Les Etats désunis
Au début des années 1860, les
Etats-Unis comptent 30 millions d’habitants répartis inégalement dans le pays
jusqu’à la côte pacifique peuplée à partir de la ruée vers l’or de 1848-1849.
Parmi ses habitants, 4.4 millions sont des Noirs. Le taux d’urbanisation est de
26% pour le Nord et de 10% pour le Sud. La part de la population active est de
40% pour le Nord et de 80% dans le Sud. Le Nord détient 80% des capitaux.
Dans la première moitié du XIXe siècle, les États du Nord et
ceux du Sud empruntent chacun des chemins différents.
Le Nord entre dans l’âge
industriel par le biais de la métallurgie et surtout du textile. Les machines
outils remplacent la production manuelle, ce qui augmente la production et
diminue les coûts. Toute la confection est réalisée dans seul endroit, l’usine
où viennent travailler les femmes et les immigrés. En 1860, l’industrie textile
est le premier secteur industriel du pays. Elle compte 115.000 travailleurs. Les
plantations de coton du Sud fournissent les matières premières. Dans le Nord,
l’urbanisation rapide et incontrôlée créent des taudis insalubres.
Avec le développement du chemin
de fer et des canaux, les villes du Nord deviennent des centres où convergent
les marchandises. Elles se spécialisent dans le commerce et la finance. Les
revenus sont réinvestis dans l’industrie, qui augmente ses productions et donc
les revenus. A la fin des années 1850, les Etats-Unis comptent 50.000 km de voies de
chemin de fer et 5.000 km
de canaux, dont la majorité se situe dans le Nord. Le chemin de fer double les
canaux et favorise l’extension vers l’ouest.
Dans le Sud, les planteurs ont
fait fortune dans la culture du coton, du tabac, du riz et de l’indigo. Ils
gagnent jusqu’à 14 fois plus qu’un
simple fermier. Ceux-ci produisent un coton de bonne qualité et le revendent aux
industries du Nord, mais aussi en Europe et notamment au Royaume-Uni. Les
planteurs s’accrochent à leur système de production, puisque celui-ci est
rentable et répond à une demande toujours croissante.
La culture du coton appauvrit
rapidement les sols. Les planteurs se déplacent de plus en plus au sud et à
l’ouest des Appalaches et davantage à l’ouest du Mississippi. De plus, cultiver
du coton nécessite une main d’œuvre abondante. Les planteurs réinvestissent
leurs bénéfices dans l’acquisition de nouvelles terres à l’ouest et de nouveaux
esclaves, afin de produire davantage et de continuer à s’enrichir. Le Sud
devient le premier exportateur mondial de coton. 70% du coton importé par le
Royaume-Uni arrivent des Etats-Unis.
La société est contrôlée par les
esclavagistes et les planteurs (politique, justice, presse). Les planteurs
constituent une aristocratie et se considèrent comme les gardiens d’une civilisation,
d’une certaine noblesse et se disent supérieurs aux autres Blancs, qui sont
au-dessus des Noirs. Cette vision inégalitaire est contestable dans une société
démocratique. Les planteurs s’inspirent des théories de Thomas Jefferson. La
terre symbolise la régénération, à l’inverse de la ville corruptrice et
avilissante. Les Blancs sont en minorité par rapport aux Noirs. Ils sont très
solidaires les uns avec les autres et partagent très largement les mêmes idées.
La faible densité de population, l’éloignement entre les plantations et
l’absence d’une volonté d’investissement dans les infrastructures retardent le
développement du Sud.
Le Nord s’oriente de plus en plus
vers l’industrie, le commerce et la finance, tandis que le Sud conserve une
économie de plantation. L’Ouest se spécialise dans une agriculture commerciale
pour les marchés intérieurs et extérieurs. En ce sens des liens économiques
s’établissent avec le Nord. A partir des années 1820, les échanges commerciaux
le long du Mississippi s’amenuisent en faveur d’échanges est-ouest, grâce à la
construction des canaux qui relient les grandes villes de la côte atlantique et
celles des régions des grands lacs et des grandes plaines. Un lien fort
s’établit entre le Nord et l’Ouest.
Une fracture se forge entre le
Nord et le Sud qui se cristallise autour de l'esclavage. Celui-ci est aboli
progressivement dans les Etats du Nord depuis la fin du XVIIIe siècle. En 1808,
la traite des esclaves est interdite. L’esclavage est maintenu dans les Etats
du Sud car il est une composante essentielle du système économique. La Constitution
n’interdit pas l’esclavage pour préserver l’union du pays. Les planteurs
avancent une justification scientifique, ainsi que des arguments paternalistes.
L’homme blanc doit s’occuper de l’homme noir, lequel serait perdu s’il était
livré à lui-même. L’esclavage est un fardeau pour l’homme blanc que celui-ci
doit supporter pour protéger la société de l’anarchie, de l’insurrection et de
la décadence morale. Ils appuient sur le fait que certains esclaves vivent
parfois mieux dans le Sud que leurs congénères ou même que des Blancs dans les
grandes villes du Nord.
