L'esclavage et les Etats-Unis
En 1860, les
Etats-Unis comptent 4 millions d’esclaves. Sur les huit millions de Blancs que
comptent environ la totalité des États esclavagistes, seulement 385 000
possèdent des esclaves, soit 4,8% de la population. La moitié possède cinq esclaves
ou moins, 110 000 Blancs en ont plus de 50 et 3 000 Blancs plus de
100.
Bien que la
question de l’esclavage soit l’une des causes de la guerre de Sécession,
l’abolition n’apparaît pas comme la principale préoccupation des belligérants.
Arrivé au pouvoir, Abraham Lincoln s’est prononcé contre son expansion, mais a
promis de ne pas remettre en cause cette pratique dans les Etats où elle existe
déjà. Les Confédérés font sécession pour défendre leur droit à l’auto-détermination
et protéger leurs intérêts et leur mode de vie menacés par le Nord. Cette
remise en cause se cristallise autour de la question de l’esclavage. De leur
côté, les Nordistes luttent d’abord pour préserver l’Union. L’abolition devient
un des enjeux du conflit au milieu de l’année 1862.
Au XVIIe siècle,
pour faire face à leurs besoins en main d'œuvre, les premières colonies
américaines ont recours à un système qui s'apparente à l'engagisme. Les pauvres
arrivent avec un statut de travailleurs sous contrat. Les colons adoptent ce
système pour les premiers esclaves débarqués. Conformément à ce statut, ils
sont libérés après une période établie et se voient accorder quelques terres
par leurs anciens maîtres. Cependant, les colons considèrent que les esclaves
africains n'étant pas citoyens britanniques, ils ne sont pas couverts par la
loi commune britannique. A cette considération, s’ajoute un racisme à l’égard
des Noirs.
Au Nord, les
esclaves accomplissent principalement des tâches domestiques. La plupart des
maîtres considèrent les Noirs comme des travailleurs sous contrat et les
libèrent dès qu’ils estiment qu'ils ont remboursé leur prix d'achat. Ils deviennent
des hommes libres. Toutefois, ils demeurent dans la pauvreté, car les riches
accaparent déjà les meilleures terres. Dans le Sud, les esclaves travaillent
dans les fermes et les plantations. L'explosion de la demande en tabac, puis en
coton, entraînent une demande en main d'œuvre que ne satisfait plus le système
de l'engagisme. Le Sud ne peut plus se passer de cette main d’œuvre servile au
risque de perdre tous les bénéfices engrangés. Parallèlement, l’Amérique du
Nord représente un nouveau débouché pour les marchands d’esclaves, car les
colonies ibériques d’Amérique du Sud sont saturées. À la fin du XVIIIe siècle,
tous les Noirs sont considérés comme des esclaves. Les codes noirs
définissent les droits des propriétaires sur ces individus considérés comme des
objets et dépourvus de droits. La Nouvelle-Orléans devient un port d'esclaves
de dimension nationale et le plus grand marché d'esclaves du pays.
La plantation est une société
pyramidale répressive, avec le maitre au sommet (le propriétaire) jusqu’aux
conducteurs en passant par le régisseur. Ce dernier peut être le fils du
propriétaire qui apprend le métier, mais il existe aussi des régisseurs
professionnels qui accumulent ainsi un capital en vue d’acheter des terres. Il
assure l’encadrement des esclaves. Des drivers le secondent, qui peuvent être
des esclaves. Les régisseurs sanctionnent les esclaves désobéissants.
Conformément au code de l’esclavage, les châtiments utilisés sont les
privations, les travaux supplémentaires, le marquage au fer rouge pour les
fugitifs, la castration et les mutilations.
Cependant, le planteur n'a pas intérêt à maltraiter ses esclaves. Les traces de
violence sous-entendent que l’esclave est insoumis et paresseux. Sa valeur
diminue. Les esclaves subissent une instabilité sociale. Les familles et les
couples peuvent être séparés du jour au lendemain. D’ailleurs lors des
mariages, qui n’ont aucune valeur légale, les officiants concluent en disant :
« Vous voici unis jusqu’à ce que la
mort ou la distance vous sépare ».
Le travail dans les plantations
se fait de deux manières différentes. Le task system consiste à assigner
à chaque esclave un travail donné. Une fois sa tâche acquittée, l'esclave peut
vaquer à ses occupations personnelles. Le gang system consiste à constituer des équipes d’esclaves
qui effectuent en même temps une tâche identique. Les esclaves
travaillent du lever au coucher du soleil, soit une moyenne de 11 heures par jour.
