien mineur
qui est devenu maître fondeur par la suite. Après avoir été à l'école de
Magdebourg, il avait le niveau pour suivre des études de droit à l'université
d'Erfurt. Son père le voyait déjà notaire, avocat ou quelque chose de ce genre.
Tout a changé en 1503 avec cet
accident. Je ne sais pas ce qu'il a fabriqué, mais il s'est blessé avec son
épée. Il a failli y rester d'ailleurs. Fallait voir tout le sang qu'il perdait.
Après ça, il n'a plus jamais été le même. Il avait peur de mourir trop tôt, de
ne pas avoir le temps de sauver son âme. Ca l'obsédait. Il en devenait fou. A
tel point qu'il a quitté l'université pour se faire moine. Ouhlà ! J'entends
encore son père hurler. D'après les rumeurs, il aurait pris sa décision en
retournant à Erfurt après avoir rendu visite à ses parents. Il paraîtrait que
sur le chemin, la foudre serait tombée à quelques dizaines de mètres de lui. C'était
la première fois qu'il a manqué de brûler, si vous voyez ce que je veux dire.
Bref. Le voilà donc moine dans un
couvent régi selon la règle de Saint Augustin. Là, on pourrait penser que son
anxiété se calmerait. D'autant plus qu'il mettait du cœur à l'ouvrage pour
devenir le moine parfait. Il vivait dans une petite cellule même pas chauffée
l'hiver. Il jeûnait très souvent, priait et chantait tout le temps. Il
s'affligeait des mauvais traitements physiques. Rien à faire. Malgré tout ça,
il n'a jamais été convaincu de gagner son salut. Pour lui, il n'arriverait
jamais à devenir un moine exemplaire. A cause de ça, il déprimait.
Et puis, un jour, la révélation
lui apparaît en préparant l'un de ses cours à l'université de Wittenberg, parce
qu'en parallèle de sa vie monacale, il avait entamé des études de théologie et
obtenu le grade de docteur. C'était dans l’Épître aux Romains de Saint Paul,
chapitre 1, verset 17 : "le juste vivra par la foi". Pour moi, ça ne
veut pas dire grand chose, mais pour lui ce fut un soulagement. Que dis-je ?
Une libération. Il en déduisit que le salut ne venait pas de l'action de l'Homme,
mais uniquement de sa foi en Dieu. Du coup, ce n'était plus la peine de se
donner autant de mal dans sa vie de tous les jours.
Tout aurait pu s'arrêter là, mais
l'obsession du salut ne le quittait pas, même pour ses semblables. Certaines
pratiques de l'Eglise le mettaient dans une rage folle. Le pire c'était la vente
d'indulgences. En échange d'une somme d'argent, on pouvait acheter des années
de rémission au purgatoire. L'argent, ainsi récolté, remplissait les caisses
des évêques et du Pape, qui construisaient des cathédrales, des basiliques et
de luxueux palais. Pour dénoncer ses abus, il a rédigé 95 thèses qu'il s'est
empressé de placarder sur les portes de la chapelle de l'université. Il y
prônait aussi un retour aux sources du christianisme.
Je ne sais pas comment le texte
s'est retrouvé dans les mains de l'archevêque de Mayence, mais ce dernier l'a
transmis à Rome. Luther se doutait que le Pape devait être en colère, car il
n'a pas répondu à sa convocation au Saint-Siège. Avec deux têtes de mule pareilles,
la situation ne pouvait pas s'améliorer. Ils se traitaient de tous les noms
d'oiseaux, pour rester polis. Et vas-y que le Pape est l'antéchrist. Et vas-y que
l'Eglise est une maison de débauche. Avec tout ça, Luther a gagné le gros lot.
