Étienne Marcel : La Révolution avortée qui aurait pu changer l'histoire de France
Au hasard d’un cours pour le
moins ennuyeux sur l’occident chrétien que je donnais en classe, une
question d’un élève me chatouillait l’esprit et me faisait remémorer
une des nombreuses anecdotes de l’histoire de France que l’on
apprenait jadis… avant les différentes réformes de l’éducation nationale
qui dénaturent
tellement notre belle discipline. Je remarquais avec frayeur qu’un
de mes collègues, pourtant se revendiquant médiéviste,
ne la connaissait pas en détails !
Voici cette histoire.
A la suite du désastre
de Poitiers le 19 septembre 1356, le royaume de France traverse une grande
crise qui aurait pu totalement modifier le régime monarchique. En effet, le très
mal nommé
roi Jean II le Bon, a été emmené en captivité par les ennemis
anglais et est à présent l'hôte d'honneur de la très
célèbre
Tour de Londres. Son fils, le Dauphin Charles, âgé de 18 ans, doit assumer la lourde de
tache de régenter l'état en son absence. Sa jeunesse et son
inexpérience
lui faisant défaut, il se tourne vers les États Généraux afin de réclamer de nouveaux
impôts
- comme l'impose les lois fondamentales du royaume - afin de relancer l'économie
et de verser la terrible rançon demandée par les Anglais
pour libérer
Jean II. De cet impôt extraordinaire sera d'ailleurs créé le futur Franc (
franc = libre).
Il trouve malheureusement face à
lui des bourgeois riches décidés à profiter de la faiblesse momentanée
de la royauté pour battre en brèche l'absolutisme. Le puissant prévôt
des marchands de Paris Étienne Marcel et l'évêque de Laon, Robert le Coq, amis dans
la vie, s'allient contre le Dauphin et préparent l'opposition. On les soupçonne
d'ailleurs de comploter pour le roi de Navarre, Charles le Mauvais, qui est
emprisonné et qui prétend pouvoir coiffer la couronne
royale.
Entraînés par Étienne Marcel et Robert le Coq, les États
(noblesse, clergé et tiers états) demandent au Dauphin le renvoi
sans condition des conseillers de son père qu'ils considèrent
comme responsable de la situation critique du royaume. Ils sont surtout des
hommes influents dans le royaume qui pourraient contrecarrer les plans des
bourgeois. Charles préfère gagner du temps et diffère sa réponse. En représailles, les États
sous contrôle de Marcel et le Coq rédigent une "Grande
ordonnance" imposant au roi de gouverner avec les États. C'est la Révolution
Française
avant l'heure! Publiée le 3 mars 1357, elle fait l'effet d’une bombe dans les
cercles proches du pouvoir mais plaît à la populace et surtout à
la bourgeoisie. En effet, cette dernière y voit le moyen d'obtenir le
pouvoir et d’instaurer une monarchie parlementaire. Pour forcer le prince
Charles à
s'incliner, Étienne Marcel fait libérer Charles le Mauvais et l'appelle à
Paris pour qu'il prenne la place de Jean II toujours emprisonné
à
Londres.
Deux clans allaient s'affronter: ceux
qui soutiennent le Dauphin et ceux qui soutiennent le prévôt
de Paris. Mais ce dernier a le vent en poupe. Marcel décide alors de précipiter
la chute de la royauté par la force. Avec une foule endiablée, révoltée
et acquise à sa cause, il se rend dans les appartements royaux et y fait
un massacre. Les maréchaux de Champagne et de Normandie tombent sous les yeux
apeurés
du Dauphin qui est couvert de leur sang. C'est là que se déroule la célèbre
scène
de l'histoire de France. Contre toute attente, l'arrogant Étienne
Marcel s'oppose à la foule qui veut rendre gorge à Charles. Le prévôt
pose son caperon rouge et bleu (qu’arboraient les émeutiers) sur la tête
du prince tandis que lui-même se coiffe du chapeau du Dauphin. Il
veut montrer par se geste qu'il prend possession de sa personne comme un tuteur
avec son élève. Ainsi, par cette démonstration de force, le prévôt
espère
avoir assez impressionner Charles par sa puissance et que le jeune homme
deviendra désormais un homme d'état soumis à sa volonté. Ce prend-il pour le Christ qui pardonne? Bien
mal lui en a pris. Les révolutionnaires du XVIIIe siècle ne feront pas la même
erreur... Ils guillotineront Louis XVI et se débarrasseront de sa progéniture.
Charles a bien compris la leçon.
Il n'est pas encore le plus fort. Le 27 mars 1358, il s'enfuit de Paris et part
en campagne lever des troupes pour reprendre la capitale par la force et se débarrasser
de cette révolte bourgeoise. Entre-temps, Étienne Marcel
gouverne Paris avec l'aide de Charles le Mauvais. Quelques mois plus tard, le
prévôt
de Paris doit faire face à une terrible révolte des paysans
(= les Jacques) dans le nord du royaume: la Jacquerie. Mené
par un certain Guillaume Carle, des bandes armées de paysans détruisent tout sur
leur passage et notamment la ville de Beauvais. Marcel répond favorablement à
cet esprit révolutionnaire et des bataillons de parisiens viennent même
aider les Jacques. Il reprend néanmoins ses esprits lorsqu'il comprend
que cette Jacquerie n'a aucun but politique et n'amènera qu'à
l'anarchie. Le roi de Navarre, Charles le Mauvais, marche en personne sur les
paysans et les met en pièce en faisant plus de 10 000 victimes.
Ce tragique épisode n'a pas aidé
au prestige d'Etienne Marcel. La majorité de la population parisienne est
naturellement proche des paysans et le voit à présent comme un tyran sanguinaire. Le prévôt,
de plus en plus décrié, se résout pourtant à l'impensable: afin
de maintenir son pouvoir dans la capitale et se protéger des troupes levées
par le Dauphin, il invite les Anglais dans la capitale. Les parisiens refusent
les "Goddams" et des heurts se propagent partout en ville. Marcel cède
finalement. Il renvoie les troupes anglaises et voit Charles le Mauvais,
sentant le vent tourner, l'abandonner.
Comme le peuple est volatile! Voilà
qu'une majorité de parisiens se rallient à la cause du Dauphin et Marcel est de
plus en plus acculé. Attaqué par ceux qui l'avaient suivi
aveuglement auparavant, Étienne Marcel est massacré le 31 juillet 1358 dans la Bastille
Saint-Antoine. Sa mort sera comme une expiation pour les habitants de la
capitale. Trois jours plus tard, le Dauphin entre dans la ville et rétablie
l'ordre. Le futur Charles le Sage distribue alors de généreux
pardons, gagent d'une plus grande maturité et d’une sagesse qui feront de lui un des
plus grands rois de France.
Comme l'Histoire est cruelle! Si Étienne
Marcel avait réussi sa révolution, il serait aujourd'hui au
Panthéon
ou aux Invalides, consacré et honoré chaque année.
La révolution
bourgeoise de 1789 sera la bonne! Et dire que tout s'est joué
à
un chapeau près !
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