Les soirs de pleine lune, ils peuvent continuer à travailler. Certains esclaves remplissent des tâches
domestiques. Ces derniers sont mieux nourris et bénéficient de
conditions de travail plus clémentes. La situation de travail change en
fonction des cultures, du renouvellement du stock d'esclaves, de la condition
physique et de la couleur de peau.
Les maîtres se
préoccupent du bien-être de leurs esclaves par intérêt ou par humanité. Ils
mettent en place des jours fériés, organisent des fêtes et des célébrations
pour des événements familiaux (naissances, fiançailles) et distribuent des gâteaux
et des friandises. En revanche, les esclaves sont très mal logés. Leur cabane
en bois ne comprend qu’une seule grande pièce, dont le sol est en terre battue.
Les habitations sont froides l’hiver et nauséabondes en été. L’hygiène est
déplorable. Les germes et les parasites pullulent et causent de nombreuses
maladies. Un esclave vit rarement au-delà de 60 ans et la mortalité infantile
est élevée.
À partir du milieu du XVIIIe siècle,
la religion chrétienne se développe à la faveur du Grand réveil. Les prêtres
exhortent les propriétaires à œuvrer pour le salut des esclaves. Ces derniers
répondent favorablement à cet appel, soit parce qu’ils sont animés d’une foi
sincère, soit parce qu’ils considèrent la religion comme un moyen de contrôle.
Certains esclaves reçoivent la lecture de la Bible de la bouche même de leur maître. Au XIXe
siècle, les différentes Eglises s’affrontent sur la question de l’esclavage.
Par exemple, les Méthodistes prônent un discours abolitionniste, même si leur
démarche vise plus à adoucir le sort des esclaves que l'abolition.
La religion constitue une
consolation, un enrichissement spirituel et offre des moments de bonheur. Elle
favorise l’alphabétisation, car les pasteurs, souvent blancs, cherchent à
diffuser le message du Christ. En 1860, 5% des esclaves savent lire. Les
planteurs n’apprécient guère que leurs esclaves savent lire et écrire pour des
raisons pratiques. En effet, pour quitter une plantation, un esclave doit
posséder un laissez-passer rédigé par le maître. Un esclave sachant écrire
pourrait émettre de faux documents. Des patrouilles quadrillent le secteur et
exécutent les esclaves qui ne présentent pas de laissez-passer.
Une Eglise noire se développe en
parallèle. Lors de cérémonies échappant au regard du maître, le discours de
soumission relayé par les Églises du Sud est rejeté. Les esclaves mettent en
avant le message d’égalité et de célébration de la pauvreté véhiculé par le
Christianisme. L’épisode de l'Exode des esclaves de pharaon menés par Moïse
tient une grande place dans les sermons.
En 1831, le Sud est traumatisé
par une révolte d’esclaves menée par Nat Turner causant la mort d’une centaine
de Blancs. Ceux-ci vivent dans la paranoïa de la révolte d’esclaves, car ces
derniers sont plus nombreux que les Blancs. Dans les faits, les révoltes sont
rares et peu importantes. Les historiens distinguent deux types de révolte. Les
révoltes planifiées ont pour objectif la conquête d’un territoire ou la préparation
d’une évasion massive. Elles n’aboutissent pas dans la majorité des cas, car la
rumeur est ébruitée et la conspiration démasquée. Les révoltes réactives
naissent d’un incident entraînant le meurtre du régisseur ou du maître et la
destruction de sa propriété. Elles s’étendent ensuite aux esclaves des
propriétés avoisinantes.
Au sein des
esclaves en fuite, les historiens distinguent les outliers et les marrons. Les premiers
continuent de vivre à proximité de la plantation. Ils se nourrissent en volant
ou avec l'aide d'esclaves restés dans la plantation. Les seconds s'établissent
dans des zones inaccessibles, montagnes ou marécages. L’abolition progressive
de l’esclavage dans les États du Nord offre aux esclaves du Sud un nouveau
refuge. Un réseau nommé le chemin de fer clandestin (Underground Railroad)
facilite la fuite et l’accueil des fugitifs. En 1850, la loi sur les esclaves
fugitifs est renforcée. Le réseau se prolonge jusqu’au Canada pour assurer la
sécurité des fugitifs.
Durant la
guerre, les esclaves ne se révoltent pas. Ils profitent de la désorganisation
des structures pour ralentir le travail. Ils attendent l’approche des soldats
nordistes pour fuir la plantation et rejoindre le Nord. En mars 1862, le
Congrès interdit le renvoi des esclaves à leurs anciens propriétaires. Certains
généraux, tels Hunter ou Frémont enrôlent dans leurs contingents les esclaves
émancipés sans l’approbation de la
Maison blanche.
