Histoire, temporalité et nazisme

Dans l'Ancien régime, la société était cohérente, homogène, fermée et hiérarchisée. Chacun restait à la place que la nature lui avait assignée. La communauté parlait d'une seule voix, celle de son chef qui s'imposait de part ses qualités naturelles. Après la révolution de 1789, l'individu n'est plus membre d'une communauté parce qu'il y est né, mais parce qu'il y a adhéré. C'est la notion de contrat social développée par Jean Jacques Rousseau. Le libéralisme et l'égalitarisme ont engendré la cacophonie et permis aux étrangers et aux juifs de devenir citoyens. Le marxisme encourage à combattre les hiérarchies naturelles. Il déplace le combat de la sphère racial à la sphère sociale, divisant ainsi les citoyens du même pays. Pour Goebbels, il faut effacer 1789 de l'histoire. Néanmoins, le nazisme n'est pas un retour en arrière. Il convient d'adapter dans le présent l'harmonie des communautés passées, seules garantes de paix sociale. Depuis 1789 et contrairement à l'Antiquité, l'individu donne sens à tout.

Les nazis estiment que seule la nature est législatrice. Il n'est pas question de créer un homme nouveau, mais de retrouver la pureté originelle de la race et se protéger dans l'avenir de tout mélange sanguin et culturel. L'Antiquité constitue un schéma historique qui ne doit pas se reproduire. Les Grecs et les Romains sont des Germains issus du Nord ayant colonisé et civilisé les bords de la Méditerranée. Les nazis érigent les cités-états en modèle et notamment les Spartiates, qui sont des citoyens soldats dévoués à la défense de leur patrie. Mais les Grecs et les Romains ont été peu à peu pervertis par les peuples orientaux et leurs cultures. L'Empire romain n'a pas succombé aux invasions barbares, qui l'ont régénéré par un afflux de sang germanique. Il a succombé au développement en son sein du christianisme, une doctrine égalitaire et universaliste, ayant détruit les fondements de la citoyenneté romaine, création germanique. Le christianisme est la forme prise dans l'Antiquité par le complot juif pour détruire la société germanique. Réutilisant le même modèle, le bolchevisme devient, au XXe siècle, l'ennemi de l'Allemagne.
Les Juifs et les Germains s'affrontent depuis la nuit des temps sous des appellations différentes. Le temps est figé dans un éternel présent, d'où un sentiment de blocage.

L'idéologie nazie se soucie tout autant de l'avenir. Les nazis, à l'instar des autres régimes totalitaires, ne cessent de planifier. En effet, dans un régime autarcique, la pénurie menace continuellement. L'attente favorise le réarmement des voisins de l'Allemagne et conduira à une misère alimentaire et matérielle. Urgence et pénurie sont les synonymes de l'avenir. Les nazis ont une conception dépressive de l'écoulement du temps, qui ne peut être contré que par un volontarisme sans faille. Pour éviter la dégénérescence de la race, la décadence de la culture et la dégradation des conditions de vie, il faut frapper l'ennemi et desserrer l'étau qui étouffe l'Allemagne. Les nazis préparent leur pays à une guerre dont l'aboutissement ne peut être que la victoire finale ou la destruction totale. La victoire sera acquise lorsque le foyer judéo-bolchévique européen sera détruit, mettant ainsi un terme à la guerre des races et par extension à l'histoire elle même. En effet, pour les nazis, l'histoire est la narration de la lutte entre la race nordique et juive. Cette dernière guerre instaurerait la paix raciale dont l'Europe est privée depuis des siècles. La société, rendue à sa pureté raciale originelle, ne connaitrait plus aucune différence ni divergence politique. Le pays vivrait dans l'harmonie. La vie vaut la peine d'être vécue, car elle se prolonge au travers de la race pour laquelle on s'est battue. L'immortalité de l'individu passe par celle de la race pour peu qu'on la préserve du mélange des sangs.


En surface, le nazisme semble être bruit et fureur, galvanisé par l'angoisse et l'urgence de la pénurie. Cependant, l'histoire selon les nazis se déroulent dans un cadre statique. La culture nazie est une plongée vers les profondeurs, celle de l'origine de la race; une éternité immobile qui depuis toujours oppose les mêmes antagonistes. Le nazisme propose un projet politique inscrit dans un temps où l'éternité de la nature et de la race implique la pérennité des êtres et la certitude du sens.

En rejetant le temps historique au profit de l'immobilité et en érigeant la nature en fondement et en impératif, les nazis ont créé un univers mental où leur idéologie prenait place et sens. Le message nazi apparait comme consolant dans les temps de crise et de deuil de l'Allemagne de l'entre deux guerres.



Sources
Texte : CHAPOUTOT Johann : "L'historicité nazie", Historicité du XXe siècle : coexistence et concurrence des temps, Vingtième Siècle - Revue d'histoire, n°117, janvier-mars 2013, pp43-55.

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