Histoires de France : la construction du roman national

Raconter l’histoire de France n’est pas chose anodine. Il s’agit d’une construction qui suppose des choix (évènements, personnages, aspects mis en avant) différents selon les époques et les enjeux. Le roman national narre une certaine France.

La promesse de victoire faite par Dieu à la reine Clotilde, puis le baptême de Clovis marquent le début de l’histoire de France, rédigée sous la monarchie. Ces évènements lient dans un même destin la monarchie et Dieu, le pouvoir et la religion. La victoire militaire de Clovis est la preuve de l’élection divine de ce peuple, qui donnera son nom à la France. La monarchie s’invente un ancêtre prestigieux Pharamond, descendant direct de Francion un des fils de Priam, fuyant la prise de Troie par les Grecs. Le prince trouve refuge en Gaule. Ainsi, les Mérovingiens possède une ascendance aussi prestigieuse que Rome avec Enée.
Faire l’histoire de France sous la monarchie, consiste, dans un premier temps, à retracer les hauts faits d’arme de la noblesse et l’extension du royaume. L’histoire exalte les valeurs guerrières de l’aristocratie. La chanson de Roland, retraçant l’épopée de Charlemagne et de ses preuxs chevaliers, demeure un classique. Elle consiste, dans un second temps, à retracer la vie des Grands à la cour. Tout le paradoxe du roman national sous la monarchie se trouve là. Le roi s’affirme progressivement au détriment des seigneurs féodaux. Les combats de la noblesse, dont l’obtention de charges et de faveurs constitue l’enjeu, se déroulent dans les couloirs des palais. Le roi appuyé par ses intendants, commissaires et autres magistrats, tend de plus en plus à uniformiser le royaume, le transformant petit à petit. Or l’histoire monarchique est l’histoire des permanences, de la tradition et surtout d’un ordre social basé sur des privilèges immuables.
Cette histoire monarchique survit à la Révolution. Elle est reprise par les royalistes dans la première moitié du XIXe siècle, puis après 1870, par les mouvements nationalistes et d’extrême droite, qui exaltent le patriotisme et les permanences. Après les années 1960, ces teneurs de cette histoire s’indignent de la perte des colonies et de l’abandon de l’Algérie. Ils critiquent l’Europe, dont l’adhésion revient à l’abandon de souveraineté. Il s’agit d’une histoire cultivant la nostalgie de la grandeur perdue de la France.

Avec la Révolution, une nouvelle histoire de France voit le jour. Les républicains libéraux, dont bon nombre sont historien, prennent conscience après la Restauration, de la nécessité d’ancrer la Révolution dans une séquence historique plus longue. Les républicains souhaitent instituer le peuple en acteur de l’histoire. Le récit national doit légitimer la Révolution et la République, afin d’empêcher une nouvelle restauration ou un nouveau Napoléon. Ainsi, la Nation, s’exprimant au travers de la République, trouve son origine, non pas en 1789, mais à l’époque gauloise. Ces « fiers » guerriers deviennent les ancêtres des Français. Ils habitaient la France, bien avant que les Francs, peuple barbare, ne viennent s’emparer du pouvoir. L’aristocratie, issue des invasions barbares, impose son autorité sur le peuple. La Révolution est l’aboutissement de cette lutte s’échelonnant sur plusieurs siècles. L’histoire républicaine met l’accent sur le peuple et sur cette lutte : monde paysan, naissance de la bourgeoisie, affirmation des communes, artistes et intellectuels de la Renaissance, philosophes des Lumières.
Les valeurs de la République se veulent universelles. La France offre à l’Europe, puis au monde, la liberté, la paix et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ainsi, la République trouve une légitimité et justifie les batailles menés par la Nation : Valmy, les guerres napoléoniennes et la colonisation. Cette histoire doit développer un sentiment d’unité et de patriotisme contre l’ennemi prussien.

Au début du XXe siècle, la gauche socialiste et communiste propose une nouvelle lecture du roman national. Ils s’appuient sur le récit républicain en reprenant la théorie de dominant/dominé. L’histoire est synonyme de lutte de classe. La domination de l’aristocratie sur le peuple a été remplacée par la domination de la bourgeoisie. Ainsi la gauche propose une lecture différente de certains évènements, tels que la Terreur ou l’épisode de la Commune. A la différence des républicains libéraux les considérant comme des dérives sanglantes, les socialistes y voient de réelles tentatives d’émancipations du peuple face à la bourgeoisie. La lecture marxiste relance la recherche historique d’une manière différente. Il est reproché à ces histoires de célébrer exclusivement l’Etat royal ou national et de valoriser les héros, les grands et les puissants. L’histoire se construit désormais autour des communautés présentées comme des victimes : paysans, esclaves, ouvriers, femmes, colonisés.

Dans les années 1950, le gaullisme retrace un nouveau roman national empruntant à la fois au roman républicain (valeur universelle de la République) et au roman monarchiste (le passé chrétien), dans un but de réconciliation de toute la nation pour oublier la parenthèse de Vichy. Dans cette histoire, l’ambition européenne se substitue à l’ambition coloniale.

Aujourd’hui, le peuple français est pluriel. En ce sens, le récit national essaye d’intégrer ces diversités. Il donne également une lecture européenne en mettant l’accent sur les relations entre la France et le reste du continent.

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Source  image : dandymoderne.com

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