Au-delà de la politique et de la guerre : La puissance de l'amour dans l'Histoire grâce à Shibtu et Zimri-Lim


L'amour est le plus souvent un thème romanesque ou anecdotique dans l'Histoire et, mis à part peut-être les longues séries d'histoires d'amour de grands souverains comme Louis XIV ou de maîtresses influentes telles Agnès Sorel ou Diane de Poitiers, ce sujet est souvent occulté au profit de la politique, de l'économie ou de la guerre. Ce domaine m'a pourtant toujours passionné car, à mon sens, il est compatible – voir lié - avec les affaires d’État et il argumentera une de mes grandes thèses sur l'influence permanente des femmes sur l'histoire de l'humanité, traditionnellement réservée aux hommes. Le rôle essentiel de la femme dans la vie politique, d'autant plus quand celle-ci est la reine, remonte profondément dans l'histoire des civilisations. Et c'est ainsi que, comme un voyage à travers les millénaires, je souhaiterais vous faire découvrir la passion, néanmoins non dénuée de respect et de sens politique, de deux êtres qui ont vécu aux XVIIIe siècle... av. notre ère: la reine Shibtu et le roi Zimri-Lim de Mari en Mésopotamie.

Mari est une cité située sur l'Euphrate au nord de Babylone. Fondée vers 2900 av. notre ère, elle connaît des périodes d'indépendance et d'autonomie (période dite des Shakkanakku) jusqu'aux environs de 1775 où un dénommé Zimri-Lim parvient à prendre le pouvoir et à rendre la ville indépendante. Un homme, un roi, Yarim-Lim d'Alep, l'a beaucoup aidé. Les deux hommes unissent leur force par traité et scellent définitivement leur destinée par un mariage : Shibtu, fille de Yarim-Lim épouse Zimri-Lim et devient reine de Mari. L'histoire de cette période cruciale dans l'histoire de la Mésopotamie nous est bien connue grâce à la découverte d'importants lots d'archives de la cité lors des fouilles archéologiques qui ont débuté en Syrie en 1933. Dans ces archives, plus de trente années de missives, lettres et dépôts administratifs permettent aux épigraphistes de mettre en lumière le fonctionnement d'une cité de grande importance d'il y a près de 4 000 ans. Lors de la destruction de Mari par Hammurabi de Babylone en 1759, ce dernier demande à son personnel administratif d'effectuer un tri dans les archives et d'emporter les lettres qui ont une importance géopolitique. C'est ainsi qu'un des scribes chargé de ce long et fastidieux travail de triage a décidé de laisser sur place des lettres de maigre importance politique mais qui révèlent plutôt l'intimité et la proximité du roi avec son épouse.

Zimri-Lim a contracté au moins trois mariages et bien que l'on sache que sa favorite fut une dénommée Yataraya, Shibtu est la seule à s'adresser au roi de manière spontanée, personnelle et affective. C'est également celle dont il nous reste le plus de sources. Zimri-Lim en retour semble lui témoigner la même affection et surtout une confiance absolue. Plongeons-nous dans leur histoire...

« Dis à mon Seigneur, ainsi parle Shibtu, ta servante... » C'est en ces termes que Shibtu, dans la traditionnelle formule de politesse qui précède chaque lettre au Proche et Moyen-Orient pendant trois millénaires, s'adresse à son royal mari. Zimri-Lim, pendant son règne, entreprit de grands voyages diplomatiques et des campagnes guerrières, notamment au côté du père de Shibtu, Yarim-Lim. Pendant son absence, le roi de Mari laisse la régence du royaume à son épouse comme l'atteste plusieurs lettres où c'est à elle de prendre les décisions et d’apposer le sceau royal:

- (Shitu) scelle (le) au moyen de ton sceau qui inscrit « Shibtu, fille de Yarim-Lim, épouse de Zimri-Lim ».

En outre, il convient à la reine de donner des nouvelles de la ville et du royaume. Garantissant l'autorité du roi en son absence, Shitu veille à la bonne tenue des bâtiments royaux et des temples :

- La ville de Mari est en bonne santé. Ton Palais est en bonne santé. Les temples vont bien.

Ou de manière plus lapidaire :

- Mari, les temples et le Palais, ça va.

Cependant, le ton des lettres ne reste pas toujours autant insensible et diplomatique. Il arrive souvent à Shibtu d'écrire de manière plus personnelle à son époux. Une lettre est ainsi entièrement consacrée à la naissance des enfants du roi :

- Je viens d'enfanter des jumeaux, un garçon et une fille ; que mon Seigneur soit content !

Mais les lettres les plus émouvantes restent bien évidemment lorsque Shibtu adresse à son mari des mots plus doux. En effet, parmi les lettres la reine fait également apporter des présents, le plus souvent des vêtements, qu'elle confectionne parfois de ses propres mains révélant son affection pour celui qui est loin d'elle pour le bien du royaume. Enfin nous terminerons par les mots qui semblent droit sortis du cœur de la souveraine. Loin et en guerre, il arrive que le roi soit exposé à maints dangers, aussi, on lit que Shibtu demande des nouvelles plus régulières et qu'elle fait prendre les présages par des devins sur le sort de son époux. Il convient de rappeler aux lecteurs qui pensaient tomber sur des recueils de poésies où la reine et le roi se chantent leur amour, que ces lettres sont contrôlées par un arsenal de scribes et qu'il n'est pas convenable pour les sujets du royaume de connaître l'intimité de ce couple royal. Aussi, ils choisissent les bons mots mais nul doute que l'un et l'autre comprennent ce qui se cache derrière chaque syllabe choisi par l'expéditeur. Enfin, rappelons qu'une partie de ces archives ont pu être détruite avec le temps ou emportée par les hommes d'Hammurabi.


- En outre, voilà que mon Seigneur peut mettre sur ses épaules l'étoffe et la chemise que j'ai confectionnés.
- Il faut que des nouvelles de mon Seigneur soient continues chez moi.
- J'ai fait prendre les présages pour le salut de mon Seigneur pour jusqu'à la fin du mois et ils sont favorables.
- Mon cœur en a conçu beaucoup de crainte. Maintenant (…) il faut qu'une tablette m'arrive de chez mon Seigneur afin que s'apaise mon cœur.

C'était les bribes d'un amour d'il y a près de 3800 ans...


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Commentaires

  1. Bon article sauf que l'image n'est pas du tout un sceau-cylindre mais un registre de la peinture de l'investiture se trouve dans la cour du palmier de Mari représentant une déesse Lama ainsi qu'un roi devant la déesse Ishtar lui donnant les attribut du pouvoir (le cercle et l'anneau). Vous pouvez voir par ailleurs cette peinture au Louvre.

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