Le mythe de la Grèce blanche

Le mythe d’une statuaire grecque blanche s’est forgé dans la Rome antique pour des raisons esthétiques et idéologiques. La Renaissance nous a laissé l’image d’une statuaire en marbre blanc synonyme de grande pureté. Quand nous pensons à la Grèce, nous voyons ses ruines incolores et ses maisons blanches surmontées de toits d’un bleu identique à celui du ciel et de la mer. Or dès le XIXe siècle, les archéologues découvrent sur les statues originales des pigments prouvant qu’elles étaient peintes de couleurs vives. Dans son livre, Le Mythe de la Grèce Blanche, paru en 2013, Philippe Jockey déconstruit le mensonge d’une Grèce aux statues et monuments blancs.

Pour les Grecs antiques, le blanc est synonyme d’inachèvement. Tous les temples et toutes les statues sont colorés. Les Romains, qui raffolent de sculptures grecques, préfèrent le blanc, symbole de pouvoir, de richesse et de bon goût. A l’inverse, les couleurs symbolisent l’extravagance et l’impureté. Seul le rouge trouve grâce aux yeux des Romains, car il représente le pouvoir impérial. De plus, ils s’intéressent davantage au travail du sculpteur et délaisse la peinture qui n’est qu’accessoire. Au Moyen Age, le marbre blanc symbolise la pureté de l’âme, l’innocence et la sainteté.
L’antique blanc devient la référence avec la Renaissance italienne. Le marbre blanc des demeures romaines s’oppose aux couleurs gothiques. La civilisation s’oppose à la barbarie. On en vient à supprimer les traces de couleur sur les sculptures retrouvées. Les élites commandent uniquement des œuvres en marbre blanc et plus la blancheur est étincelante plus l’œuvre est prisée.
Au XIXe siècle, les archéologues, défenseurs de la vérité, affrontent les tenants du mythe de l’antique blanc. Les artistes et les auteurs perpétuent ce mythe, malgré les découvertes archéologiques. Le développement de l’égyptologie renforce cette querelle. Certains penseurs opposent l’Occident blanc et donc civilisé à l’Orient coloré donc moins raffiné. Les régimes totalitaires du XXe siècle s’approprient ces courants de pensée.

De nos jours, les technologies permettent de retrouver l’ensemble de la palette des couleurs utilisées par les Grecs de l’Antiquité, notamment le rose, le bleu clair et le vert pomme. La dispute entre la Grèce blanche et la Grèce colorée s’est atténuée. Cependant, le mythe de la Grèce blanche perdure toujours dans l’imaginaire de chacun d’entre-nous y compris dans celui des Grecs.


Source
Texte :
- SARTRE Maurice, « Et si la Grèce avait été en couleur », in L’Histoire, n°391, septembre 2013.
- BORIAUD Jean-Yves, "L'Antiquité retrouve ses couleurs", in Historia, n°842, février 2017, pp54-59.

Image : http://www.liebieghaus.de

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