Alfred Brehm : précurseur de l'étude des comportements animaliers

Alfred Brehm naît le 2 février 1829 à Renthendorf en Thuringe, une région d’Allemagne. Son père Christian est un pasteur passionné d’ornithologie. Il passe la majeure partie de son temps à chasser les oiseaux et les disséquer. Pour lui, comprendre le fonctionnement de la nature est une manière de rendre hommage à Dieu en essayant de comprendre la Création. Alfred assiste son père dans ses excursions et ses expériences. Dès l’adolescence, il maîtrise aussi bien le fusil que le bistouri et possède une bonne connaissance de l’anatomie des oiseaux. En 1846, il est diplômé de l’Ecole d’art et d’artisanat d’Altenbourg, puis part à Dresde pour suivre des études d’architecte.


A l’âge de 18 ans, il fait la connaissance, à Dresde, d’un jeune aristocrate le baron Johann Wilhelm von Müller également passionné d’ornithologie. Il lui propose de l’accompagner en Egypte en tant que secrétaire. C’est une occasion inespérée pour Alfred Brehm. Au XIXe siècle, l’Afrique demeure le continent où vivent en liberté le plus grand nombre d’animaux. C’est un continent perçu comme vierge. Tous les naturalistes rêvent de s’y rendre au moins une fois dans leur vie. Au moment du départ, son père lui prodigue le conseil suivant : « Pour la postérité scientifique, il est préférable d’étudier et d’approfondir deux ou trois espèces, plutôt que d’en découvrir et d’en survoler des centaines ». Les deux hommes débarquent à Alexandrie en 1847.
En remontant le Nil, Alfred Brehm refuse de tuer les animaux. Il préfère les observer dans leur milieu naturel. Il étudie le comportement des crocodiles, mais aussi leur physionomie et leur alimentation. Il consigne toutes ses remarques dans ses carnets. Il envoie des comptes-rendus à son père et à son frère Oscar pharmacien.
Au Soudan, Alfred Brehm attrape la malaria. Frôlant la mort, il est soigné dans un village soudanais avant de regagner Alexandrie. Von Müller décide de rentrer en Europe. Il emmène avec lui des animaux empaillés et de nombreux carnets. Il demande à Alfred Brehm d’attendre son retour à Alexandrie. Il reviendra avec assez d’argent pour monter une nouvelle expédition. Alfred Brehm végète plusieurs mois à Alexandrie, jusqu’à ce qu’Oscar le rejoigne. Son frère amène avec lui l’argent donné par von Müller. La somme n’était pas celle annoncée lors de la séparation des deux hommes. Elle permet néanmoins de rembourser les dettes et de financer une petite expédition.
En Egypte, pays des scarabées, Oscar peut assouvir sa passion des coléoptères. Ce dernier meurt noyé emporté par des courants, alors qu’il se baignait dans le Nil. Son frère continue de remonter le fleuve jusqu’à Khartoum. En chemin, il étudie les lions.
A Khartoum, il continue d’observer la riche faune du Soudan, mais il n’a plus les moyens financiers pour retourner à Alexandrie. Il entre en contact avec Nicolas Ollivi, un marchand d’esclaves italien, qui prête de l’argent. Les deux hommes ne parviennent pas à un accord. Le taux d’intérêt de 60% demandé par l’Italien rend furieux Brehm. Désespéré, il se tourne vers le Pacha Al Alhadaf. Ce dernier se prend d’affection pour le naturaliste et lui procure de l’argent pour une nouvelle expédition. Brehm descend sur le Nil Bleu au Sud de Khartoum. Peu d’Européens ont déjà parcouru ce fleuve. Ainsi, il peut observer de très près les éléphants, les gnous et les girafes.


