Isocrate ou l'éloge de la Grèce unie
Le Grec de l'Antiquité
s'est toujours considéré comme un être à part. Différent par la
langue et la culture, il ne l'est en aucune façon par la religion,
polythéiste, et même par l'allure ! Sa peau teintée par le
soleil riche et généreux de la Méditerranée ainsi que sa barbe
fournie marquant le pas entre l'enfance et la maturité, lui font
ressembler autant à un perse qu'à un anatolien... lesquels, par
certains côtés, peuvent être même bien plus raffinés que lui !
Cependant, cette certitude d’apparaître comme des « gens
différents » les ont amenés à diviser le genre humain en
deux catégories bien distinctes : les Grecs, civilisés et
policés, et enfin les Barbares incultes. Euripide, dans son
Iphigénie ne déclare-t-il pas que « le Barbare est né
pour l'esclavage et le Grec pour la liberté » ?
Mais malgré son essor
intellectuel – indéniable –, la Grèce des cités n'a pas réussi
à surmonter son particularisme municipal. Et dès le dernier perse
rembarqué après la dernière invasion médique, le conflit interne
et éternel à la Grèce reprend de plus belle. Athènes contre
Sparte, Sparte contre Argos, Corinthe contre Thèbes... Tous, quand
ils n'ont pas un ennemi commun, luttent les uns contre les autres.
Les Perses, pourtant vaincus deux fois, se permettent même
d'intervenir ça et là en arbitre et soufflent ainsi le chaud et le
froid, installant un climat propice à la dissension des Grecs. Cela
prive évidemment tout élan de rébellion contre l'immense empire
perse mais surtout assure son hégémonie.
C'est alors qu'est apparu
Isocrate (436 – 338 av. notre ère). En une succession de discours
véhéments, il forge une idée jusque là farfelue aux Grecs :
les cités grecques doivent faire la paix, s'unir afin d'imposer un
impérialisme hellénique et mettre fin à deux cents ans de
domination perse en Anatolie. Pendant les 98 ans de sa longue vie, il
adjure les Grecs d'enterrer leur querelle désuète pour lutter
contre leur ennemi commun : le Grand Roi et son empire. En bref,
il exhorte les cités à concentrer leurs forces vers l’extérieur
et à « fonder leur liberté sur la domination de l'Asie ».
Certains auditeurs, hauts placés, s'accordent pourtant à lui
accorder le mérite de vouloir être le Homère d'une nouvelle Iliade
mais acquiescent sur l'infaisabilité d'une telle entreprise :
la Perse est bien trop grande et puissante. On dit que le Grand Roi
peut réunir en quelques semaines à peine un demi-million d'hommes
venus des quatre coins de son empire ! Pour répondre à cette
objection, Isocrate évoque l'expédition des Dix Mille. L'Anabase
du grand Xénophon a prouvé, par son récit, que l'Asie entière est
incapable de tenir tête aux Grecs sur son propre territoire !
Isocrate peut dès lors conclure ingénieusement : « Que
serait-ce lorsque l'Asie se retrouvera en présence d'une véritable
armée ? »
Laissons la parole à
l'orateur grec. Comment voit-il les ennemis de la Grèce ?
« Les Perses
constituent une foule sans discipline ni expérience des dangers,
amollie devant la guerre, mais mieux adaptée à la servitude que les
esclaves de chez nous. Ceux qui ont chez eux la plus haute réputation
passent tout leur temps à outrager les uns et à se vautrer devant
les autres. Ils sont experts dans l'art d’avilir et de corrompre
les hommes »
Panégyrique d'Athènes
C'est en disciple
d'Isocrate que Philippe de Macédoine convie les Grecs à participer
à une croisade contre l'Asie et ce sera dans le même esprit
qu'Alexandre le Grand franchira l'Hellespont en 334. Et pourtant les
Grecs, si prompts à ne pas s’entendre face aux Perses, refuseront
la proposition du roi macédonien, et s'allieront entre eux ...
contre Philippe qui devra mener bataille pour poursuivre son rêve de
mettre à genou l'Asie. C'est sur son lit de mort, en 338,
qu'Isocrate apprend la victoire de Philippe à Chéronnée contre les
cités grecques coalisées. Sans nul doute qu'il a rêvé ce jour
toute sa vie car il sait enfin que la Grèce a trouvé son chef...
et ironie du destin, ce fut le tout jeune Alexandre, 18 ans, qui
sauva à Chéronnée l'issue longtemps incertaine de la bataille...
et réalisa le rêve d'Isocrate !
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