En janvier 1521, le voilà excommunié et mis au ban de la société. Nous n'avions
pas le droit de l'aider sous peine d'avoir des ennuis. Il vivait caché,
tremblant de peur. Il risquait d'être assassiné à tout moment sans que le
meurtrier soit traduit en justice. Heureusement pour lui, le prince de Saxe
l'accueillit dans son château de Wartburg. Il faut dire que les princes étaient
trop heureux de défendre un ennemi du Pape. Ils n'aimaient pas les ingérences du
Vatican dans leurs affaires. Le Pape édictait des règles et prélevait des
impôts dans leurs Etats, sans qu'ils aient leur mot à dire. Les princes et les
magistrats des villes se sont bien vite empressés de s'approprier les biens du
clergé et ses privilèges. Nous autres aussi, on l'aimait bien à cette époque
là. Pensez-donc. Un moine qui tape sur l'Eglise en dénonçant la débauche des
clercs et l'arrogance du Pape. En quelques mois, il était devenu une figure de
résistance, un héros dans tout l'empire.
Je dois avouer que Luther était
un bon communicant. Il a su profiter de l'imprimerie pour diffuser ses idées
hors du cercle restreint des intellectuels de l'université. Il rédige ses écrits
en allemand et non en latin et pour ceux et celles qui ne savent pas lire, il
utilise des images et des chants. D'ailleurs, j'ai retenu les trois grands
principes de sa réforme : salut par la foi, la Bible comme seule source d'inspiration du
chrétien et sacerdoce universel. En gros, chaque homme est un prêtre qui vit
par sa foi. On n’a pas besoin de l'Eglise pour intercéder entre nous et le bon
Dieu. Chacun est libre d'avoir accès aux écritures et de les interpréter.
Ce qu'il n'avait pas prévu, c'est
qu'en laissant la liberté d'interprétation des Ecritures, chacun y serait allé
de sa propre réforme. Par exemple, les anabaptistes refusent le baptême des
enfants, car ce n'est pas un choix de leur part. En Suisse Zwingli contestait
la présence réelle du Christ dans l'eucharistie. Ici Carlstadt appelait à
révolutionner la messe. Il voulait qu'elle soit prononcée en allemand et non en
latin, qu'il n'y ait plus de vêtements liturgiques et que de toutes les images
représentant Dieu ou des Saints soient détruites. Tout ceci n'a pas plu à Luther.
Il s'est empressé de condamner tous ces mouvements et de les dénigrer en
parlant d'eux comme des sectes inspirées par le diable.
Luther voulait conduire la
réforme le long d'une voie moyenne de façon à convaincre le plus grand nombre.
Il n'était pas question de tout révolutionner et encore moins de transposer
dans le domaine économique et social ce qui relève de la foi. Il refusait de
donner une vision politique à son combat. Luther s'est même fâché avec son ami
Érasme, vous savez l'intellectuel hollandais. Il lui reprochait de vouloir
assigner à Dieu un sens de la justice conforme aux aspirations humaines. Lorsque
les paysans allemands se sont révoltés contre les princes pour réclamer plus
d'égalité et moins d'impôts, il ne les a pas soutenus. C'est à ce moment là
qu'il a perdu le soutien d'une partie du peuple. Les gens disaient qu'il s'était
embourgeoisé. Bon d'un autre côté, je ne suis pas sûr qu'il avait vraiment le
choix. Sans l'appui des princes, il n'aurait pas pu diffuser sa réforme et il
est certain qu'il aurait fini au bûcher. Pour sauver sa vie, il s'est soumis au
pouvoir séculier. Il est mort le 18 février 1546.
Aujourd'hui, la paix d'Augsbourg
a mis un terme aux conflits entre Etats catholiques et protestants grâce au
principe cujus regio, ejus religio. Les
sujets qui sont en désaccord avec leur prince peuvent migrer. Les deux tiers de
l'empire ont adhéré à la
Réforme. C'est la première fois qu'une doctrine considérée
comme une hérésie par l'Eglise parvient à s'imposer. Il ne s'agissait pas
seulement de la contestation de l'Eglise par un moine, mais d'un courant qui
cristallisait nos aspirations. Enfin, bon, ça c'est mon avis.
Sources
Texte :
Christophe MIGEON, "Luther : le triomphe de l'hérésie", Les Cahiers de Sciences et Vie, n°168,
avril 2017, pp 75-79.
Image : http://www.viabooks.fr/sites/default/files/auteur/Martin%20Luther.jpg
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