Clovis et le Vase de Soissons : Vérité Historique ou Légende Pédagogique ?
Qu'est-il donc arrivé à Soissons en 486 ? La ville est restée célèbre auprès de nombreux élèves du primaire grâce à une unique anecdote. Là-bas, les enseignants racontent inlassablement depuis plus d’un siècle, que Clovis, le roi des Francs, s'est vu refuser l'attribution d'un vase par un soldat peu scrupuleux qui bafoue l'autorité du roi en brisant le précieux objet. Quelque temps plus tard, le roi se venge de l'affront : ayant déposé à terre les armes du soldat rebelle, sous prétexte que sa tenue laissait à désirer, Clovis lui fracasse la nuque pendant que ce dernier ramasse ses affaires. Aussitôt le roi s'exclame « souviens-toi du vase de Soissons ! » (Selon les textes, la vraie phrase serait : « Ainsi as-tu fait au vase de Soissons ! »).
Ce fait est-il réellement avéré ? Est-ce une de ces fameuses « paraboles » censée illustrer et donner une leçon dans l’histoire ? Nous devons cet épisode de la vie du roi mérovingien au grand Grégoire de Tours qui a chanté les louanges des premiers rois francs. Pourtant, pourquoi un soldat aux ordres de son roi aurait-il pris le risque de briser un vase que celui-ci convoitait ardemment ? Les us et coutumes d’alors étaient nettement différents entre un roi et son soldat au Ve siècle qu'à la cour de l’intouchable Louis XIV. Ainsi, après la prise d’une ville, le butin était équitablement partagé entre chaque soldat, le roi y compris. Le vase était donc un surplus que le soldat n’aurait pas accepté de donner à son roi au nom de l’égalité des parts. Il était en effet de tradition franque et barbare que les soldats pouvaient ainsi user d’une assez grande liberté de parole et ainsi exprimer leur ressentiment sans pour autant que le roi s’en vexe… mais il existe une limite ! Le roi était certes élu par son peuple, Clovis allait ajouter une part d'absolutisme à son pouvoir.
En effet, si Clovis restait un roi franc, élevé à son rang par l’acclamation de ses guerriers, et non par légitimité parentale, jamais roi d’un peuple barbare n’avait connu une si fulgurante réussite. Son pouvoir s’étendait alors sur des régions toujours plus vastes et lointaines, ce qui accroissait sa domination tout en renforçant son charisme et sa position. Aussi, le Clovis qui demandait à ses hommes de lui laisser le vase, n’était plus le chef des Francs mais un roi qui se sentait investi d’un pouvoir immense que personne ne devait remettre en cause. Le soldat réfractaire à ce pouvoir ne semblait avoir fait la mise à jour et n'avait donc pas pris en compte ce nouveau rapport de force: il le paiera chèrement par la mort… en servant d’exemple à des milliers d’autres soldats ! Trop de liberté tue, devient un nouvel adage !
Mais l’épisode est surtout chargé de symbolique car il marque un véritable tournant dans l’histoire de la royauté « française ». Jamais un Philippe Auguste, un François Ier ou un Louis XIV, n’auraient agi de la sorte. Ils auraient condamné le soldat immédiatement après les faits sans aucune forme de procès ni d’intention de montrer l’exemple. Clovis punit son soldat dans un moment de faiblesse de ce dernier : il était penché ou accroupi et il ne pouvait ni riposter ni se défendre, ce qui aurait été une réaction normale et légitime de sa part. Ce véritable « coup derrière le dos » ou « coup en traître » signifie bien que Clovis est à la croisée de deux types de pouvoirs : entre le chef élu par ses pairs et le roi incontestable, légitimé par sa gloire ! La mort de son soldat par ses propres mains signifie, à l’image de l’apparition de Jésus devant Marie-Madeleine après la résurrection (noli me tangere : « ne me touche pas »), que le rapport entre le roi et ses soldats a dès lors changé : il est le roi qui donne les ordres ; ils sont ses sujets et ils doivent désormais obéir scrupuleusement à ses ordres.
Alors, véracité du propos ou légende à vocation instructive ? Seul Grégoire de Tours et Clovis le savent ! Toujours est-il que l’histoire du vase de Soissons a bercé l’imagination de générations d’écoliers - ou même de rois ! – montrant la force et le pouvoir naissant des futurs rois de France, bien plus révélatrice que la culotte à l’envers de ce cher Dagobert, qui fut pourtant, malgré la chanson mettant à mal sa crédibilité, un des plus brillants rois de l’histoire mérovingienne et française.
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