En 1852, il rentre en Allemagne et s’inscrit à l’université d’Iéna où il passe avec succès sa thèse de philosophie en 1855. Il publie ses récits de voyage et ses études dans le Gartenlaub, l’un des journaux les plus populaires d’Allemagne, qui ponctue ses articles de nombreuses illustrations. Brehm s’intéresse à la vie des animaux, à leurs sentiments et à leur propre volonté. Il rapproche l’animal de l’être humain. Ses théories, son style d’écriture et les illustrations plaisent à tous les lecteurs. Néanmoins, Brehm rencontre de nombreux détracteurs dans le monde universitaire qui lui reprochent une démarche sans caractère scientifique. En effet, au XIXe siècle, les naturalistes dissèquent et empaillent leurs objets d’étude. Ils cataloguent toutes les caractéristiques physiques de l’animal et décrivent le fonctionnement de l’organisme, tel un mécanisme. Alfred Brehm innove puisqu’il observe de leur vivant les animaux dans leur milieu naturel et s’intéresse à leur comportement.
En 1861, il s’installe à Hambourg et postule au poste de directeur du parc zoologique venant d’ouvrir ses portes. Il s’agit du premier de ce genre en Allemagne. Entre temps, il a épousé Mathilde Reiz avec laquelle il aura cinq enfants et voyagé dans plusieurs pays d’Europe. Il est nommé directeur du parc zoologique. Ce poste garantit une stabilité financière et familiale tout en permettant l’étude des animaux. En effet, le parc reçoit en don de nombreuses espèces animales. Désormais, Brehm ne va plus vers les animaux, ce sont les animaux qui viennent à lui. Il étudie en outre les oiseaux, les grenouilles et surtout les singes. Par l’observation des primates, il rejoint les thèses évolutionnistes de Darwin. Sa femme l’assiste dans son travail. Elle l’aide à rédiger ses textes, les met au propre, les relit et corrige les fautes d’orthographe.


En 1863, il publie un traité de zoologie intitulé La Vie des animaux, qu’il enrichira au fil des années. Meyer, le président de la société de zoologie de Hambourg est furieux contre son directeur à double titre. Tout d’abord, il ne fait aucune référence au parc zoologique. Meyer aurait apprécié que son directeur fasse la promotion de son parc. Par ailleurs, il craint pour la clientèle, car les thèses de Brehm, défendues dans son ouvrage, sont très loin de faire l’unanimité. Brehm compare les animaux à des êtres humains. Il travaille sur les sentiments, la colère, la frustration, la tristesse, la cruauté, la colère, etc. Il dote les animaux de capacités intellectuelles et de jugement. Il emploie des termes tels que bien, mal, meurtre. Ce champ d’investigation ne peut pas être étudié par la science telle qu’elle est conçue au XIXe siècle. Ses détracteurs disent qu’il affable, qu’il personnifie les animaux dans le but de raconter des histoires au peuple et gagner sa vie. C’est un divertissement déguisé en étude scientifique. Bernard Altum est l’un de ses plus grands détracteurs. Il professe une méthode d’étude et d’observation classique. Profondément religieux, il s’oppose aux théories de Darwin. Les animaux réagissent uniquement par instinct. Alfred Brehm se fait donc de nombreux ennemis. Le monde universitaire critique outre certaines de ses théories sa démarche peu scientifique. La société de zoologie de Hambourg lui reproche son incapacité à gérer correctement le parc animalier. Meyer nomme un inspecteur pour le seconder, qui dans les faits, prend en charge toutes les tâches du directeur. Brehm ne supporte plus cette situation et remet sa démission. Ensuite, il clame dans tous les journaux qu’il a été honteusement licencié. Karl Agenberg Jr, un des plus grands marchands d’animaux d’Europe ouvre son parc à Hambourg. C’est un concurrent féroce et plus attractif. Les successeurs de Brehm se succèdent, sans qu’aucun ne parvienne à améliorer la situation. Le parc ferme ses portes en 1911.


En 1878, son épouse Mathilde décède des suites d’un accouchement, le laissant veuf avec cinq enfants à charge. Pour vivre, il donne des conférences. Il se trouve aux Etats-Unis lorsqu’il apprend la mort de son plus jeune fils. Il rentre en Allemagne et emménage avec ses enfants dans la maison familiale à Renthendorf. La douleur engendrée par la perte de son fils l’amène à s’interroger sur la possibilité qu’ont les animaux à ressentir de la peine ou de la tristesse lors de la perte d’un être cher. Il meurt le 11 novembre 1884 des restes de la malaria contractée en Afrique, qui mal soignée, lui auront causé, tout au long de sa vie, de fièvres.
Alfred Brehm est l’un des pionniers de l’éthologie, l’étude du comportement des animaux, qui est aujourd’hui une discipline scientifique reconnue.


Sources
Texte : Alfred Brehm : un certain regard sur les animaux, documentaire réalisé par Kai Christiansen, Allemagne, 2013, 120min.

Image : wikimedia.org

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