La girafe de Charles X
Le 9 juillet 1827, le roi Charles
X et toute la cour étaient réunis au château de Saint-Cloud pour admirer une
girafe un étrange animal au long cou venu d’Afrique encore très méconnu sur
notre continent. Le roi s’est entretenu une bonne heure avec le directeur du
zoo de Paris, Etienne Geoffroy Saint-Hilaire à ce sujet. Ensuite, la girafe a
paradé dans les jardins du château pour le ravissement de la cour avant de
regagner les rues de Paris noires de monde.
Depuis ce jour, une véritable
girafe-mania s’empare de la capitale ! Les poètes rédigent des vers sur
elle. Les comédiens jouent des scénettes de son voyage. Les boulangers
pétrissent des pains en forme de girafe. Les commerçants vendent des bibelots,
des jouets et de la faïence à l’effigie de la girafe. La mode se dote de
cravates aux motifs de l’animal et d’une coiffure haute dite à la girafe.
Cette girafe est un cadeau de
Méhémet Ali, vice-roi d’Egypte, qui souhaite s’attirer les bonnes grâces du roi
à cause du conflit opposant l’Empire Ottoman à la Grèce. Inutile de
rappeler que bon nombre des Français exhorte le roi à secourir le berceau de
notre civilisation contre les barbares turcs. Méhémet Ali a chargé Hassan du
transport de l’animal. C’est un ancien bédouin spécialisé dans la vie des
animaux en captivité. Depuis Le Caire, il a donné des consignes très précises
aux chasseurs.
La girafe est capturée au Soudan.
Les chasseurs gardent en vie les jeunes plus aptes à la domestication. C’est
une girafe Massaï, une race de petite taille. A l’âge adulte, elle mesure
quatre mètres contre six pour une taille normale. De la savane, elle suit une
caravane jusqu’à Sennar située au confluent des deux Nils. Ensuite, elle voyage
en felouque jusqu’à Khartoum. Elle se repose dans un fort plusieurs mois le
temps de reprendre des forces, d’être sevrée (elle consomme jusqu’à 60 litres de lait par
jour) et que les températures égyptiennes soient plus clémentes. Après
Karthoum, une felouque la conduit jusqu’à Alexandrie où elle arrive durant
l’été 1826 après une traversée de 16 mois et de 3.000 km .
En septembre 1826, elle embarque
sur un navire italien le Due Fratelli, dirigé par le capitaine Stefano Manara
pour la somme de 4.500 francs. Le navire passe par la Crète où les vents sont plus
favorables pour gagner la
Sicile et remonter à Marseille. Durant la traversée, le
capitaine s’entiche de l’animal. Il lui chante des chansons pour la rassurer
lors des tempêtes, veille à son confort et à ce qu’elle ne manque de rien. La
girafe débarque à Marseille le 23 octobre 1826. Elle subit une période de
quarantaine jusqu’au 14 novembre.
La rumeur court dans les rues. Le
comte Villeneuve-Bargemont, préfet, ordonne de faire débarquer les vaches
laitières et les antilopes pour apaiser la curiosité des passants. Vers 23
heures lorsque les Marseillais sont rentrés chez eux, la girafe quitte le
navire. Son escorte la conduit chez le préfet, qui a aménagé un enclos dans le
parc de sa demeure. Des visiteurs triés sur le volet peuvent la voir, tandis
que des scientifiques l’examinent.
Dès que la girafe arrive en
France, le ministre des Affaires Etrangères cesse de payer les frais
d’acheminement. Le ministre de l’Intérieur n’est pas très enthousiaste à l’idée
de devoir prendre le relai. Il se demande comment acheminer l’animal jusqu’à
Paris. Bernadino Drovetti, ambassadeur français au Caire, propose la voie
maritime jusqu’au Havre en contournant l’Espagne. Le préfet est contre et
préconise de remonter le Rhône, mais le fleuve est jugé trop dangereux pour
cette précieuse cargaison. Ne reste que la voie terrestre qui n’est pas des
plus aisée non plus faute de chemin de fer. Un patron de cirque nommé Polito
offre ses services. Le ministère rejette la proposition, craignant que Polito fasse
des bénéfices en exposant la girafe sans tenir compte de son état de santé. Le
ministère dépêche Saint-Hilaire, pour étudier la question.
Saint-Hilaire rencontre la girafe
à Marseille le 4 mai 1827, après avoir fait un détour par Montpellier pour
donner une conférence et régler une affaire d’acquisition de poissons
exotiques. Il étudie l’animal et pense qu’elle est capable d’effectuer le
voyage par la route. Avec l’aide du préfet, il forme l’escorte, définit le
trajet et envoie des courriers aux mairies pour leur demander de mettre à sa
disposition une étable et des vaches laitières.
Le convoi quitte Marseille le 20
mai et arpente les routes à une vitesse de 3.5 km/h , vitesse de
croisière d’une girafe. Le soir, le convoi arrive à Aix-en-Provence. La girafe
se plie à une représentation publique, puis privée pour les notables de la
ville. Ce schéma se reproduit dans chaque ville étape : Avignon, Orange,
Valence. Le convoi arrive à Lyon le 5 juin où 30.000 personnes l’attendent sur
la place Bellecour.
Saint-Hilaire constate que
l’animal est très fatigué. De plus, le temps est frais et pluvieux. Il décide
de prendre quelques jours de repos. Il demande au ministère de l’Intérieur
l’autorisation de modifier le plan initial et de remonter la Saône en bateau. Sa demande
demeurant sans réponse, il se remet en marche avec la girafe. Ils parcourent la
route longeant le fleuve jusqu’à Chalon-sur-Saône, puis traversent la Bourgogne jusqu’à
Fontainebleau en passant par Auxerre. Ils arrivent enfin à Paris le 30 juin
1827 après 41 jours de marche pour une moyenne de 25km par jour. La girafe est
installée dans une serre du Jardin des Plantes. Deux ans et demi se seront
écoulés entre la savane soudanaise et les serres parisiennes.
Les Parisiens viennent admirer la
girafe au Jardin des Plantes. Elle meurt le 12 janvier 1845, non sans avoir vu
son successeur, car Méhémet Ali a offert un obélisque à la France. Son corps est
empaillé et se trouve actuellement au musée La Faille de La Rochelle. Dans son
livre, Michael Allin lui donne le nom de Zarafa, un mot arabe signifiant
« aimable » ou « charmante ». En 2012, un film d’animation
pour enfants, intitulé Zarafa retrace son histoire. En réponse à ce film, le
musée d’histoire naturelle a monté une exposition, jugeant que ce film biaise
la réalité historique, notamment sur le traitement de l’animal.
Sur le site :
Voir l’Obélisque de la Concorde
Sources
Texte :
ALLIN, Michael : La girafe de
Charles X et son extraordinaire voyage de Khartoum à Paris, Paris,
Jean-Claude Lattès, 2000, 272p
Image :
portrait officiel de la girafe avec son gardien Atir par Nicolas Huet, 1827
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