Louis XIV s'amuse: la cour découvre Versailles

Le château de Versailles est le lieu le plus représentatif du faste de la royauté à la française. D'ailleurs, les amateurs d'histoire et de patrimoine du monde entier si pressent chaque année par centaine de milliers. Inlassablement, bravant le froid l'hiver, la chaleur l'été, ils attendent patiemment leur tour pour visiter là où la politique et la vie de la cour des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles se sont succédées. Versailles a traversé la royauté, la Révolution, l'Empire et la République avec fracas restant un symbole de force et de pouvoir encore aujourd'hui. Pourtant, si nous – enfin, la majorité des gens – restons époustouflé par tant de luxe et de raffinement, les premières années furent rudes pour ses nouveaux locataires. Je vais essayer de vous retracer, avec humour mais assez de réalisme – je l'espère – les premiers pas de cette cour balbutiante à quelques kilomètres de Paris.

La cour s’est enfin trouvée un lieu de résidence. Après des déplacements incessants entre le Louvre, les Tuileries ou Saint Germain, le roi Louis XIV annonce en 1677 que désormais Versailles, cet ancien pavillon de chasse de son père Louis XIII, qu’il fait agrandir par des chantiers ruineux pour le royaume, deviendra la nouvelle capitale de la France. Stupeur ! Des siècles d'habitudes à changer ! De plus, Versailles, c'est la campagne, un lieu de marécage propice aux puces et aux maladies. Cependant, la cour, soumise aux caprices de ce souverain si charismatique, ne peut que se taire, acquiescer et suivre docilement le roi qui pose les « manettes » de la France définitivement à Versailles en 1682. Louis XIV a alors 44 ans.

Imaginons le désarrois de tous ces nobles lorsqu’on leur présente leur nouveau lieu de résidence : rien n’est prêt ! La cour s’installe dans un chantier. Les logements pouvant accueillir les grands du royaume ne sont pas à moitié terminés. Alors, on dort entassé dans des dortoirs de fortune mal chauffés où règnent la promiscuité et surtout la saleté – sport national durant cette période. Regardez tous ces nobles en quête d’une faveur royale – même un simple sourire, s’il plaît à sa majesté – traverser en tenue de « scène » au milieu des échafaudages et des ouvriers courant ça et là, les bras empotés de quelques matériaux ou outillages. On se plaint ! Les vêtements et les perruques sont pleins d’une poussière blanche et grise issue du travail du marbre que le roi et ses architectes, Le Vau puis Mansart, se plaisent à recouvrir tout l’intérieur et l’extérieur du château. Les hommes et les femmes éternuent, font des malaises, glissent et tombent. Voilà de quoi réjouir le roi qui est au spectacle toute la journée.

De pavillon, le « château » comme on le nomme, devient un palais où les gens se perdent. En effet, si le disgracieux pavillon n’avait pas l’avantage d’être grand, il n’avait pas l’inconvénient d’être un immense labyrinthe. Le Louvre, demeure royale pendant des siècles, était connu de tous. Les nobles amoureux n’avaient aucune peine à dénicher quelques lieux propices pour battre le velours en toute discrétion. A Versailles, tout change. On s’interpelle entre gens bien nés : « Où sommes-nous ? ». On s’exaspère : « Ne sommes-nous pas déjà passés par là ? ». On se rabaisse à demander aux ouvriers qui répondent goguenard : « ‘pouvez pas passer par l’escalier, pas stable, Messeigneurs ».

Le roi, lui, s’amuse. Voir cette cour qu’il méprise tant, depuis l'épisode traumatisant de la Fronde où il était encore bien jeune, se perdre dans les couloirs et autres pièces, passant et repassant, ajoutant de nouvelles couches de poussière sur leurs tenues hors de prix, lui apporte une telle satisfaction que, lorsque tout ce monde connaîtra enfin son nouveau lieu d’habitation, il accentuera la pression en imposant une étiquette – règle de vie de cour – encore plus lourde. Comme un exemple révélateur du mépris royal, il sera désormais impossible de tourner le dos au roi ou même à une de ses représentations. Le bon Louis se plaît dès lors, à orner ses salons de peintures et autres sculptures le représentant, obligeant les courtisans à se déplacer de coté, « en crabe », pour ne pas faire injure à l'image de leur roi adoré. Gare à la moindre incartade, les valets, présents à chaque porte, veillent et - les vilains - rapportent tout au bon Alexandre Bontemps, fidèle premier valet de sa majesté ! Le roi sait tout !

Versailles n’est pas qu’un lieu d’apparat où on essaye de se distinguer ou de séduire – pour la gente féminine – le roi. C’est également une prison dorée. Car si les grands seigneurs vivent des revenus de leurs domaines, c’est bien à Versailles qu’ils doivent à présent vivre et dépenser leur argent. Tout leur argent ! Car il est bon de dépenser devant le roi. Et lorsque l’on joue avec lui, il faut « s’écraser » et perdre… le plus possible. Pourquoi ? Et bien, tout dépend de ce roi, grand potentat occidental aux pouvoirs absolus qui fait et défait les vies. Un mot réussi et vous obtenez une pension. Un regard malsain et c’est la disgrâce. C’est un monde impitoyable et beau … c’est Versailles !

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