La construction de la laïcité française
Avec la loi de 1905, la République assure la
liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes tant qu'ils ne
troublent pas l'ordre public. La
République ne reconnait, ni ne finance, ni ne salarie aucun
culte. Elle n'ignore pas le fait religieux, mais elle ne met pas de moyens
nationaux à la disposition des croyants. Le terme laïcité vient du latin
laicus, qui au Moyen-âge désigne celui qui n'appartient pas à l'Eglise. Il
existe différents types de laïcité : la séparatiste et la reconnaissante. La
première est le modèle français qui stipule que les religions sont des
organisations de droit privé séparées de l'Etat. La seconde est le modèle
anglo-saxon, où il est considéré que les religions participent au bien commun.
En ce sens, la religion entre dans le budget de l'Etat, qui nomme les évêques
tout en garantissant la liberté de conscience et de culte. Il existe un conflit
entre la définition juridique et philosophique. Sur le plan juridique, la
laïcité organise la coexistence de tous en garantissant la liberté de chacun
sous la protection d'un Etat neutre. La
loi n'interdit pas l'exercice de la religion dans l'espace public tant qu'il ne
perturbe pas l'ordre public. Cependant, la plupart des gens pensent que la
religion est une affaire personnelle qui doit se cantonner dans la sphère
privée. Ce type de réaction ne date pas d'aujourd'hui. En 1905, certains maires
avaient interdit aux curés de porter leur soutane et les processions dans la
rue. Le Conseil d'Etat avait invalidé cette décision. A partir de 2004, l 'exigence de
neutralité ne concerne plus uniquement l'Etat. Elle s'étend aux usagers des
services publics.
La laïcité est une valeur forte
en France, car au XIXe siècle, les Républicains l'ont associée à l'idée de
progrès et de libre penser en opposition à l'obscurantisme religieux. Pour ce
faire, ils font de Voltaire le père de la laïcité. Au XVIIIe siècle, le
philosophe combat le fanatisme en rappelant les massacres de la Saint Barthélémy et la
prétention de l'Eglise à régenter la société. Il pense que la paix civile ne
peut être garantie que par un pouvoir royal fort et éclairé, une monarchie
respectueuse de toutes les croyances et qui laisse les arts s'exprimer. La
lutte entre les philosophes et l'Eglise est une caractéristique française.
L'anticléricalisme n'est pas aussi prononcé dans les autres pays d'Europe. Il
n'est pas question pour les philosophes des Lumières d'abolir la religion. Ils
dénoncent le rôle de régulateur de la société joué par l'Eglise.
La laïcité ne peut exister que dans un pays où se
concurrencent différentes manières de croire. En France, elle est le fruit
d'une longue construction depuis le XVIe siècle. En 1560, 10% de la population
est protestante, ce qui compte pour deux millions de personnes, répartis dans
un croissant au Sud allant du Dauphiné au Poitou.
Le 8 mars 1560, l 'Edit d'Amboise
distingue les adeptes de la nouvelle foi et les séditieux. Pour la première
fois, une distinction est opérée entre affaires divines (la foi) et affaires
terrestres (la sujétion au roi). A l'automne 1561, Catherine de Médicis réunit
à Poissy les théologiens catholiques et protestants afin de trouver un
compromis. Le 17 janvier 1562,
l 'Edit de Saint Germain prévoit la liberté de conscience
et la liberté de culte hors des villes. Aucun Etat européen n'accorde une telle
liberté à ses sujets. Les catholiques fulminent. Les Parlements rechignent à
enregistrer l'édit. Le 1er mai 1562, le duc de Guise, sous prétexte de faire
respecter l'édit, chasse les protestants réunis à Wassy. Les choses tournent au
massacre. La France
plonge dans les guerres de religion, 36 années de conflits entrecoupées de
trêves. Chacune des trêves se termine sur un statut quo. Entretenir une armée
coûte cher, d'autant que la plupart des soldats sont des mercenaires. Par
ailleurs, les combats cessent en hiver à cause du froid. Les guerres sont donc
courtes et ne permettent pas à l'un des camps de prendre l'avantage.
Les guerres de religion possèdent
une dimension politique, sociale et religieuse. Le protestantisme est considéré
comme une hérésie qu'il faut extirper du royaume. Le massacre est un geste
d'exorcisme. Les protestants sont habités par des démons. Les tuer ne suffit
pas. Il faut expulser le diable en mutilant leur corps. Lors de la Saint-Barthélemy ,
les catholiques ont en plus le sentiment de défendre le roi. Le massacre débute
par l'assassinat des chefs huguenots, dont le pouvoir royal redoute une prise
d'armes. Par la suite, la situation devient incontrôlable. Les massacres ont
deux conséquences. A moyen terme, la guerre civile apparait comme le mal absolu
et certains sont prêts à chercher la conciliation pour ramener la paix dans le
royaume. Les catholiques modérés, appelés Politiques, demeurent fidèles au roi.