Le Nord et le Sud s'affrontent
politiquement sur la question de l'esclavage. Le compromis du Missouri
constitue un bon exemple des tensions entre Nord et Sud, ayant pour point de
départ de l'esclavage.
En 1819, le Missouri demande à
intégrer l’Union. A cette époque, les États-Unis regroupent 21 Etats, dix non
esclavagistes (New Hampshire, Massachussetts, Connecticut, Rhodes Island,
New-York, New Jersey, Pennsylvanie) et onze esclavagistes (Virginie, Maryland,
Delaware, Caroline du Nord, Caroline du Sud, Géorgie, Kentucky, Tennessee,
Louisiane et le Mississippi).
Le 1er
février, James Tallmadge Jr., représentant républicain de New-York dépose un
amendement à la proposition de loi autorisant le Missouri à élaborer sa
constitution. Dorénavant, il serait interdit d'introduire de nouveaux esclaves
dans le Missouri, et les esclaves de plus de 25 ans seraient émancipés. Les
représentants du Nord craignent de voir les esclavagistes devenir majoritaires
à la Chambre des représentants avec l’entrée du
Missouri. En effet, le nombre de représentants se détermine en fonction de la
population de l’État. Pour les représentants du Sud, le Missouri ne représente
pas un enjeu majeur. Les sols ne sont guère favorables à la culture du coton,
et la production agricole ne nécessite pas une main-d'œuvre servile. Cependant,
cet amendement touche à une question de principe. Le fait que le Congrès puisse
décider si un nouvel État sera ou ne sera pas esclavagiste, et la perspective
que si le Missouri renonce à l'esclavage, tout le reste de l'ex-Louisiane
française basculerait dans le camp des abolitionnistes, les inquiète.
Finalement, le Congrès décide que le Missouri restera un
État esclavagiste, mais ne pourra introduire de nouveaux esclaves et que tout
enfant né après l'admission de parents esclaves sera automatiquement affranchi
à l'âge de 25 ans.
Après des débats
houleux à la Chambre des
représentants et au Sénat, un compromis est accepté le 2
mars
1820 à
l’initiative d'Henry Clay, sénateur du Kentucky.
Un nouvel État anti-esclavagiste, le Maine,
est détaché du Massachusetts pour faire contrepoids au
Missouri. Par ailleurs, il est convenu que les futurs États qui seront créés
dans l’ancienne Louisiane seront esclavagistes ou abolitionnistes selon qu’ils
se situeront au sud ou au nord du 36° 30' parallèle (la frontière sud du
Missouri). Le Missouri intègre l’Union le 10 août 1821 en tant qu’État
esclavagiste. Auparavant le Maine a intégré l’Union le 15 mars 1820 en tant
qu’État non esclavagiste. Ainsi le status quo est préservé et les tensions
sont apaisées pour un temps. Ce compromis apaise les tensions, mais il sera
abrogé en 1854
avec l'acte Kansas-Nebraska et sera déclaré
inconstitutionnel par la décision relative à Dred Scott
en 1857.
Le Nord et le Sud s'affrontent
également par le biais de leurs Églises. Les Américains sont majoritairement
protestants divisés en quatre grands groupes : presbytériens,
épiscopaliens, méthodistes et baptistes. Dans le premier tiers du XIXe siècle,
le pays connait une période d’effervescence religieuse, appelé « le second
grand réveil », le premier ayant eu lieu au XVIIIe siècle. Les
prédicateurs veulent amener le croyant à prendre conscience des maux de la
société dans laquelle il vit. Ils mettent l’accent sur l’ordre, la discipline
et le rôle de la famille. Dans le Nord, l’effervescence religieuse mène
rapidement à des campagnes anti-esclavagistes. Dans le Sud, les planteurs
cherchent dans la Bible
des justifications à l’esclavage. Les Eglises parviennent à se mettre d’accord
sur divers points : les esclaves doivent être évangélisés, les maitres
sont exhortés à surveiller leur instruction religieuse et les châtiments
corporels doivent être supprimés. A défaut de supprimer l’esclavage, on lui
confère une éthique. En 1857, l’Eglise presbytérienne condamne officiellement
l’esclavage. Les Eglises du Sud se désolidarisent de celles du Nord. Pour
calmer les choses, l’Eglise rappelle que ses décisions s’étendent uniquement
sur la foi religieuse et la moralité et n’a pas à légiférer.
Deux modèles sociaux, deux modèles économiques, deux
univers. Les États-Unis du XIXe siècle abritent deux pays différents que tout
semble opposer. L'un trouve l'autre sclérosé et barbare, l'autre trouve le
premier dominateur et impétueux. Une tension naît de cette fracture. Elle
s'exprime avec violence oralement et politiquement. A partir des années 1850,
les armes parlent à leur tour comme dans l'État du Kansas où réside un certain
John Brown.
Sources
Texte : La Guerre de Sécession, Historia Thématique, n°94
mars-avril 2005, 86p
Image : culture.gouv.fr
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