Dans le premier XIXe siècle,
l’esclavage devient peu à peu un enjeu politique avec l’expansion territoriale
vers l'Ouest. Les esclavagistes souhaitent étendre cette pratique aux nouveaux
États candidats à l’Union, tandis que les antiesclavagistes veulent stopper
l’expansion de cette pratique. Une série de compromis politiques préserve
l’unité du pays en maintenant l’équilibre numérique entre États esclavagistes et
États libres. Le compromis de 1820 permet au Missouri
d’entrer dans l’Union en tant qu’Etat esclavagiste. Pour préserver le statut-quo,
l’État du Maine est créé à partir du Massachussetts. Le compromis de 1850
permet à la Californie
d’intégrer l’Union comme Etat non esclavagiste à condition que la loi sur les
fugitifs soit renforcée et que l’Utah et le Nouveau Mexique soient libres de
décider par eux-mêmes le maintien ou la suppression de l’esclavage sur leur
territoire. En 1854, l’acte Kansas-Nebraska affirme que l’Etat fédéral ne
pourra pas se substituer sur le statut de l’esclavage à la décision du peuple
dans ces deux nouveaux Etats. Cette loi débouche sur une guerre civile, connue
sous le nom de « Kansas sanglant ».
Le mouvement abolitionniste prend
un véritable essor en 1831 avec la fondation du journal « The
Liberator ». Son rédacteur en chef William Garrison dit que l’esclavage
est un pêché et ceux le pratiquant des criminels. Le mouvement regroupe des
intellectuels, des hommes politiques et d’anciens esclaves tels Frederick
Douglass. En 1852, la publication de La Case de l’Oncle Tom de Harriet Stowe émeut
les Nordistes.
Jusqu’en août
1862, Lincoln ne place pas l’abolition de l’esclavage comme un des objectifs du
conflit. Il s’agit d’un choix politique et stratégique. En effet, quatre Etats
esclavagistes (le Delaware, le Maryland, le Kentucky, le Missouri) sont restés
fidèles à l’Union. L’abolition risquerait de les faire passer dans le camp
sécessionniste. Néanmoins, les abolitionnistes se font de plus en plus
pressants. L’opinion publique du Nord les soutient. Vu les pertes humaines
engendrées par le conflit, la population exige désormais un changement radical
dans l’organisation sociale du Sud. Par ailleurs, une prise de position claire
sur l’abolition permettrait d’avoir le soutien indéfectible sur la scène
internationale du Royaume-Uni. À l’automne 1862, Lincoln menace les Confédérés
d’abolir l’esclavage s’ils ne rentrent pas dans le rang de l'Union. Ne recevant
pas de réponse, la Proclamation
d'émancipation du 1er janvier 1863 libère « toute personne
asservie » située sur les territoires sécessionnistes. Elle autorise les
Noirs libres ou affranchis à s’engager dans l’armée de l’Union.
Le 18 décembre
1865, le 13e amendement de la Constitution abolit définitivement l’esclavage
sur le territoire américain. La société sudiste résiste en adoptant des codes
noirs visant à maintenir un ordre social hiérarchisé sur une base raciale. A la
fin des années 1860, les 14e et 15e amendements essayent
d’amoindrir le système ségrégationniste. Le 15e amendement interdit la
limitation « pour des raisons liées à la race, à la couleur ou à un état
antérieur de servitude ».
Le racisme et la
hiérarchie sociale selon la couleur de peau demeurent. La ségrégation remplace
l’esclavage. Les lois Jim Crow, tout en admettant l’égalité de droit, imposent
légalement dans certains Etats du Sud, une distinction dans tous les lieux et
services publics. Les Noirs sont persécutés par des organisations racistes
telles que le Ku Klux Klan. Malgré l’abolition de l’esclavage, la déception est
grande chez les Noirs du Sud dont les conditions de vie se sont à peine
améliorées.
Sources
Texte : FOHLEN Claude, Histoire
de l'esclavage aux États-Unis, Perrin, Paris, 2007.
KEEGAN John, La Guerre de Sécession, Perrin, Paris, 2013
FAUCQUEZ Anne-Claire, "Le Nord
aussi était esclavagiste", in Historia,
n°791, novembre 2012, pp52-57.
Image : http://www.astrosurf.com/luxorion/Sciences/esclaves-plantation-usa.jpg
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