Bien que n'étant pas favorables aux protestants, ils sont prêts à faire des
concessions pour conserver l'unité du royaume. A long terme, un débat
s'enclenche sur la nature du pouvoir politique. Faut-il modérer le pouvoir du
roi ou le renforcer ? L'absolutisme gagne les faveurs. Seul un pouvoir absolu semble
en mesure de garantir la paix civile et l'unité du pays.
En 1598, après une année de
négociations, l'Edit de Nantes est signé. Il accorde aux protestants la liberté
de conscience, la liberté de culte sous certaines conditions et leur permet de
participer à la conduite de l'Etat. Sans instaurer l'égalité entre les
confessions puisque le catholicisme demeure la religion de l'Etat, l'Edit met
un terme à la violence. L'unité politique est assurée et incarnée par un roi
tout puissant à la tête d'un Etat fort et moderne où l'Eglise et la religion
cèdent le pas au gouvernement. Agir selon la volonté de Dieu, c'est désormais
obéir au roi. Henri IV impose à ses sujets une coexistence. Les conflits religieux
perdurent jusqu'en 1629 avec la
Paix d'Alès, lorsque Louis XIII mate les dernières révoltes
dans le sud de la France. Il
en profite pour mettre fin au pouvoir politique et militaire des protestants.
La monarchie absolue ne peut
tolérer des opinions divergentes. Louis XIV considère les protestants comme une
menace pesant sur l'unité du royaume. Il ne tolère pas les critiques vis-à-vis
du pouvoir et les probables sympathies des protestants envers l'Angleterre ou
les Provinces-Unies. Les conversions sont encouragées voire achetées. Les lieux
d'enseignement sont supprimés. Les protestants sont exclus des charges
publiques et sont contraints d'héberger des militaires du roi, qui ne se
privent d'abuser de l'hospitalité en toute impunité. En 1685, Louis XIV ratifie
l'Edit de Fontainebleau qui révoque celui de Nantes. Aux yeux du roi, le
protestantisme n'existe plus et l'Edit de Nantes est devenu inutile. La
révocation pousse un quart des protestants à quitter le royaume. Il s'agit en
général de commerçants, d'artisans, de lettrés et de nobles. Ces personnes
emmènent avec elles leur savoir-faire.
En août 1789, l 'Assemblée rédige la Déclaration des droits
de l'Homme. Son article 10 établit la liberté religieuse du moment qu'elle ne
perturbe pas l'ordre public. Les députés restent convaincus que la société ne
peut se passer de religion. Elle sert à cimenter le pays et surtout de garant
moral. Les révolutionnaires veulent transformer le catholicisme. Le 2 novembre
1789, la Constituante
vote la mise à disposition des biens du clergé, le 13 février 1790 la
suppression des ordres et le 12 juillet la Constitution civile
du clergé. Les prêtres deviennent des fonctionnaires. En quelques mois, une
église de France, dirigée par l'Etat et non par le Pape, est créée. Seulement
la moitié des prêtres prêtent serment. Les réfractaires sont expulsés ou
emprisonnés. En 1792, la Ière République
engage une politique de déchristianisation. Le gouvernement instaure un Etat
civil unique et neutre, dessaisissant les paroisses des registres de baptêmes
et de décès. Le mariage civil et le divorce sont instaurés. Le calendrier
républicain se substitue au calendrier grégorien. Le nouveau calendrier prend
pour année de départ la proclamation de la République. La
semaine compte dix jours. Les dimanches, les jours fériés et les fêtes des
saints sont supprimés. En 1793, Robespierre instaure une religion civile. Les
églises deviennent des temples dédiés au culte de la liberté et de la raison.
Le 7 mai 1794, l 'Etre
suprême est instauré. Il est célébré le 8 juin autour des valeurs de la sagesse
et de la fraternité. Les Français n'adhèrent pas à ce nouveau culte. A la mort
de Robespierre, toutes ces mesures sont abolies et les anciens rites sont
rétablis. En 1801, Napoléon Ier signe le concordat. Le catholicisme est reconnu
comme la religion de la majorité des Français et l'Eglise récupère ses biens.
Le calendrier grégorien est restauré en 1806.
Tout au long du XIXe siècle, la France catholique et
monarchiste s'oppose à la
France républicaine. Arrivés au pouvoir en 1879, les
républicains s'empressent de séparer l'enseignement de la religion. L'école
doit former des citoyens rationnels et non des soutiens à la monarchie ou à
l'empereur. Cependant, peu de républicains sont antireligieux. Beaucoup d'entre
eux sont catholiques ou protestants, quand ils ne sont pas en plus francs-maçons.
Les républicains considèrent que l'Homme doit être libre de ses choix
religieux. En 1904, le Président du Conseil Emile Combes ordonne la fermeture
de 12000 écoles religieuses et rompt toutes relations avec le Saint-Siège.
Voir article sur le colloque de Poissy et la tolérance religieuse au XVIe siècle
Sources
Texte :
"Les guerres de religion : de l'intolérance à la laïcité", Les Cahiers de sciences et vie, n°182,
juillet 2016, pp24-86.
Image : http://lesactualitesdudroit.20minutes-blogs.fr/media/01/00/2083635922.jpg
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